ALEXIS CARREL, RÉFLEXIONS SUR LA CONDUITE HUMAINE, EXTRAIT 11 : RÉVOLUTION PÉDAGOGIQUE

LA CHUTE D'ICARE
LA CHUTE D’ICARE

L’EXTRAIT NUMÉRO 11 SUR LA RÉVOLUTION PÉDAGOGIQUE

Mais notre devoir le plus sacré est d’opérer la révolution pédagogique qui fera de l’école, au lieu d’une triste usine à certificats et à diplômes, un foyer d’éducation morale, intellectuelle, esthétique et religieuse et surtout, un centre de formation virile.

Nous savons que ni l’eugénisme, ni l’amélioration du milieu ne feront monter l’esprit au-dessus de la taille qu’il présente chez les hommes modernes les mieux doués. De même que les progrès de l’hygiène n’ont pas augmenté la longévité, mais seulement la durée moyenne de la vie.

Pour accroître l’intelligence de la race, il faudrait trouver le secret d’accélérer la marche naturelle de l’évolution. L’esprit n’a pas grandi en même temps que la complexité des problèmes à résoudre. Mais cette ascension n’est pas irréalisable.

Nous avons à notre disposition deux méthodes pour produire des êtres humains mentalement supérieurs à tous ceux qui ont existé jusqu’à présent à la surface de la terre. La première est l’amélioration de l’individu ; la seconde, celle de la race.

Peut-être le moment est-il venu, pour les hommes de science, de chercher à modifier la qualité de la substance cérébrale et des glandes endocrines de façon à améliorer l’esprit.

Peut-être deviendra-t-il possible de faire de grands hommes comme les abeilles font des reines.

Certes, les qualités ainsi acquises ne se transmettront pas héréditairement. Quant à la race, nous ne connaissons, jusqu’à présent, aucun moyen de la faire progresser artificiellement, comme elle a progressé naturellement au cours de l’évolution.

Toutes les mutations produites expérimentalement chez les animaux sont régressives. En fait, nous n’avons aucune connaissance des facteurs qui ont déterminé l’ascension de l’esprit dans la série animale. Il nous faut, dès à présent, engager nos plus grands biologistes dans la recherche des facteurs secrets de l’évolution ; en d’autres termes, dans l’audacieuse entreprise d’augmenter la force et la qualité de l’esprit, chez les hommes civilisés.

MES RÉFLEXIONS SUR LA RÉVOLUTION PÉDAGOGIQUE

          UN GROS BOUT D’ANALYSE

Le constat d’Alexis Carrel, dès l’avant-guerre, est terrible : l’école est une « triste usine à certificats et à diplômes ». Que dirait-il maintenant, alors ? Quelque formule du style : une foutue foire à distribuer du papier aux bourrins. Gageons qu’en homme bien élevé, il aurait trouvé une tournure plus élégante. Mais, n’ayant aucune envie de jouer les Tartuffe, ni de noyer mon texte dans une tartine de circonlocutions castratrices, je me satisfais de la mienne.

Cependant, il faut revenir sur le déclin de l’école, au sens élargi d’éducation nationale. Les connaissances enseignées ont subi une diminution certaine depuis bien des dizaines d’années. Exemple : j’étais très bon en latin (sans aucunement me vanter). Mais je n’ai jamais parlé couramment cette langue. Et je n’oserais pas me comparer à Montaigne, mais simplement aux générations de mes parents et grands-parents. Un âne, suis-je ! Asinus, et même clitellarius asinus : Âne bâté !  Je n’ai rien à objecter.

Mais il y a pire. La langue française part en lambeaux que se déchirent allègrement (à cause du Mammouth non dégraissé) les bacheliers à 90%, les analphabètes rocailleux, les dysorthographants triomphants et autres saloupiant.e.s désintégro-maniaques. Alors, oui, la constat est amer. L’éduc’-nat’ (j’aime ces apocopes, style politburo et agitprop, parce qu’on reconnaît le poisson pourri d’où provient l’odeur) l’éduc’nat’ donc, est devenue l’effondrante machine à décérébrer à coups de torchons baptisés diplômes, certificats et autres bacs, spécialisation découpeurs de jean’s  et crop topeuses.

J’admets, je pousse un peu. Mais pas tant que ça. Avançons, au risque de faire frémir le ministère éduc’nateur. Alexis Carrel n’y allait pas de main morte en envoyant sa torpille : « foyer d’éducation morale, intellectuelle, esthétique et religieuse et surtout, un centre de formation virile. »

Tous les mots comptent, dans cette phrase qui a valeur de programme. Revoyons-les :

Un foyer : C’est le double sens d’une place familiale (imparfaite, peut-être, mais finalement rassurante), et d’une chaleur radiante : chaleur et lumière. Ce simple mot renvoie les esprits des “Lumières” à l’aveuglement dont ils veulent nous gratifier, par héritiers interposés, depuis des siècles.

