LE SCIENTISME REND FOUX CEUX QUI EN SONT ATTEINTS

LA MACHINE D'ANTICYTHÈRE
LA MACHINE D’ANTICYTHÈRE

La Science déviée en scientisme n’est qu’une des nombreuses manifestations du groupe polythéiste qui comprend aussi la Démocratie, le Bien commun, la Justice, la Santé, le Rap, le Communisme, etc. Elle traîne en son sillage ses églises, ses papes, ses dogmes, ses prédicateurs, ses fidèles, ses hérétiques, ses conflits internes, ses vêtements blancs et ses dessous noirs.

Nous avons déjà connu la déferlante scientiste qui a frappé le XIXe siècle, et ça recommence. C’est chaque fois pareil. Les mêmes gogos, les mêmes envolées, les mêmes atterrissages brutaux. S’il est incontestable que nous bénéficions tous de progrès physiques liés aux retombées pratiques de la science, il est non moins vrai que nous n’avons aucun progrès moral à en attendre. D’abord parce que les chemins de la science et de la morale se développent en des friches différentes de notre esprit. Ensuite parce que la fréquentation de ce qui est étranger à la majorité des autres peut facilement pousser quelques-uns à se positionner plus haut qu’ils ne le méritent. Autrement dit, la frontière entre Science et Scientisme est vite franchie par les suiveurs inconscients du Dr Folamour, déclenchant une épidémie qui frappe allègrement, bêtement et politiquement. Montaigne le traduisait avec la verdeur de l’époque : « Si haut qu’on est assis, on n’est jamais assis que sur son cul » et Rabelais l’avait précédé avec son célèbre : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme… » qui est l’une des plus grandes maximes du genre humain.

LA REINE DES SCIENCES : D’ABORD UNE SOUVERAINE ISOLÉE

Il existe une seule science qui mérite pleinement ce nom : celle des mathématiques pures, épaulées de son logos, si réduit, si étrange, si codé soit ce mode de communication. Admettons qu’il puisse arriver à certains surdoués en la matière, d’atteindre par cette voie réservée quelques émergences de poésie. Je me le suis laissé dire, et ne vois aucune raison de le contester.

En quelque sorte, tout ce qui peut se résoudre avec un crayon, une feuille de papier, quelques postulats, et neurones adaptés (la célèbre « bosse des maths ») pour en dérouler la suite congruente jusqu’à l’étirement final où, peut-être, un nouveau ciel se dessine.

La géométrie (l’art de raisonner juste sur des figures fausses), s’est scindée en différentes branches, qui sont parties prenantes des mathématiques, jusqu’à faire presque oublier les origines de cet étrange regard sur le monde qui consister à mesurer la terre, puis les mers, et de poursuivre jusqu’aux étoiles, et après…

Revenons aux mathématiques, à leurs limites. Une fois admis le principe que les mathématiques (la « mathématique » dite moderne) sont une science, peut-on dire à l’écolier récitant sa table de multiplication qu’il « fait de la science », qu’il est un scientifique, un savant, un sachant ? Il deviendra peut-être tout cela, mais en attendant, il utilise une technique déviée de la science pure. Et c’est bien, même si trop dévalué de nos jours.

Idem pour le commerçant qui vous rend la monnaie pour une fleurette à 8 euros, payée avec un billet de 10. S’il sait encore compter de tête et vous rend deux euros, fait-il de la science ? S’il vous rend trois euros, fait-il de mauvaises affaires, et vous ? S’il vous rend un euro, il fait du commerce. Point !

Autre limite, celle de discoureurs qui ponctuent leur péroraison et assènent : « c’est comme deux plus deux égale quatre ». Pauvres « scientifiques » qui se fondent sur une simple convention de terme. Tout mathématicien traduira différemment, par exemple, d’apparence stupide :

2 + 2 = 4 + x, si et seulement si x = 0.

Ou encore, en utilisant des nombres rationnels et irrationnels :

2+2 = 4 + 28/4 – √49

C’est un bon chasse-clou à utiliser contre celui qui voulait river le vôtre. Mais il est déconseillé de demander ainsi quatre gâteaux à votre pâtissier.

Alors, si je posais comme point de départ que :

2 + 2 = 4 + x, avec x entier positif différent de 0.

Qu’en sortirait-il ? Un éclat de rire général ? Un zéro pointé avec retour dans les petites classes ? Le conseil d’acheter tout de suite une calculette ? Ou une formidable théorie qui me dépasse ? Ma première hypothèse est d’éliminer cette dernière solution, mais… les ensembles disjoints…

La reine des sciences s’en tient donc à un ou plusieurs postulats développés selon des processus logiques vérifiés et cohérents, démontrés, poussés au maximum de nos possibilités neuronales, sans autre outil que l’écriture. C’est ainsi que s’est formé le corpus le plus scientifique qui soit.

