Le numéro 545 de La Recherche publiait en mars 2019 un intéressant article intitulé « La réduction des risques a pris le pas sur les secours. » Il s’agissait d’un entretien avec Sandrine Revet, anthropologue et directrice de recherches au Centre de recherches internationales de Sciences Po, Paris.
Elle y explique les variations d’approche concernant le traitement des catastrophes. Dans les années 1970, les compagnies d’assurance ont stimulé une réflexion sur leur prévention. Nulle préoccupation dite « citoyenne » comme il faut le clamer aujourd’hui, mais une simple affaire de gros sous : les catastrophes coûtent cher, les remboursements sont lourds. Ces compagnies sont soutenues par la mobilisation des sismologues. Rappelons le séisme d’Ancash au Pérou en mai 1970 (75 000 morts, 25 000 disparus, 200 000 blessés).
Dans les années 1980, le sociologue Ulrich Beck a postulé l’entrée dans « la société du risque ».[1]
Pendant la « Décennie internationale sur la prévention et la réduction des risques de catastrophe » (1990-1999) émerge une nouvelle structure, l’UNISDR regroupant des chercheurs en sciences sociales [2]. Citons Sandrine Revet : « Essentiellement, il s’agit de gens qui produisent des textes sur la thématique des catastrophes, documents qu’ils essayent ensuite de transformer en normes pour l’action. »
En 2001, après les attentats du 11 septembre, « Le sociologue et anthropologue américain Andrew Lakoff décrit très bien ce moment où l’on bascule vers l’idée que l’important n’est pas de savoir quand les choses vont arriver(prévision), ou si elles vont arriver (prévention), mais ce que l’on fera quand cela va arriver (préparation). » Il faut comprendre que cette approche ouvre une porte : « L’idée est que chacun doit être responsable de sa propre sécurité, en apprenant à faire un sac à dos de survie, à pratiquer les premiers secours, etc. ». Ainsi on comprend mieux les bases du survivalisme largement développé aux USA. Mais ce n’est pas notre propos du jour.
Revenons à Sandrine Revet. Sur le papier une catastrophe est toujours facile à gérer. Sur le terrain, c’est autre chose. L’auteur ne le dit pas, mais osons avancer que cet enfermement dans le papier fait peur. Alors, en bonne anthropologue elle obtient l’autorisation d’observer le travail de ces gens de bureau de l’UNISDR. Autrement dit, le bureau devient « son terrain ». Ce travail s’est étalé sur sept ans.
Elle en décrit une approche en deux cadrages : celui de la préparation et celui de la résilience.
Dans le cadrage de la préparation, « la catastrophe est envisagée comme un événement brutal,… extérieur à la société… par exemple une éruption volcanique, un séisme, un ouragan, etc. » Il faut réagir vite, dans une ambiance de sauvetage « moral » : sauver des vies selon un schéma militaire, jusqu’au retour à la normale.
Dans le cadrage de résilience, la catastrophe est « … comme le résultat d’un processus : c’est la conséquence de choix – économiques, politiques, d’urbanisation … – qui peuvent remonter à très longtemps; des choix qu’on peut donc expliquer non par un phénomène extérieur, mais par des conditions de vulnérabilité propres à la société. » C’est donc le domaine du temps long, d’une pensée préparatoire.
Venons-en à deux conclusions de cet article sur le travail de l’UNISDR.
Le principe est qu’« aucune intervention de secours ne peut se mettre en place sans la demande de l’État concerné… Tous les outils qui se décident au niveau international… sont des cadres d’action auxquels les pays souscrivent et qu’ils mettent en oeuvre sur leur territoire, à leur manière. »
« L’échelon international… essaye de standardiser, d’homogénéiser les pratiques entre les pays. Ce qui ne se fait pas sans difficulté, comme le montrent les discussions difficiles et sans fin pour établir un glossaire international avec une définition unique des catastrophes, des facteurs de vulnérabilité, etc. »
Nous devons donc relire le titre de l’article : « La réduction des risques a pris le pas sur les secours ». Je propose de le retravailler ainsi : « La réduction des risques (sur le papier) a pris le pas sur les secours (sur le terrain). » Je n’ai pas l’impression d’être en contradiction avec le travail de Sandrine Revet, que l’on peut apprécier dans d’autres publications. Elle a ses réserves nécessaires. Moi non !
Bref, encore de beaux jours pour les souris dans le fromage, surtout pour celles spécialisées dans la com’ et les ventes de masques.
[1] https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2019-2-page-261.htm
[2] UNISDR : United Nations Office for Disaster Risk Reduction. Bureau des Nations-Unies pour la réduction des risques de catastrophes.