LA FRANCE ET MAI 1968 : LE DIAGNOSTIC ET LES INFORMATIONS DE GEORGES POMPIDOU

L’article précédent, extrait du livre de Me Jean Meningaud montrait l’adresse au peuple français datée de 1956. Il s’agissait de la guerre d’Algérie dont les gouvernements ne voulaient pas reconnaître le bellicisme islamique. Le résultat gaulliste, nous l’avons vu, nous le voyons chaque jour. Le « guide » qui « partait vers l’Orient compliqué avec des pensées simples » n’avait rien compris, ou ne voulait rien comprendre aux fondements civilisationnels de cet incendie qui était maîtrisé et à qui il fournit un nouveau combustible par sa politique. C’est pourquoi la guerre d’Algérie – et de l’islam conquérant – se poursuit sur le territoire français, et européen. Ce n’est pas avec de la macronerie qu’on s’en sortira. Au contraire.

Mais je reviens à l’adresse de Jean Menigaud, grâce à un extrait du livre de Georges Pompidou, Le Nœud gordien. C’est un livre historique à plus d’un titre. Pour bien comprendre cet extrait, il faut savoir que ce livre était l’ébauche de ce qu’il devait devenir. Il resta dans cette forme parce qu’il fut écrit du temps où l’auteur, ayant été Premier Ministre, était en passe de devenir chef de l’État.

Je laisse maintenant la place à Georges Pompidou, envers qui j’avais un profond respect. Depuis…

Antoine Solmer

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LE NŒUD GORDIEN

On a beaucoup ·écrit sur les événements  de Mai 1968. Pour des raisons que chacun  comprendra, je ne ferai pas ici le récit de. ces  journées telles que je les ai vécues. Je me bornerai à en analyser sommairement les causes  et à en tirer quelques conclusions.

De ces causes, les unes sont générales, les autres spécifiquement françaises. Certaines sont profondes, d’autres occasionnelles. Encore faut-il  ajouter que les unes et les autres s’entremêlent et que telle réaction générale a trouvé en France  et à Paris des facteurs de « dopage » supplémentaires, comme disent nos atomistes. Je vais essayer de mon mieux de débrouiller l’écheveau.

NANTERRE ET LA SOCIOLOGIE

Pratiquement, l’étincelle a jailli à Nanterre. Milieu propice, s’il en fut, à la contestation, faculté créée hâtivement parce qu’il fallait courir au plus pressé, dans un environnement, hélas ! déplorable, et consacrée pour une large part à des enseignements particulièrement destructeurs – je parle de la sociologie notamment. Il s’agit là d’une science balbutiante, dont beaucoup de spécialistes ont d’autant plus d’assurance que leurs connaissances sont plus incertaines et bien souvent, en France au moins, mal assimilées. Comme les sophistes de Platon, les scolastiques du XVe siècle, ou les médecins de Molière, ils cherchent leur autorité et leur prestige dans un jargon spécifique, inaccessible au profane, et appliquent leur intelligence et les détours de leur esprit à critiquer une société où de fait ils n’ont aucune utilité clairement définie. Ne menant pratiquement à rien et les bourses aidant, ces études n’ont nulle raison de finir : il est caractéristique de constater que la plupart des leaders du mouvement de Nanterre avaient passé l’âge où un homme normal déserte la faculté pour un métier et l’étude pour l’action. Si l’on ajoute qu’en créant pour bien faire et contre mes instructions une résidence à Nanterre, on a permis à quelques centaines de jeunes gens et de jeunes filles de vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans un univers physiquement et intellectuellement concentrationnaire, qu’un certain nombre d’agitateurs professionnels s’y sont introduits pour y mener une action consciente et méthodique, que, comme toujours en pareil cas, des organisations plus ou moins internationales et les services secrets de divers pays n’ont pas manqué de s’y intéresser : tout était réuni pour faire de Nanterre une petite poudrière qui ne demandait qu’à exploser.

Mais il va de. soi que Mai 1968 dépasse en  importance, et de beaucoup, l’agitation de quelques centaines d’étudiants en sociologie ou de quelques groupuscules révolutionnaires. Je me flatte d’ailleurs d’avoir, dès le 14 mai, reconnu et affirmé publiquement la profondeur de cette crise de conscience et de civilisation, même si les acteurs en étaient souvent dérisoires et les  manifestations peu ragoûtantes. 

EXTRAIT DU DISCOURS DU 14 MAI 1968 À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Il ne s’agit pas simplement de réformer l’Université. A travers les étudiants, c’est le problème même de la jeunesse qui est posé, de sa place dans la société, de ses obligations et de ses droits, de son équilibre moral même. Traditionnellement, la jeunesse était vouée à la discipline et à l’effort, au nom d’un idéal, d’une conception morale en tout cas.

