Article du 8 mai 2024
UNE RÉBELLION PHONOLOGIQUE ET PHONÉTIQUE
Puisque la définition de Wikipédia exclut la phonologie de la grammaire, sautons sur l’occasion pour jouer les rebelles. Demandons de l’aide à nos oreilles. Écoutons nos contemporains. Nous serons surpris. Mais avant cela, faites un tour sur l’article de Wikipédia consacré à la phonologie. Nous aurons l’occasion de nous extasier sur la somme de connaissances accumulées, sur les chorégraphies de la langue entre dents et palais, nous garderons une pensée émue pour le prince Nikolaï Sergueïevitch Troubetzkoï, non seulement pour ses travaux, mais aussi pour la brutalité du régime communiste triomphant l’obligeant à fuir son pays natal en 1920. Il quittera cette Terre en 1938 à Vienne où il vivait depuis 1922, son cœur malade cédant après une visite musclée de la Gestapo. Décidément, certains régimes se ressemblent tant, qu’il faut les mettre dans le même sac, et les jeter au fleuve de l’histoire, avec la célèbre mention : « Laissez passer la justice du roi. »
Mais revenons à Troubetzkoï et appuyons-nous sur quelques points fondamentaux.
D’abord il s’oppose à Saussure (qui fonda le structuralisme) et travaille le formalisme (« les oppositions phonologiques organisées en structures[1].)
Ensuite il participe à l’eurasisme (langues évoluant conjointement dans des cadres géographiques déterminés, s’apparentant par convergence d’affinités, même si leurs origines sont différentes[2].)
On peut en tirer que « la langue est assimilée à un organe vivant et toute collectivité humaine est comme une personne3). Dit plus simplement : la manière dont on parle traduit – ou trahit – la collectivité à laquelle on appartient, ou à laquelle on est censé appartenir. Encore plus simple : parle-moi et je dirai qui tu es, ce que tu représentes.
Les points préalables peuvent sembler obscurs. Ils sont fondamentaux pour deux raisons. La première est que ce blog ne se contente pas de répéter à l’envi des évidences mille fois rapportées, mais s’appuie sur elles pour pousser la réflexion. La deuxième est que je souhaite montrer que bien des conclusions de mes propres approches vitales s’inscrivent dans des démarches déjà vigoureuses et bien argumentées. Ce que j’en fais redevient très personnel, tant par la forme que par l’esprit. Et selon l’humeur du moment, je ne m’interdis rien, ou presque.
Aujourd’hui je parlerai de la lettre r et de la façon dont elle se dévoie en France. Le hasard veut que l’article de Wikipédia sur la phonologie utilise le r comme exemple pour distinguer le son du phonème, autrement dit pour marquer une frontière entre la phonologie et la phonétique. Chacun peut aller s’y frotter. Je m’en tiendrai à mon introduction que je peux maintenant me permettre de résumer en une affirmation : « le r, lettre maudite du français ».
POURQUOI LE R EST-IL LA LETTRE MAUDITE DU FRANÇAIS ?
Tout simplement parce que le français plongé dans le bain des autres langues, même en se limitant aux langues européennes, est maudit par ses limitations internes. Cette malédiction devient évidente dans l’apprentissage des langues étrangères telles que l’espagnol, l’italien, l’anglais, l’allemand. Je vous fais la grâce de vous épargner le russe, l’arabe, et m’interdis de franchir les barrières japonaise, chinoise, etc. Cette malédiction est plurifocale et j’y reviendrai plus longuement dans d’autres articles.
Il suffit d’entendre le Français de bonne volonté s’escrimer à prononcer des mots en espagnol. Par exemple, orange (naranja) ou serrurier (cerrajero). En italien : orange (arancia), serrurier (fabbro). En anglais : orange (orange), meurtrier (murderer), la nuit en allemand (die Nacht), le meurtrier (Der Mörder).
J’arrête là ma petite série. Ce qui compte, c’est l’obstacle des variations du son r dans tous ces exemples. Le Français ne les compte pas dans sa panoplie orale. Il devient donc très difficile pour lui d’entrer dans les moules linguistiques de ces langues que j’ai choisies comme étant frontalières directes ou séparée par un simple bras de mer. Et encore, j’ai laissé l’arabe de côté, momentanément seulement.
Je me rappelle la sortie d’un examen d’espagnol pour l’agrégation. Un niveau que je ne possède pas. Les impétrants échangeaient leurs impressions avec force exemples. Ces gens dont les connaissances linguistiques dépassaient les miennes de cent coudées n’auraient jamais pu être pris pour des Espagnols, ce que je peux faire assez aisément, ayant passé mes primes années dans cette atmosphère, avec des gens « du peuple » et à la maison. Chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a.
On m’opposera que les gens du Sud de la France roulent les r, qu’ils ont un accent (qui est censé chanter), etc. Je suis donc obligé d’en venir à la deuxième malédiction du français.
LA DEUXIÈME MALÉDICTION DU FRANÇAIS (EN FAIT, LA PREMIÈRE)
Elle s’énonce très simplement : le français n’a pas d’accent tonique. J’insiste : le français n’a pas d’accent tonique, contrairement à ce que racontent Hagège ou des illuminés de circonstance. Ils trouvent ou plutôt accentuent leur propre prononciation sur la dernière syllabe des mots français.
Que ce soit leur diction, passe. Mais qu’ils osent nommer cela « accent tonique », c’est ne connaître aucune des langues que j’ai citées et que j’ai apprises. De la même façon, il ne faut pas prendre pour un accent tonique français (inexistant) les dictions de certaines régions de France. J’ai vécu longtemps dans les Pyrénées orientales où la diction est profondément liée à la langue catalane (que je comprenais assez correctement). Il s’agit de diction locale, ce qui ne modifie en rien la règle française : l’absence d’accent tonique.
Mais finalement qu’est un accent tonique ? C’est l’association d’une intensité augmentée sur une syllabe associée à une modulation du ton (tantôt vers l’aigu, tantôt vers les basses selon les langues et les habitudes locales).
Ceux qui veulent entendre ce que serait vraiment un français accentué (accent tonique réel) doivent écouter la diction de Sarah Bernhardt qui est une diction théâtrale que je défie quiconque de supporter une heure actuellement[4].
En réalité le français est une langue « plate ». Aucun mot de la phrase n’est accentué, sauf pour des dictions particulières (un professeur qui insiste sur la valeur spécifique d’un mot, un acteur de théâtre, un récitant de poésie, ou un simple snobisme de circonstance). La phrase est donc, elle aussi « plate » (dans les mêmes conditions). Mais la diction du dernier mot de la phrase doit baisser d’intensité pour marquer la ponctuation (point ou équivalent) sans devenir inaudible, surtout si c’est un nom propre plus ou moins connu. Le reste n’est que verbiage d’ignorants auto-propulsés sur des réseaux sociaux.
Antoine Solmer
(à suivre, le 15 mai)
[1] 1 : Patrick sériot
Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale
PUF éd., 353 p.
[2] idem
[3] idem
[4] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&sca_esv=91cc4add99ba6e00&sca_upv=1&sxsrf=ADLYWILaW-E-cC_IGSc1j_4GluU78kAtAg:1715522676878&q=sarah+bernhardt&tbm=vid&source=lnms&prmd=ivnmbz&sa=X&ved=2ahUKEwjpoYn-o4iGAxXOU6QEHRgvB_QQ0pQJegQIDhAB&biw=1440&bih=654&dpr=1.33#fpstate=ive&vld=cid:8515c7da,vid:YUHMr62szZg,st:0