C’ÉTAIT MIEUX AVANT ? CELA NE PEUT ALLER QU’AU PIRE !

L’article de Claude Henrion intitulé « C’était mieux avant [1]» a impressionné un ami et correspondant qui m’a posé plusieurs questions à son sujet. Elles tiennent toutes à l’avenir de notre civilisation. Plutôt que de les synthétiser, je préfère les présenter en bloc. À cela deux avantages. Le premier : d’en souligner la richesse. Le second : de ne pas trahir sa pensée. J’ajoute, et j’y vois autant d’amitié que de confiance, qu’il me demande un avis, après le diagnostic de Claude, qu’il partage.

VOICI SON TEXTE

Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Est-ce parce que nous obéissons au destin de toute civilisation, dont Valéry nous a rappelé qu’elles étaient mortelles ? Avons-nous atteint la date de péremption de la civilisation occidentale ? En sommes-nous au même point que l’empire romain du Ve siècle ? Avec l’avantage décisif sur Rome que nous n’avons même pas à attendre que des barbares sortent des sombres forêts du limes oriental pour venir parachever notre agonie ? Les barbares nous leur avons ouvert toutes grandes les portes de notre commune demeure et les nourrissons en notre sein ! Ou alors, Wolff a-t-il raison qui assurait il y a bientôt trois ans qu’un plan diabolique (mondialiste, au profit d’une classe dirigeante occulte) nécessitait, pour mettre en place une société de contrôle tous azimuts, qu’on passât par la case « chaos »…

Ou encore, ce qui peut se conjuguer avec les autres hypothèses, qu’une pulsion de mort, un tropisme suicidaire nous pousse vers l’abîme, conséquence mortifère de la culpabilité collective résultant de toutes les horreurs du XXe siècle (les progrès aveugles de la technique dans un monde matérialiste ayant permis l’industrialisation aussi bien de la guerre que de l’extermination) ?

COMMENT RÉPONDRE ? D’ABORD EN RELISANT

Comment répondre à ce terrible et parfaitement véridique panorama ? Une réponse de fuite consisterait à souscrire sans rien ajouter, attendu que nous partageons les mêmes diagnostics. Mais amusons-nous – puisque la chose est grave – à préciser notre pensée par une petite analyse.

Son texte frappe dès la phrase introductive : « comment en est-on arrivé là ? »

Ce « là » est le maître-mot. Il donne le la de la chose qui nous attend. Dans son imprécision apparente nous trouvons la clef de voute de sa pensée. Ce « là » interrogatif semble ouvrir tous les champs du possible, alors qu’en réalité il ne nous en offre qu’un, celui qu’on n’ose prononcer qu’à voix étouffée dans la chambre d’un malade dont la disparition est prochaine.

Ce « là » est pire que notre y, lequel, par sa forme résume son sens profond. Si on l’imagine de bas en haut, il monte vers une bifurcation interrogative. Des choix sont possibles. Même si l’avenir nous échappe, nous avons – ou croyons, espérons avoir – une bonne et une mauvaise route, et nous en sortir « par le haut ». À l’inverse, si le regard qui mène notre pensée est descendant, un unique chemin nous est imposé. La descente, au sens propre ou au sens figuré, nous ramène à ce qui est « en bas », aux enfers. Et nous ne sommes ni Ulysse ni Orphée pour avoir le droit de remonter vers l’air libre… au moins une fois.

Oui, il s’agit bien de la mort, ce « là » où nous sommes arrivés. Et l’usage du passé composé (« en est-on arrivé), souligne l’inéluctable passage sous la banderole finale, celle sous laquelle il n’y a que des perdants. Il n’y a même plus l’hypothèse quelque peu rassurante d’un présent « comment en arrivons-nous là ? » pour offrir l’idée d’un coup de frein terrible, aussi sauveur que brutal et risqué. Ah ! La merveilleuse subtilité des temps du français dont la forme verrouillée nous offre ses subtiles ouvertures.

Après la phrase introductive, viennent les hypothèses de travail.

L’avertissement sans frais de Valéry nous offre encore un peu de temps, peut-être. Quant à la date de péremption obligatoire des conserves, on sait ce qu’il en est. Les trop bonnes ménagères jettent à la poubelle ce qui est encore techniquement consommable, et ainsi, participent au grand gaspillage qui nourrit les bienfaiteurs professionnels dont elles deviennent les esclaves… avec les meilleures intentions du monde (qui amènent toujours les pires résultats). Bien sûr il reste la péremption réelle, celle de la vie de la conserve, dont on aimerait que la nôtre y ressemble : inéluctable, certes, mais si loin de toute étiquette légalisée.

La fin de l’empire romain ne cesse de fasciner les historiens. Avant le célèbre ouvrage de Gibbon[2], Végèce au Ve siècle était bien placé pour mettre en cause la barbarisation et l’imprégnation, pour ne pas dire plus, des légions romaines par les fameux « barbares ». On apprend que les théories explicatives se comptent par centaines, ce qui est certainement vrai, car il s’agit de la mort d’un empire, qui, comme celle des humains, est consubstantielle à leur vie. Voilà qui ouvre la voie à la noyade ou, mieux, à des synthèses intéressantes.