Le reste appartient à la logique, à l’expérimentation, à la technique.

LA TECHNIQUE : UNE ALLIÉE ENCOMBRANTE QUI A SU S’IMPOSER

J’ai évoqué les calculettes, dont nous manipulions les ancêtres sous formes de règles à calcul et de tables de logarithmes. Cette pratique – à notre petit niveau – était-elle scientifique ? Oui et non ! Oui tant que nous posions et développions intellectuellement la résolution du problème. Non, si la solution dépendait de nos braves outils antédiluviens, si scientifiquement qu’ils eussent été conçus. Nous redevenions alors des techniciens, éventuellement retransformés en « scientifiques » (amateurs, je précise) jusqu’au prochain blocage nécessitant nos petits doigts agiles.

Mais avant nous ? Pour peu qu’on admire le génie de Pascal, nous gardons en mémoire sa machine arithmétique de 1642, l’ancêtre des machines à calculer.

Encore un bond à rebours. Si nous avions plongé à soixante mètres de fond, près de l’île Anticythère, avant 1900, nous aurions –peut-être – découvert un vieux mécanisme de bronze, à condition d’y précéder les deux plongeurs grecs qui en furent les inventeurs (au sens légal).

L’âge de cette machine dite d’Anticythère : peut-être vers le troisième siècle avant J.-C. Il y a 24 siècles, de merveilleux artisans ont conçu la trentaine de roues dentées en bronze, dont le « fonctionnement, basé sur une modélisation mathématique de la course des astres, repose sur la rotation d’engrenages de tailles différentes entraînant des aiguilles indiquant la position des astres à un moment donné. »[1]

Ainsi, d’une observation du ciel, enrichie d’une modélisation mathématique, transformée en machine qui est « considérée comme le plus bel exemple mécanique des mathématiques de la Grèce antique »[2] l’homme s’est propulsé – mentalement – dans l’univers.

Ici, il est manifeste que la science pure se place entre la sensation visuelle de l’homme et sa pratique artisanale. Question : les frontières entre ces étapes sont-elles bien définies ? Combien d’erreurs, de faux espoirs, de persévérance, de dialogues entre ces trois étapes ? La question de l’œuf et de la poule s’est enrichie d’un poulet. Nous ne la résoudrons pas, préférant garder notre classification, qui, pour arbitraire qu’elle puisse paraître, reste un bon outil.

REGARD ICONOCLASTE SUR LES SCIENCES EN LEUR BASSE-COUR

La Science vit. À peine posée sur son Olympe, la voici qui engendre sa nichée, comme la moindre des poules pondeuses. Alors, les poussins picorent dans la basse-cour, secouent leurs plumes et s’organisent. Sciences dures, d’autant plus orgueilleuses de leurs griffes, qu’aucun  ne se revendique de Sciences molles, Sciences exactes, qui arpentent le terrain, sans qu’aucune Science inexacte ne piaille en contre, Sciences humaines, qui relèguent dans les déserts les éventuelles Sciences inhumaines. Quant aux Sciences de la nature, elles ne manquent pas d’air, ni d’entrailles, ni de matériels de toutes sortes, ce qui en fait le paradis des brocanteurs, et illusionnistes de tout poil (pardon pour les petits poussins, si quelques renards s’y mêlent).

Il y a un petit problème avec toutes ces sciences, et même un gros. C’est leur assise majestueuse, pour ne pas dire leurs assises judiciaires, condamnant d’avance les déviationnismes, passés présents et à venir, décrétant la vérité du jour, tout en méprisant celle d’hier, et en niant celle de demain, qui peut commencer à l’instant même, tout en sachant très bien qu’elle s’imposera tout de même. Le titre de scientifique est grand. Il se décline en savant et même en sachant, qui cache à peine ses plumes de sachem. Je vous l’ai dit, les petits poussins voient grand, et se prennent pour des aigles, quand ce n’est pas pour des paons.

LA SCIENCE ET LE BIPÈDE

Mais, foin du reportage à longue distance, embarquons-nous dans un peu de théologie scientifique élargie. La Science prétend détenir la Vérité. Bien ! Remarquons la structure tautologique de cette affirmation, laquelle procède du mouvement perpétuel. La Science détient la Vérité et la Vérité coïncide avec la Science. L’une garde l’autre, comme l’opium et sa vertu dormitive… et tout cela nous endort. Car si la Science révèle une vérité, c’est celle de son domaine… à moins qu’elle ne se hasarde à vouloir envahir d’autres espaces.

