AVANT LA RETRAITE : DES NORMES TECHNIQUES ET DES NORMALISATEURS (4

Dans l’article précédent nous avons vu comment apprécier (donner leur juste prix) à quelques conditions de travail dont la liste pourrait s’allonger outre mesure. Nous avons surtout vu se dessiner le triangle pénibilité-dangerosité-acceptabilité. Aujourd’hui, nous parlerons d’une production à cadence infernale : celle des normes et de leurs parents-éprouvettes, les normalisateurs normalisés et normalisant. Le premier volet est celui des normes techniques, de leur intérêt et de leurs limites.

DES OUTILS BIEN NORMÉS

Il semble logique de serrer un boulon avec la clef de la bonne dimension. Il semble aussi logique que le métal de cette clef ne se torde pas au moindre effort, que les filetages s’adaptent de façon à ce que rien ne grippe ni ne se desserre. Il est raisonnable que le câble conducteur d’électricité soit de la dimension adaptée à la puissance des lampes ou outils que nous y branchons. Il est indispensable que notre voiture démarre sans effort, que la chaîne de notre vélo soit bien tendue, etc.

Rien de cela ne s’improvise. La production de tous ces outils et autres marchandises doit être prévue, mesurée, contrôlée selon des normes précises, et cela est bien. Mais jusqu’où, par qui, et à quel prix ? Selon que l’on est un amateur ou un professionnel les normes doivent s’adapter. Entre un outil un peu moins précis (mais tout de même efficace) qui servira 10 fois et un autre qui devra rester fiable un millier de fois, les critères normatifs peuvent s’autoriser quelques différences, et le prix s’en ressentira.

LA LIMITE DU SYSTÈME

Le système n’en finit pas de s’amplifier. L’UE normalise à tout-va. Son argument fondamental est d’aider au développement des services et des biens, et surtout d’éliminer les barrières du marché. Bien entendu, on n’oublie pas d’ajouter la garantie de sécurité et de santé des consommateurs. Tout est parfait dans les meilleur des mondes de l’UE.

On oublie trop que les fabricants et commerçants n’avaient pas attendu la commission européenne pour passer les barrières et vendre leurs produits. Les premières guildes remontent à Charlemagne. Les représentants de la Ligue hanséatique ont sillonné l’Europe, la vraie, du XIIe au XVIIe siècle.  Les foires du Lendit, entre Paris et Saint-Denis, étaient parmi les plus importantes de France avec des milliers de marchands de toute l’Europe jusqu’à Byzance. Elles ont fonctionné du VIIe siècle jusqu’en 1793.  Quant aux foires de Champagne, elles remontent aux Mérovingiens, ont attiré toute l’Europe au Moyen Âge jusqu’au XIIIe siècle.

Ainsi, nous atteignons le dernier petit coin du ridicule lorsqu’en 2013 la commission européenne s’est délestée d’une étude de 122 pages sur les chasses d’eau et urinoirs. Elle portait sur le débit d’eau – Charles Trénet l’avait déjà chanté bien plus poétiquement – et le comportement de l’utilisateur. Ont-ils prévu la question de la constipation et de la prostate défaillante ? Je ne sais et n’ai nulle envie de perdre mon temps à ce triste déballage. Il aura fallu trois ans de travail, et près de 90 000 euros (ça me paraît faible) pour pondre 122 pages. À défaut, suivez avec bonheur les 23 pages soumises à notre Assemblée nationale ou au Sénat. À vous dégoûter de vous présenter aux législatives [1].

Comme si les fabricants de cuvettes, de chasses et autres urinoirs n’étaient pas capables de lancer un nouveau modèle moins coûteux en eau, d’en faire une belle campagne publicitaire, et de distribuer leur produit sans l’aide d’on ne sait combien de crânes d’œuf penchés, non seulement sur les modes d’emploi, mais aussi sur les sièges ad hoc.

Et combien d’exemples aussi fumeux pourrait-on trouver ? Probablement des centaines. Qu’il y ait des règles de bonne fabrication est une nécessité. Que les produits mis sur le marché soient testés et surveillés par un service spécialisé, rien n’est plus naturel. Mais c’est aussi oublier les vérifications des services « qualité » en fin de production. Tous les industriels ne sont pas obligatoirement de dangereux délinquants vendant des produits pour tuer leurs clients.

Et quand un constructeur de voitures rappelle un de ses modèles, c’est après des remarques de clients ou de son propre service qualité, et ce n’est pas dans les garages de l’UE qu’on le répare.

QUAND LE NON-RESPECT DES NORMES EST CRIMINEL

Le 1er novembre 1970 éclata l’incendie du 5-7 à Saint-Laurent-du-Pont. 140 jeunes gens et jeunes filles brûlés à mort en quelques minutes dans un dancing qui n’avait respecté aucune norme de sécurité. Cloisons en polystyrène inflammable, mobilier en plastique lui aussi proie rapide des flammes, etc. Les seules normes de sécurité outrageusement respectées par les  propriétaires étaient celles de leur porte-monnaie : deux issues de secours fermées à clef, un tourniquet d’entrée de style obstacle au franchissement de frontière non débrayable.

Je vous engage à regarder le terrible reportage sur cet épisode qui nous fait réfléchir sur les normes  [2], leur non-application par des margoulins, mais qui pose la question de l’autorisation d’ouverture de tels établissements. Car si 68 irrégularités ont été découvertes après le massacre, la question de l’État préventeur, garant de la sécurité et justicier se pose.

Ceux qui voudraient connaître d’autres exemples chercheront « Collège Édouard-Pailleron ». Cela aussi est à frémir[3]. Pondre des normes à répétition comme des poules en batterie, n’est pas suffisant.

L’article suivant portera sur les normes d’exécution, autrement appelées « process ».

À suivre

Antoine Solmer

 

[1] https://www.senat.fr/europe/textes_europeens/e8549.pdf

[2] https://www.youtube.com/watch?v=wvq_K2PSLpc

[3] https://www.google.com/search?q=coll%C3%A8ge+pailleron&client=firefox-b-1-d&sxsrf=AJOqlzWNk0kZ7qAme0s_cOaSo5JJNADJZw:1674713093957&source=lnms&tbm=vid&sa=X&ved=2ahUKEwiWoMO4yOT8AhUhQaQEHVZ8DPYQ_AUoBHoECAIQBg&biw=1216&bih=587&dpr=1.58#fpstate=ive&vld=cid:e81525a7,vid:vJFWyNPbjrM