Mais comme le dit mon ami, les Barbares ont déjà largement sauté le limes oriental. Et j’imagine que les quelque 6000 habitants de Lampedusa ne me contrediront pas si je dis que notre limes méridional vient une fois de plus d’être franchi par les 5000 nouveaux arrivants sur leurs côtes. S’il ne s’agit pas de submersion…

Quant au plan mondialiste… nous savons, nous serons accusés de complotisme par les vrais comploteurs. Alors, soyons clairs. Toutes les polices et services spécialisés connaissent les responsables qui agissent de concert : les passeurs et trafiquants de chair humaine et les récepteurs intéressés masqués sous le vocable d’ONG aux intentions angéliques. Des anges comme ça, qui cachent bien mal leurs grands pieds fourchus, on s’en passerait. Quant aux responsables, depuis le dernier gratte-papier perdu dans les basses cours de Bruxelles et autres lieux mal famés, aux politiques les plus en vue, lénifiants, faussement assurés et rassurants mais pourris jusqu’à la moelle, faut-il plonger dans la bêtise la plus crasse pour les exonérer de ce qui n’est qu’un assassinat de peuple, un populicide ? Allons, jouons l’avocat du diable. S’ils ont une excuse, c’est que le « peuple », vote par crainte, par bêtise, par intoxication, par pulsion suicidaire : parce qu’il le  veut bien, parce qu’il le vaut bien. Pardon Claudia Schiffer !

La phrase de mon ami est juste : « parachever notre agonie ». Et l’agonie, ce n’est pas beau. Pire, ça grince, ça gesticule ou ça s’effondre. Moralement ou physiquement, c’est plus laid que triste, parfois au point d’en devenir grandiose. Mais quand il s’agit d’un peuple, ça pue. Nous n’en sentons que les premiers effluves.

Comme si tout cela ne suffisait pas, vient l’hypothèse synthétique : « pulsion de mort… culpabilité collective…. horreurs du XXe siècle… progrès aveugles de la technique… monde matérialiste… industrialisation aussi bien de la guerre que de l’extermination. »

J’ose dire que nous touchons là au pire enchaînement, car c’est celui qui déchaîne les monstres en nous, nés du terrible orgueil de l’humain qui se prend pour Dieu, alors qu’il n’est au mieux qu’un Adam imbécile, au pire qu’une chimère née du couple primordial informe, visité par les sinuosités insinuantes du vieux serpent vicieux.

Son meilleur avenir est la mort, celle qui soulage finalement le schizophrène en proie à ses horribles délires.

QUI QUESTIONNE ? QUI RÉPOND ?

Venant d’horizons différents (géographiques, spécialités médicales, cultures) on ne peut dire que nous nous sommes donné le mot pour créer le dialogue attendu d’une mauvaise pièce de théâtre. Autrement dit, par des sources diverses, avec des regards attentifs et surtout sans naïveté, nous regardons notre monde se détruire. Avantage à mon ami, son écoute de psychiatre pétri d’humanité, ouvert à bien des chemins inhabituels de notre civilisation occidentale. Je n’irai pas au-delà dans ce qu’il m’a confié de sa vie.

J’évoquais dans le chapitre précédent la fascination de la chute de l’empire romain sur les historiens. Cette même fascination portait les échanges de personnes ayant le sens de l’histoire, et l’intelligence de la rapporter aux situations présentes. Pour le dire clairement, j’ai eu l’avantage (au plan intellectuel) d’avoir été admis dès mon jeune âge aux discussions ad hoc de mon père et de son frère, tous deux ardents défricheurs de sens et visionnaires dont les prévisions n’ont cessé de se confirmer. Aujourd’hui, les gamins se noient dans les jeux de leurs tablettes. Ils n’en ressortent que pour ressasser les craintes vendues par des manipulateurs vicieux qui leur masquent les vrais périls mortels. À leur âge, en Algérie où la présence de la romanité était si forte, je vivais la chute de l’empire français, ses secousses, ses poisons présentés dans la grandiloquence des traîtres, et la morne sinon agressive indifférence des Métropolitains. Maintenant, les barbares sont là, non parce qu’ils sont plus forts, mais parce que le coq gaulois est devenu le chapon de service.

Avantage personnel, j’ai fréquenté la mort depuis mon enfance, ai manqué de la recevoir à bout portant, prêt à la donner moi-même, et ne suis vivant que par une étrange concordance des temps. Elle – la célèbre faucheuse – m’a frôlé en plongée profonde (je ne parle pas d’un club de vacances), lors d’un accident d’avion, et de quelques autres dérapages dans la cordillère des Andes. Il faut bien passer le temps – au sens le plus propre de l’expression – comme on peut. Et puis, par profession, j’ai suivi tant de nuits d’agonie, préalables aux autopsies nécessaires, que les ailes sombres de la bestiole finissent par offrir d’étranges perspectives sur son chemin.

Alors, bien sûr, je commencerai par parler de la mort, dans le prochain article.

Antoine Solmer

À suivre…

[1] https://www.geocortex.site/blog/cetait-mieux-avant/actualite/

[2] Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, paru vers la fin du XVIIIe siècle.

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