LA MORT CIVILISATIONNELLE PRÉCÈDE LA MORT DU CORPUS IMPÉRIAL

Le tout dernier article de HCl m’a passionné et instruit. Probablement, les deux composantes sont-elles nécessaires à la vie de nos neurones. Une troisième composante est l’identité des préoccupations. Nous les partageons depuis longtemps, bien au-delà de ce blog. Ce partage est d’autant plus jubilatoire que nos diagnostics se rejoignent : le malade est mal en point, pour ne pas dire « foutu ». L’enrichissement par les contradictions apparentes est et reste l’une des conditions de l’étonnante poussée intellectuelle par laquelle l’homme se sépare de l’animal… tout en cultivant la bête en lui. Ainsi, nous accompagnent depuis des siècles les pleurs d’Héraclite et le rire de Démocrite. Mais, revenons à notre malade ? Quel malade ? Notre monde, tout simplement !

Notre monde, ou plus précisément, la civilisation occidentale qui nous a portés depuis des siècles, bon an mal an, comme le dit l’expression, et parfois, bon jour mal jour, si ce n’est au fil des heures, dans certains cas graves.

DE LA GRAMMAIRE ET DE L’EMPIRE

Revenons sur les empires. Il semble naturel, au moins grammaticalement, qu’un empereur soit à leur tête, ou du moins quelqu’un qui impose une traduction équivalente dans une fonction ad hoc. Près de nous, se pose le cas de Napoléon III, dont l’envergure territoriale paraît faible, comparée à celle de l’illustre « tonton premier ». Le numéro III fut empereur certes, par le titre, mais surtout par manœuvre politique en un temps où il pouvait espérer récupérer quelques parcelles de la gloire de son prédécesseur iso-prénommé, tout en évitant des guerres de conquête directe. Cependant, la pensée s’y retrouvait, au moins par procuration. S’il avait pu établir au Mexique un contre-pouvoir catholique à la puissance montante des USA, protestante et financière, son empire « fonctionnel » aurait reçu une première base intéressante. D’un autre côté, son hypothèse d’un « royaume arabe » sur la rive sud de la Méditerranée aurait arrimé différemment le cours de l’histoire dans cette région… à condition d’y conserver quelque influence. Mais, même dans ces conditions, l’éloignement géographique, civilisationnel et mental des différents peuples cités (sans oublier la redoutable force centripète des Français, une fois sortis de leurs frontières) aurait fait capoter la politique de notre célèbre moustachu. Enfin, du moins, sa politique aura fait émerger un empire : celui des Allemands. La France, était lancée sur les voies de son jeu politique menant à Macron Premier (par le nom) et Dernier (autant par prestance que par prestations). Ce jeu se résume ainsi : qui croit gagner perd.

Nous pourrions suivre à la trace d’autres « empereurs » en leurs domaines différemment nommés. L’un des derniers, peut-être le plus étonnant, fut Haïlé Sélassié 1er, au confluent des forces africaines de l’est, de l’Italie mussolinienne, des intérêts européens (et obligatoirement anglais), et d’une révolution incertaine qui l’emportera en 1974. Mais au moins, ça avait « de la gueule ».

DE BRIC ET DE BROC

Ce que nous avons vu dans notre civilisation occidentale et à ses franges, c’est un émiettement de pouvoirs accumulés et dispersés, comme une énorme houle se fracassant en mille morceaux, lesquels, momentanément « sonnés », tendaient à se reconstituer de bric et de broc. D’une multitude de principautés, évêchés, duchés et autres titres jusqu’à l’empire allemand, puis à la République de Weimar (pour faire court), jusqu’aux deux Allemagnes réunifiées, pour en faire la locomotive économique de la prétendue et illusoire « Union européenne », quel paysage ! Quelle pièce de théâtre ! Et, vraiment, François-Joseph et Sissi, quel couple ! Pas de comparaison, SVP ! Restons corrects !

Autrement dit, pour reprendre les paroles d’HCl (qui régnera sous le nom de Claudhydrix Premier), bien Gaulois, aussi bien ancré dans le monde que bien « encré » en ses écrits, les empires nous fascinent, surtout par leurs morts. Cette fascination nous rend-elle quelques services ? Si nous parlons de réflexion, de plaisir de la connaissance, d’un certain « bonheur de la tragédie », certainement. Mais en tant que leçon d’histoire, zéro, nada, ouallou…

IL Y A TOUJOURS DE L’HOMME QUELQUE PART

Il y a plusieurs raisons à cela. Nous y trouvons, entre autres l’irrésistible orgueil humain lorsqu’il atteint son acmé : la bêtise la plus crasse associée à la pire perversion.

Mais il s’y associe quelque chose de plus profond, qui fait partie de l’humain : le vertige des cimes qui côtoie celui des abîmes. Tout se passe comme si l’humain était incapable de s’en tenir à une sagesse de la bonne mesure, celle qui évite les écueils des délires organisés de type « liberté, égalité, fraternité » menant obligatoirement à leurs contraires : « emprisonnement, minoritarisme, séparatisme ». Il faut tout l’entêtement des pires idéologies pour ne pas comprendre l’indispensabilité de limites justement posées. Après, il faut accepter leur variabilité selon les contextes, lesquels correspondent aux méandres de la vie. Enfin, il faut les appliquer en suivant le difficile chemin de la justice et de la force. Non pas celui qui organise le pouvoir aveugle et aveuglant des juges, mais en refusant la cécité volontaire et troublante de la prétendue justice entre gladius et lex, qu’il faut éclairer d’humanité, donc de lois naturelles.

