LA BÊTISE DE L’INTELLIGENCE

Manifestement, l’étrange situation où nous sommes depuis bientôt deux ans, produit d’un narratif officiel terrifiant, déconnecté de la réalité et nous plongeant dans l’hyper réalité annoncée par Baudrillard, est propice à une formidable régression de l’intelligence. Comme l’écrivait Belinda Cannone, « la bêtise s’améliore », aujourd’hui plus que jamais. D’innombrables exemples illustrant cette défaite de la pensée pourraient venir en apporter la preuve, mais je n’en prendrai ici que deux : le premier est l’occasion de refaire ce constat aussi affligeant que banal, à savoir que la vanité ne fait pas bon ménage avec la lucidité. On peut parler brillamment de philosophie sans pour autant être un sage comme l’a tout récemment, et une fois de plus, démontré Luc Ferry : sur CNews, il s’est lâché contre les « anti-vax » en les traitant de paranoïaques. Avec une comparaison de haut vol, démontrant à quel point il méconnaît la psychopathologie. Selon lui, ces paranoïaques d’anti-vax seraient comme une dame de sa connaissance dont l’évier était envahi de Mickey ; voici le verbatim de sa brillante comparaison: « Moi je connaissais une dame, quand j’étais gamin, elle voyait des Mickey dans son évier. Je lui disais “mais non Augustine, les Mickey ça ne vit pas dans les éviers c’est pas possible”. La seule chose qu’elle en a déduit, c’est que j’étais de mèche avec les Mickey, je n’ai jamais réussi à la convaincre !».

Conclusion de Ferry: «il est très complexe, voire impossible, de discuter ou de raisonner ces personnes qui voient des complots partout».

Il est sans doute encore plus difficile de discuter avec celui qui est persuadé d’avoir raison et proclame en toute occasion que ceux qui ne pensent pas comme lui sont des imbéciles. Inutile de lui rappeler la différence entre le délire d’une psychose hallucinatoire chronique ou les premiers signes d’une démence dégénérative, pathologies produisant le type d’hallucinations de la pauvre dame qui voyait des Mickey dans son évier et la paranoïa, caractérisée par un raisonnement juste reposant sur des prémisses fausses puisque son commentaire relève précisément de ce type d’altération du jugement spécifique de cette dernière pathologie. Qui fait d’ailleurs bon ménage avec l’infatuation dont il fait si régulièrement preuve. On se trouve donc là devant une variante plus attristante que drôle de l’arroseur arrosé. Tâchons néanmoins d’en sourire, il paraît qu’exercer ses zygomatiques est bon pour l’immunité !

Mais la vanité n’est pas le seul ferment de la bêtise qui s’empare d’esprits pourtant brillants. La peur, avec son activation de l’amygdale cérébrale et l’inhibition du lobe préfrontal qui en résulte, indispensable à la réflexion, est grande pourvoyeuse de suivisme imbécile. Nos gouvernants l’ont bien compris, la peur est l’ingrédient central de ce narratif qui annonce en permanence les catastrophes qui nous attendent si nous ne nous soumettons pas aux contraintes qu’ils nous imposent alors que la moindre prise de recul permettrait aisément de découvrir à quel point elles n’ont rien de sanitaire et sont dépourvues de toute justification scientifique. Est-ce alors la peur qui fait qualifier par Cynthia Fleury, elle aussi habituellement plutôt pertinente, de « complotisme », terme fourre-tout, disqualifiant, vide-ordure de la pensée, tout discours qui dénoncerait les aberrations qu’on nous fait subir ? Elle n’a craint pas d’affirmer sur France Inter que le complotisme « est une manière de valider qu’on a une forme de maîtrise, qu’on n’est pas dupe, de valider son intelligence par la bêtise » et, soulignant la difficulté de “contre-argumenter”, elle ajoute : “Le logos qui nous permet de retrouver de la confiance, on ne peut plus lʼactiver. Car le complotisme est un délire paranoïaque et tout signe va venir renforcer la thèse émise, il permet de donner aux biais de confirmation un terrain absolu. Tout ce qui va être dit, vu, va être interprété pour confirmer la thèse.”

Là encore, la formule est parfaitement réversible, mais au passage, la possibilité même du débat, une fois de plus, est expulsée. Celle qui sait a tranché.

Le salut ne nous viendrait-il pas pourtant d’un dépassement du clivage, de cette stérile modalité binaire du pour-contre, afin de redonner ses chances à l’intelligence, mais une intelligence incarnée, qui ne craigne pas de se frotter au rugeux réel de l’existence ?

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