Connaissez-vous Ambazac, dans la Haute-Vienne, à la limite de la Creuse ? On imagine une charmante petite cité provinciale, moins de 6000 habitants, dans un environnement peu dense. Donc, le calme, et « le plus grand [de ses trésors] … la générosité des Ambazacois et Ambazacoises qui seront ravis de vous accueillir. » On peut y croire, je dirai même que nous devons y croire, connaissant cette silhouette de bien des petites villes de la France réelle. On doit aussi s’y croire bien protégé des délires hidalgo-parisiens dont l’escalade est bien connue et de plus en plus mal supportée. Bref, Ambazac devrait être un petit paradis comparé à l’enfer d’une capitale de moins en moins fréquentable.
Sauf que… la lecture de sa présentation officielle nous offre tout de suite le galimatias du cuistre de service. Vous voulez vous promener tranquillement dans « une soixantaine d’hectares de forêt communale » ? Oubliez cette sotte idée rétrograde. Remerciez plutôt « l’offre aux habitants comme aux estivants des espaces naturels à appréhender en termes de détente et de loisirs. » Mais si vous préférez les loisirs intellectuels, vous serez servis, car « Ambazac sait être force de propositions artistiques et culturelles. »
Pourquoi ne pas dire les choses simplement ? Pourquoi s’enfermer dans ces formules absconses ? Élitisme de la pédanterie ? Validation exacerbée d’un fort contingent d’heures bureaucratiques à valider par les instances supérieures ? Ou plus simplement, décollage vers l’apesanteur lointaine et l’incompréhension des basses réalités terrestres ?
Après lecture d’un article Je crains que cette hypothèse ne soit la bonne. Témoin celui où il est question de jet de couches avec élan… je veux dire Élan, du nom de la communauté de communes où se pratique ce nouveau sport [1].
Que la communauté de communes se préoccupe du sort des ordures ménagères, rien de plus normal. Qu’elle tente d’en réduire les coûts, qui serait contre ?
Mais après ces bons débuts commence le règne de la bureaucratie « hors sol » par la création d’une « redevance ménagère incitative » ou plus exactement d’une REOMI (Redevance d’enlèvement des ordures ménagères incitative) qui remplace la TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) et la REOM (Redevance d’enlèvement des ordures ménagères). Lisez la suite, si vous en avez le courage [2] et appréciez le monde orwellien du transport des ordures ménagères.
En pratique, des poubelles devaient être distribuées, calibrées selon le nombre de personnes de chaque foyer, avec surtaxe en cas de dépassement de la norme. Pour un bureaucrate, rien de plus simple.
Mais la réalité est toujours surprenante pour les têtes pensantes et pesantes de ces bureaux. Certaines poubelles ont débordé : celles des personnes âgées ou malades ayant des troubles des sphincters les obligeant à se protéger avec des couches adaptées.
Seule solution, les surtaxer, ou lancer la patate chaude vers les médecins : leur demander d’établir des certificats médicaux pour les habitants dont le rejet dans les ordures de couches dépasserait la norme administrativo-élanesque !
Dix-huit praticiens se sont donc opposés à ce délire :
« Nous sommes quelques peu surpris et même indignés, par la façon dont on considère les personnes âgées, qui seraient forcément menteuses (sur un sujet comme celui-là), comme si reconnaître publiquement ce handicap n’était déjà pas difficilement vécu par les personnes. »
Le président de l’Élan s’est étonné : « On avait pris cette décision pensant bien faire… »
Déjà, ce « on » en dit long sur la dilution des responsabilités. Mais, il y a un monde entre « penser bien faire » et bien faire : celui de la réalité qui échappe toujours aux normes pondues dans le brouillard de la bureaucratie. Celle-là se présente bien au palmarès. L’ours qui voulait tuer la mouche sur la tête de son ami avec un pavé pensait bien faire (*).
Alors je me permets d’ajouter quelques points aux prochaines réunions de l’Élan (pauvre animal privé de son élégance naturelle) :
- N’oubliez pas les couches des enfants en bas âge.
- N’oubliez pas que, si les habitants ont diminué le volume apparent des déchets en les empilant dans des boîtes, leur tonnage lui, ne diminue pas pour autant. Cela devrait amener à réfléchir sur ce point, en prenant appui sur la réalité, et non sur une idée de bien faire.
- N’oubliez pas qu’en surchargeant les médecins déjà submergés de contraintes administratives (surtout de cette nature) vous n’inciterez personne à s’installer dans les déserts médicaux.
Enfin, pour les rédactrices de l’article cité, un retour à la case grammaire serait nécessaire.
La phrase : « les ordures ménagères sont ramassées plus qu’une fois par mois » oublie que l’expression restrictive correcte est « ne… que ». Cette faute augmente en fréquence, perturbe la lecture, et, au pire, dans ce cas, laisserait entendre que les ordures ménagères seraient ramassées « plus d’une fois par mois. »
Triste monde !
Antoine Solmer
[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/haute-vienne/ambazac/un-certificat-medical-pour-jeter-des-couches-a-la-poubelle-les-medecins-s-indignent-en-haute-vienne-2737622.html
[2] https://www.elan87.fr/environnement/gestion-des-d%C3%A9chets/tarification-incitative/
(*) http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/oursamat.htm