LES ALIGNEMENTS DE CARNAC

ALIGNEMENTS DE CARNAC
ALIGNEMENTS DE CARNAC

Ils sont quelques milliers, ces alignés, à faire tourner de travers les cerveaux des plus fins limiers du pays : ceux de l’histoire, du climat, des religions anciennes, des rites funéraires, des survols de comètes, des atterrissages de martiens, des potions magiques et de la médecine ancestrale. Mais ils ne savent rien.

Un jour un mage est sorti de la forêt des ombres. Il a jeté un sort. Celui de la grande peur, celui des morts-vivants. Et ils ont écouté. Ils ont courbé la tête, ils ont perdu leur vitalité, ils ont oublié leurs rêves, abandonné toute fierté, sacrifié leur liberté.  

Ils sont là. Immobiles, tenus par des gestes-barrières et des distanciations sociales, pétrifiés, stupides, apeurés, honteux, hallucinés. Le vent tournoie dans ce cimetière : « Prenez soin de vous… ne transmettez rien… pas le moindre souffle… baissez les yeux… oubliez la vie… nous prenons soin de vous… c’est la maladie de la pierre… c’est la maladie… »

Tous les jours : « 1852 dolmens couchés, 4500 dolmens branlants, 4796 dolmens enterrés… » Dès le matin : « … un peu moins aujourd’hui… attention dans l’allée de Kermario… envoyez une escouade ! » Tous les soirs : « Un bal interdit au Petit Ménec… Attestations… attestations… » Le dimanche : « Évacuation de Kerlescan… Veuillez obéir aux grutiers… pas de résistance… Une nouvelle carrière a été ouverte… » Et ça recommence, ça vrille les crânes, si durs fussent-ils !  

Et ils attendent qu’un enchanteur les réveille, après qu’un sorcier dévoyé les eut endormis, sidérés, empierrés, annihilés, décérébrés.

Car, n’en doutons, il fut un temps où ils bougeaient, remuaient, dansaient au bal des dolmens et dolmenettes, se jetaient dans des concours de grande bouffe, pinçaient les cordes de harpes et les filles délurées. C’était le bon temps, celui des amis qui passaient au village, qui frappaient à la porte, entraient sans façon, un temps où l’on suspendait « un violon, un jambon à la porte » et l’on voyait « rappliquer les copains », un temps où l’on marchait sur les plages, hissait les voiles, et « à la revoyure ! », un temps de grains de bonheur, où l’on savait chanter « qu’elle est belle ma Bretagne quand elle pleut », un temps de vieilles charrues et de bagad, un temps de couleurs, de vie, de binious, de fest-noz, et même un temps où « L’occupant nazi interdisant l’organisation de bals publics, des bals clandestins émergent dans les villages, loin du bourg [1]. »

Ils attendent qu’un enchanteur les réveille. Ne savent-ils même plus que le plus grand enchanteur, celui qui ravive le courage, qui anime la fierté, qui brandit la flamme de la liberté, c’est en nous qu’il réside ?

S’ils ne le savent plus, alors, que la mort éternelle des pierres reste en eux, car elle s’y cache déjà !

Mais déjà, quelques-uns tressaillent. Dans les grands champs de pierre, il me semble entendre une chanson. Elle vient de la mer, portée par Nolwenn Leroy. Écoutez Tri Martolod, un hymne à la vie en Bretagne pour toutes les régions de France.

Que tremble le mage de la mort masquée !

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fest-noz

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Une réponse sur “LES ALIGNEMENTS DE CARNAC”

  1. 1/ Merci pour ce beau texte !
    Voilà encore du Grand Antoine Solmer !
    Cela nourrit.
    2/ Nolwenn Leroy. Sacrée nana ! Sacrée artiste ! Sacré bout de femme !
    Superbe carrière. Merci de nous en rappeler l’existence. Je vais approfondir…
    La chanson Tri martolod (les trois matelots) est bien sûr une chanson du folklore breton – remise à l’honneur par Alan Stivell, reprise plus tard par NoLe. Trois jeunes marins partis en pêche (vers Terre-Neuve je crois) rencontrent là-bas une servante, et la suite est colorée, folklorée et gaie ; pas triste et pleine de vie…

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