Mais cela est impossible à quiconque veut « du » pouvoir pour « le » pouvoir, quel que soit sont rang dans une société. Quant à celui qui veut « le » pouvoir, il ne rêve qu’aux cimes, croyant s’y maintenir ad vitam aeternam, alors que l’attend le pire chemin de crête, et le faux pas obligatoire.  

Nous parlions d’empires. Mais n’oublions pas les emballements de l’esprit dont ne sont pas exempts les moindres des souverains du plus petit royaume, quels que soient leurs titres et leurs étendues de pouvoir. À chacun sa montagne, à chacun sa chute.

MINIMUM ET MAXIMUM ENTRE VIE ET MORT

Les empires croissent sur le terreau des royaumes suffisamment implantés pour que des esprits forts jugent les faiblesses des autres, quelles que soient leurs tailles. Les plus petits, les plus faibles, seront les plus faciles à avaler. Cette loi de la nature s’impose du fond des fosses océaniques aux plus hautes altitudes de la vie, tous règnes confondus. Il s’ensuit que l’accumulation de pouvoirs qui mène à l’empire ne peut se déclencher que dans deux situations.

La première suppose une conflagration entre puissances à peu près équivalentes. C’est ici le domaine privilégié de la connaissance subtile, aidée de menées subversives, au profit d’une volonté de domination qui s’arrangera de tous les prétextes, si aberrants soient-ils.

La deuxième suppose des puissances de dimensions si différentes que le match est joué d’avance, pour autant que la plus faible soit aussi la moins combattive, donc la plus proche de son déclin. En cette circonstance, le « gros » avale purement et simplement le « petit », à moins qu’il ne s’accommode de sa présence comme d’une sorte de « valet de pied ».

Remarquons que la petite taille peut cacher un adversaire redoutable, pour peu que la volonté de vie à tout prix soit son lot. « Volonté de vie » : l’expression prend tout son sens dans les mauvais moments. Elle s’oppose frontalement à la « course à la mort » dont ni les « petits » ni les « gros » ne sont exempts.

C’est ici que notre réflexion générale s’amplifie et peut se résumer ainsi : « la tendance à l’empire peut animer un homme dans tous les cas de figures, quelle que soit la puissance du terrain sur lequel il se développe. Mais ses dispositions naturelles seront d’autant mieux secondées que la « volonté de vie » en est le moteur partagé. Et si l’adversaire est en position de déclin accepté, en « course à la mort », son destin est inéluctable. Ses forces se débanderont lamentablement, ou il tombera « comme un fruit mûr ». Sic transit…

UNE RÉFLEXION D’ÉCHELLE

Nous avons beaucoup parlé d’empires. Le terme fait impression, et semble ne pas nous concerner, car nous nous croyons protégés par notre enfermement volontaire dans le carcan verbal où les matons s’appellent république, démocratie, État de droit, et autres fadaises. Ainsi, lorsque nous parlons d’empire, et spécifiquement de chute d’un empire, nous nous sentons protégés, bien que vaguement inquiets. De plus, l’empire romain s’impose à notre esprit, puisque nous en sommes les descendants et mauvais héritiers. Mais en filigrane seulement. En plein confort intellectuel. C’est loin, tout ça…

De même, la célèbre admonestation de Valéry – « Nous autres, civilisations, etc. » – nous semble lointaine. Nous ne voulons pas voir deux choses. La première, qu’elle n’a jamais été aussi proche. La seconde qu’elle est déjà réalisée. Nous autres, de la civilisation occidentale, sommes déjà en coma dépassé. Quant aux pseudo-réanimateurs qui s’agitent, c’est encore plus grave : ils s’en vont dans la puanteur de leur gangrène.

Dans cet éternel conflit entre les forces de vie et les forces de mort, notre position est toujours en porte-à-faux. Elle dépend de notre degré d’action ou de passivité, mais aussi du système dans lequel nous évoluons, et du rôle que nous y jouons. C’est dans ces conditions de tempête que l’homme s’élève, bien plus que par le trop beau et trop sédatif temps calme. Ce n’est pas dans la mollesse que l’esprit humain s’enrichit, c’est dans le conflit aux grands enjeux, et surtout lorsque les cartes sont truquées, que les amis trahissent et qu’une lueur de connivence est partagée avec les conquérants, car nous savons qu’ils nous vengeront en châtiant les actuels traîtres. Tel est le spectacle de notre civilisation. Elle n’a jamais été plus humainement stimulante, parce qu’elle part en lambeaux. Mais quel gâchis.

Au fond, empire ou simple humain, il s’agit de l’éternel cycle de la vie et de la mort. Tout ce qui vit doit périr. Et tout ce qui périt engendre de la vie. Tous les niveaux d’énergie de toutes les structures sont concernés.

Qui seront les plus aptes à vivre ? Quels « barbares » jouiront de la plus joyeuse santé ?

La réponse est simple. Ouvrez vos journaux, et lisez. Et puis, tranquillement, lâchement, d’une marche blanche à un « refus d’amalgame », crevez dhimmis !

Antoine Solmer