Éducation : c’est le corollaire du foyer. Mais c’est aussi le mot volé aux familles pour violenter les esprits des enfants. Hé, toi, Robert ! T’as pas envie d’être enceint ? Avec un prénom comme ça, tu voudrais pas avoir des ragnagnas ? Et Josyane, tu regrettes pas le pénis de tonton Sigmund ? T’as pas de biscottos, tu sais. Mais ça se soigne. Deux ou trois piquouzes et tu deviens le roi des toilettes. Pense, petite ! Pense bien. Je reviendrai te voir.

Puis vient la déclinaison des horreurs carréliennes :

Éducation morale : O tempora ! O mores… comme le clamait Cicéron dans ses Verrines (pas les mignardises à la mode), encore que la citation devrait bien convenir aux modernes Verres, ces politiques corrompus. Morale ! Quel honteux souvenir de temps révolus. Parlez-moi de Nique TM, ou autres poètes de la même eau. Mais morale….!

Éducation intellectuelle : Commençons par les simples mathématiques, quelques tables de multiplications et allez demander à votre caissière favorite (avant qu’elle ne disparaisse, happée par une machine) de vous rendre la monnaie en comptant de tête. Nous, n’allez pas lui demander. J’ai changé d’avis. Pas de temps à perdre.

Éducation esthétique : Je n’ai qu’une chose à dire. L’emballage du pont Neuf ne m’a jamais emballé. Juste un exemple pour saisir l’idée.

Éducation religieuse : mon Dieu ! Je me trouve mal. De l’air, vite ! Ah, Wallah ! Comme ça, je respire. Et padamalgam, je vous prie… je voulais dire : je vous impose.

Et la crème, le dessert, la cerise, le gâteau : le centre de formation virile. là, ça part en vrille. Je vous le dis tout net. Un centre de formation virile. Hé, les filles ! Hé ! Les chiennes de garde ! Hé, les M’sieurs-dames de la couronne du dessert ! Trouvez pas ça suspect ? Un peu SA, un peu SS ? Décidément, il y a trop d’hommes ici. Et même de l’hommerie. C’est moi qui vous le dit. En fait je copine avec saint François de Sales, sur ce coup. Mais comme je suis bon bougre — façon de parler — il y a peut-être aussi de la femmerie. Enfin, c’est pas clair(e).

          UNE TOUT PETITE SYNTHÈSE…

La suite des réflexions sur l’extrait 11 ? C’est simple. Une fois que vous serez armés de pied en cap, sortis en bon rang d’un foyer d’éducation nanti de toutes les disciplines évoquées ci-dessus, vous serez protégés contre tous les délires à la mode, et autres viciations de l’intelligence et de la vie.

Alors, sans honte ni crainte, vous pourrez vous concentrer sur les questions innombrables posées par l’accroissement de l’intelligence, tant celle de l’unité humaine que celle de son groupe linéaire et collatéral, depuis les origines jusqu’à… une génération de plus, ce ne serait déjà pas si mal.

Alors, muni de vos armes bien affutées vous maintiendrez le difficile équilibre entre la tentation de l’hyperconnaissance (le péché absolu de l’orgueil), et la tentation de l’hyperpuissance (son corollaire faustien).

Comme quoi, la question n’est pas nouvelle. Un certain Lucifer en avait fait les frais, il y a bien longtemps. Et d’autres aussi, moins connus, qui ont voulu se munir d’ailes, n’est-ce pas, Monsieur Icare ? Et tant d’autres dans différentes civilisations. Nos ancêtres, quels qu’ils fussent, n’étaient pas des demeurés. Par contre, certains de nos contemporains…

Alexis Carrel, savant, voué à sa tâche, sentant venir les menaces d’une Europe qui commençait au Rhin et s’étendait jusqu’au fleuve Amour, avait bien des raisons, mais aussi des craintes, d’avoir à manipuler ces concepts. Et c’est pourquoi il annonce la couleur en proposant un foyer de connaissances avancées, mais réfléchies, équilibrées, mûries, pour et par des hommes “civilisés”, et cet adjectif est indépendant de la couleur de peau.

J’ai peur d’avoir raison en affirmant qu’il n’a pas été écouté, et que le résultat est effrayant, en attendant pire…

Antoine Solmer