La discipline a en grande partie disparu. L’intrusion de la radio et de la télévision ont mis les jeunes dès l’enfance au contact de la vie extérieure. L’évolution des mœurs a transformé les rapports entre parents et enfants comme entre maîtres et élèves. Les progrès de la technique et du niveau de vie ont pour beaucoup supprimé le sens de l’effort. Quoi d’étonnant enfin si le besoin de l’homme de croire à quelque chose, d’avoir solidement ancrés en soi quelques principes fondamentaux, se trouve contrarié par la remise en cause constante de tout ce sur quoi l’humanité s’est appuyée pendant des siècles : la famille est souvent dissoute, ou relâchée, la patrie discutée, ou niée, Dieu est mort pour beaucoup et l’Église elle-même s’interroge sur les voies à suivre et bouleverse ses traditions.

Je ne vois de précédent dans notre histoire qu’en cette période désespérée que fut le XVe siècle, où s’effondraient les structures du Moyen Age et où, déjà, les étudiants se révoltaient en Sorbonne. A ce stade, ce n’est plus, croyez-moi, le Gouvernement qui est en cause, ni les institutions, ni même la France. C’est notre civilisation elle-même. Tous les adultes et tous les responsables, tous ceux qui prétendent guider les hommes, se doivent d’y songer, parents, maîtres, dirigeants professionnels ou syndicaux, écrivains et journalistes, prêtres et laïcs. Il s’agit de recréer un cadre de vie accepté de tous, de concilier ordre et liberté, esprit et conviction, civilisation urbaine et personnalité, progrès matériel et sens de l’effort, libre concurrence et justice, individualisme et solidarité.

Georges Pompidou

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Ici, je reprends la main, et demande à ce qu’on réfléchisse au moins selon deux axes.

PREMIER AXE : LA PORTÉE INTELLECTUELLE ET PRATIQUE DU TEXTE

Il s’agit ici d’un constat civilisationnel. Les bases d’une société minées et les conséquences prévisibles. Une fois de plus, il est facile de mettre le feu à des forêts qui ont mis des siècles à se développer. Il est plus difficile d’éteindre l’incendie et de se remettre à l’ouvrage. Encore, la nature est-elle plus patiente et plus obstinée que l’homme. Mais l’homme, surtout nourri à l’orgueil, à la haine et à la bêtise, a bien du mal à revenir sur ses traces et à reprendre le bon chemin. Car la religion du progrès qui est l’un des piliers de la Gauche l’aveugle systématiquement. Nous voyons où nous en sommes. D’une façon ou d’une autre, le président Pompidou reprenait la devise qui fait mal et qui fait encore hurler la Gauche et les imbéciles (ce n’est pas contradictoire) : l’association nécessaire d’une famille au travail dans une patrie. C’est quand même mieux que « du passé faisons table rase ».

DEUXIÈME AXE : QUI FAIT QUOI ?

J’ai mis en gras quelques passages qui, peut-être, auraient été supprimés si Pompidou président avait eu le temps et l’envie de corriger sa copie première. Il s’agit de la poudrière de Nanterre. Les mots sont lourds de sens : agitateurs professionnels, action consciente et méthodique, services secrets de divers pays.

On retrouve ici une triade classique des guerres révolutionnaires. On ne peut imaginer qu’un Premier Ministre, au courant de bien des secrets, s’amuse à affirmer la présence de cette triade sans de solides documents. Il aurait été encore plus intéressant – et peu diplomatique ? – de préciser les nations intéressées à allumer des mèches dans la poudrière.

Il serait encore plus intéressant de savoir qui est pourquoi n’a pas joué le rôle de démineur. Ici encore, s’il n’y a pas de précision totale, il y a cependant une piste lourde. Elle tient en trois mots. Cette résidence de Nanterre, écrit Pompidou, a été lancée « contre mes instructions ».

Qui a bien pu aller contre les instructions d’un Premier Ministre ? Sachant que « Le 3 octobre 1963, les maquettes sont présentées à Christian Fouchet, ministre de l’Éducation nationale, ainsi qu’à Georges Pompidou[1] », s’il y a eu une dissension entre ces deux ministres, quelle autre autorité que le chef de l’État (de Gaulle) a pu peser dans la balance ? Une fois de plus…

Réfléchissons, de temps à autre, sans être aveuglé par les personnages à grandes tirades.

Antoine Solmer

PS : Les titres dans le texte de Georges Pompidou ont été rajoutés pour faciliter la lecture, ainsi que les mots en gras.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sidence_universitaire_de_Nanterre