LA MALÉDICTION DÉMOCRATIQUE DE L’ARTICLE DÉFINI

COMPRENNE QUI PEUT, COMPRENNE QUI VEUT
COMPRENNE QUI PEUT, COMPRENNE QUI VEUT

UNE HISTOIRE DE POMMES IGNORÉE DE NEWTON

Apparemment, quoi de plus simple que l’article défini : le, la, les. On pourrait presque chanter ses formes premières. Un pas de plus, et voici les formes partitives : du, de la, des. Ça se chante toujours. Et nous sommes contents, parce que nous désignons un objet précis – du moins nous le croyons. Nous arrivons aux adjectifs démonstratifs : ce, cet, cette, ces. Puis viennent les pronoms : celui-ci, celle-ci, celles-ci, ceux-ci, celui-là, celle-là, celles-là, ceux-là. La petite chanson se complique, non que nous soyons mauvais chanteurs, mais parce que nous sentons qu’un intrus se glisse dans les paroles.

Classiquement celui-ci (avec son équipe) fait référence à un objet précis, bien près de nous, presque à le toucher. Alors que celui-là (avec son équipe) fait référence à un objet plus éloigné. On ne le touche pas, on le distingue un peu moins bien, ses proportions apparaissent moins précises. Pour peu qu’il nous manque la possibilité de vérifier que toutes ses caractéristiques l’identifient au précédent celui-ci, nous en arriverions à penser qu’il devient « moins défini », presque « indéfini » : un, une, des,  avec leurs formes partitives de l’un, d’une, des unes, d’eux. Et encore, je n’y rajoute aucune des nuances de sens que permet la langue orale. Ah ! Celui-là… !

Notre petite chanson qui commence par le, la, les, se terminerait bien en un, une, des.

Nous comprenons bien que la précision descriptive de l’article défini se heurte vite à des limites qui sont celles de l’indéfini, lesquelles peuvent néanmoins revenir à « du » défini.

Cela vous semble compliqué ? Inutile ? Coupe de cheveux en quatre ?

Alors, passons à la pratique !

À TABLE, SOYONS POLIS ET PRÉCIS

Que demandez-vous à votre voisin de table lorsqu’une des pommes du panier de fruits vous fait envie ?

« Passe-moi une pomme », ou passe-moi la pomme » ?

Imaginons qu’il vous passe une pomme qui ne vous plaise pas. Selon l’ambiance, vous la mangerez ou en demanderez une autre. Mais en utilisant quelle expression ?

« Passe-m’en une autre » ? Ou : « Passe-moi la pomme la plus rouge ? »

Dans la réalité, nous naviguons sans cesse entre le défini et l’indéfini.

Plus il y a de pommes, plus cette navigation subit des turbulences.

Dans le cas où l’objet référencé serait unique, il deviendrait indifférent, mais dépendant du sens et du ton de la phrase, d’utiliser l’un ou l’autre de ces articles.

S’il n’y a qu’une pomme dans le panier de fruits, il devient aussi productif de demander la pomme, qu’une pomme, ou… le panier. Et le choix de la – ou d’une – phrase dépendra de l’humeur du moment, du dépit à la satisfaction, en passant par toutes les nuances de l’humour.

LA MALÉDICTION DE L’ARTICLE DÉFINI…

Eh oui ! L’article défini est définitivement maudit. Il fallait bien lui trouver un nom, me répondra-t-on. Alors, celui-là ou un autre !

Maudit, dis-je, car vrai et faux, selon l’usage qu’on en fait.

Notre histoire de pomme n’avait que la saveur d’une historiette grammaticale ou d’une compétition d’horticulteurs.

Mais remplacez le mot pomme par démocratie. Tout change !

Nous sommes déjà saturés du mot démocratie qui encombre les gosiers de tant de ténors politiques. Que l’un d’eux veuille nous « vendre » une de ses merveilleuses décisions, ou une taxe miraculeuse ou une autre privation de liberté, il en appelle à « la démocratie ». Le mot magique qui lui sert de baguette à ahurir les plus éclairés des esprits enluminés.

« La démocratie… » Il faut entendre l’enflure de la voix qui annonce le professionnel du vide-gousset, il faut noter l’allongement de la dernière syllabe, ce … tie en son de scie, dont je rappelle le sens de chanson lassante. Il faut noter les trois petits points montrant la traîne de la voix qui en appelle à l’écho des savanes et au vendeur d’épluche-patates.

Oui, la démocratie, avec l’article défini, fait partie de l’arsenal soporifique du politicien de toute écurie, des plus toquards aux plus primés, les uns et les autres montrant à tour de rôle leurs capacités à parader dans toutes les courses.  

Comme tout changerait – j’ose l’espérer – si l’un et l’autre – au moins – de ces bourriquots en folie nous annonçait « sa » démocratie, une démocratie qui s’articulerait en principes définis précisément, non par le petit bonheur de l’article défini, mais par la définition de ses contours, de ses actions, de ses buts, de ses avantages et de ses inconvénients. Car toute action, toute décision porte en elle ses bénéfices et ses pertes, ses réussites et ses pertes.

Remarquons que la démonstration précédente vaut pour tous les « grands mots » vidés quotidiennement de leur sens par les tordeurs de vérité dont l’actuel maniaque du « en même temps » fournit un exemple caricatural. Liberté… État de droit… Guerre au virus, etc.

COMMENT CET ARTICLE DIT DÉFINI EST-IL MAUDIT ?

Le mécanisme de cette malédiction est simple. Il substitue une chose et son principe, ou, en variant les approches, une manifestation et son immanence, le phénomène et le noumène.

Plus aisément, c’est la manipulation par laquelle un objet réel est confondu avec son image virtuelle produite par un miroir déformant.

Il serait assez utile d’apprendre aux adolescents les subtilités de la langue française, et de la rhétorique, lesquelles, manipulées par les politiciens tordus et tordant [1] deviennent chaque jour plus fourchues.

Il serait encore plus utile, à tout âge, de ne pas se laisser endormir. Les gredins n’attendent que cela.

[1] Gérondif portant sur l’action de tordre, hors toute idée humoristique.

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