CHAPITRE 2 NAISSANCE D’UNE TRAHISON
Revenons au lendemain de la présidentielle. Marion n’est pas seule à réclamer un nouveau bureau exécutif. Nicolas Bay et Guillaume Peltier l’exigent aussi. En parallèle, des échos parviennent de tous côtés, dans la presse, au RN, venus de certains cadres : nous sommes en mai 2022 et Guillaume Peltier tente par tous les moyens d’être investi par le RN aux législatives. Marine Le Pen le rejette. Il attendra jusqu’au dernier moment, à la dernière minute du dépôt officiel, pour déclarer sa candidature Reconquête, à force d’attendre un geste du RN qui ne viendra pas. Il retentera le coup pour les Européennes, suppliant pour une place sur la liste de Jordan Bardella. L’Express relate les propos suivants venus du RN (article du 6 septembre 2023) : « Guillaume Peltier est revenu toquer à notre porte et s’est proposé de détruire Reconquête de l’intérieur ». A l’époque, il dément formellement auprès d’Éric Zemmour.
Que se passe-t-il au fond ? Marion Maréchal et Guillaume Peltier étaient venus pour profiter d’une dynamique, ils l’estiment passée, ils en cherchent une autre. Ils n’ont pas la patience de construire les prochains succès de Reconquête aux côtés d’Éric Zemmour. Ils en font état lors de leurs dîners, ils en parlent à certains cadres. Si ces politiciens veulent obtenir des postes dans les années qui viennent, ils se disent qu’il faut se soumettre au leader du moment : le Rassemblement national. Et pour cela, ils ont une idée : il faut faire de Reconquête un satellite du RN, une sorte de pôle conservateur affilié à Marine Le Pen, dans l’espoir de décocher une alliance qui leur offrira des postes, à eux et à leurs proches.
Et vous voyez où peut mener le défaitisme lié à l’opportunisme… Au pire de ce que fait la politique. Le problème de ce plan ? Éric Zemmour, les cadres et les militants de Reconquête ont une ambition plus forte pour la France : ils pensent sincèrement qu’ils défendent des idées neuves, courageuses, qui méritent de risquer leurs prébendes et leur carrière. Par conséquent, ils refusent de sacrifier leurs convictions pour un poste et veulent continuer de construire un parti libre, un parti indépendant. Ils ne veulent être le supplétif de personne. Ils n’enrobent pas l’opportunisme du concept d’union des droites. En fait, Éric Zemmour fait obstacle à la satellisation de Reconquête, en assumant parfois frontalement de s’opposer aux renoncements des uns et des autres, et de marquer la spécificité de Reconquête, c’est-à-dire sa raison d’être.
Le 20 juin 2022, une interview dans Livre Noir de Philippe Olivier, beau-frère et conseiller de Marine Le Pen vend la mèche : « Si Reconquête acceptait d’être un parti complémentaire et pas concurrent du RN, on pourrait s’entendre », mais ce ne sera pas possible avec Éric Zemmour. Philippe Olivier poursuit : « Au RN nous avons regretté qu’Éric Zemmour se lance dans une OPA hostile, qu’il nous concurrence. Il nous aurait dit : ‘‘écoutez les amis, vous n’arrivez pas à avoir les bourgeois, moi je vais essayer d’aller capter un électorat plus bourgeois et je vais m’y prendre de telle et telle manière’’. Bon, on aurait pu s’entendre. ».
La feuille de route fixée par le RN à Guillaume Peltier et Marion Maréchal est ainsi claire : il s’agit désormais de faire de Reconquête un parti « complémentaire », qui se contente de « draguer les bourgeois » pour les apporter sur un plateau au RN. Ils vont s’y employer. Vous vous souvenez comme nous du jour du meeting de Paris, le 10 mars 2024, où Marion Maréchal a choqué les sympathisants de Reconquête autant que les journalistes en disant précisément : « nous sommes complémentaire avec le RN ». Vous vous souvenez aussi de l’énergie que Marion Maréchal et Guillaume Peltier ont mis à attaquer uniquement LR, en organisant la fête de la Violette, en harcelant François-Xavier Bellamy tout au long de la campagne européenne, avec des mots clairs de Marion Maréchal « je veux grand remplacer LR » (interview dans Le Point). Ils mettront encore plus d’énergie à empêcher les cadres de Reconquête d’affirmer leurs idées face au RN, allant même jusqu’à exiger – en vain – un droit de relecture du livre d’Éric Zemmour (avril 2023) pour s’assurer qu’il ne reviendrait pas sur ses désaccords avec Marine Le Pen. Vous êtes d’ailleurs nombreux à nous avoir posé la question : comment Marion Maréchal peut-elle se justifier de ne jamais critiquer le RN en parlant d’union des droites, mais passer tout son temps à agonir d’injures François- Xavier Bellamy ?
La stratégie est établie : ne pas marcher sur les plates-bandes du RN, ne pas parler à son électorat, considérer que c’est une chasse gardée, montrer patte blanche, séduire l’électorat que le RN ne peut pas encore séduire pour le lui apporter à terme. C’est ce que Marion sera bientôt contrainte de faire, mais avec sa propre boutique… Nous y reviendrons !
Pour l’heure, nous sommes à la fin de l’année 2022 et la question qui se pose à Marion et son entourage est la suivante : comment mettre totalement en œuvre cette stratégie de « satellisation de Reconquête » si Éric Zemmour et ses adhérents y sont récalcitrants ? Si Éric Zemmour désire, lui, parler à tous les Français, y compris aux classes populaires qui votent RN ? La solution est toute trouvée. Marion Maréchal doit prendre la tête de Reconquête, et pour cela diriger la liste de Reconquête aux Européennes, infléchir petit à petit sa ligne dans un sens pro-RN, s’opposer à Éric Zemmour, et in fine, l’évincer. Pour apporter Reconquête à sa tante sur un plateau, avec ses cadres, et ses électeurs.
En relisant ces lignes, je me rends compte que les manigances remontent à loin… Que cette trahison était préméditée de longue date. Après coup, l’évidence saute aux yeux. Mais vous devez savoir qu’à l’époque de ces faits, nous n’étions pas au courant de leur ampleur. Nous avions quelques indices, mais nous n’avions pas encore la totalité de ce dessein. Nous voulions encore éviter le pire, combattre le défaitisme et assurer l’unité du parti.