Car, il y a un petit problème, un tout petit. Il a deux pattes et un néocortex, il se dit Homme dans toutes les langues du monde, et refuse ce qualificatif au groupe étranger. Il navigue dans le Réel, il a commencé par se bagarrer à coup de pierres, bien avant d’en frapper deux pour en tirer des étincelles. Il traçait quelques dessins en grognant « arrrh », « arrrh », que nous avons mis des milliers d’années à traduire : art, art. Il a profité de sa station bipédique pour voir plus loin ses proies ou ses ennemis, et aussi plus haut dans le ciel, passant des milliers d’années à comprendre qu’il devenait aveugle s’il s’obstinait à fixer cette grande boule jaune qui le réchauffait. Bref, un parfait imbécile, qui se dégrossissait peu à peu, se polissait après s’être taillé, au rythme de son usage de la pierre. De Science, point, à part, peut-être, la moue abrutie ou effrayée au hasard d’une découverte technique, ou d’une catastrophe inattendue.

Bref, il était mal parti. Il ne connaissait pas le dieu Science. Alors, on comprend que celui-ci se venge, maintenant. Qu’il veuille emplir le monde, quitte à subir ou écraser ses rejetons indociles qui piaillent pour leur part de gâteau ; et qu’après l’avoir empli, qu’il veuille le gérer jusque dans ses moindres recoins, les plus reculés d’entre eux déguisés en neurones rétifs de quelques hominidés plus proches de la nature, de leur nature, sans devenir naturistes pour autant.

Car, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, et autres identitopathes, je suis désolé (litote pour : je m’amuse) d’avoir à vous dire que si le dieu Science existe, il ne faut le confondre, ni avec ses rejetons vagabonds dénaturés, ni avec ce qu’il n’est pas : la technique, le logos, et l’art, trois cousinages éloignés qui règnent sans relâche sur le monde réel.

QUE SONT DEVENUS LES POUSSINS DE LA BASSE-COUR ?

Ils ont grandi. Certains ont cédé la place après avoir brillé d’étranges feux (alchimie, astrologie, magie à coloration variable). D’autres se sont développés jusqu’à nos jours, jusqu’à l’encombrement, super vitaminés, gloussant, battant des ailes : poulets sociologues, poulets éthologues, poulettes psychologues, analysant la terre, la santé, les étoiles, l’économie, la gestion des uns et des autres et de toutes les branches d’activité humaine, armés de logiciels, d’algorithmes, de procédures validées, de graphiques, de tests, obéissant à l’ordre de tout classer, tout mesurer, de tout compter, exigeant des preuves, multipliant les procédures de contrôle par des pairs, des vérificateurs, poussant à la perfection des procédures estampillées, ne vivant plus que par normes en gestation accélérée, gages de protection légale en cas d’incident inopiné, manipulant outils et appareils chaque jour plus performant dans leur domaine étroit. Ici on opère à distance, là on pilote un drone-tueur, ailleurs on vise Mars, et on parle d’infini, tandis que d’autres analysent un lobe cérébral « travaillant » Mozart, ou que des tests PCR poussés à l’extrême créent d’excellents résultats qui ne sont que de faux diagnostics, et que des essais d’intelligence artificielle nous promettent la domination de la vie.

Et tout cela brille de mille feux, fabrique de la fierté déplacée. Ainsi, se parant des plumes de scientifiques alors qu’ils sont devenus dans le meilleur des cas des pratiquants d’un art ancien, consommateurs de techniques pré-guidés, ils en viennent à s’enfermer dans d’étroits canaux, à oublier qu’ils travaillent sur de la matière humaine, oublier même qu’il existe de la matière humaine, sauf leur ego surdimensionné, confronté à la fragilité de leur existence, dès qu’un nouvel appareil, un nouvel algorithme décisionnel viendra les pousser vers un placard ou une voie de garage.

Un degré de plus, et le cas empire quand cet outillage démesuré, ces orthèses proliférantes transforment des bureaucrates timides en tyrans orgueilleux, dont la lâcheté se cache derrière des écrans certifiés conformes.

Et pour ajouter un étage à la pyramide de l’orgueil, n’oublions jamais que tout savant est avant tout un humain, soumis aux mêmes contraintes et désordres de toute nature que le plus inculte de ses congénères, mais avec une aura qui lui ouvre trop de portes, et fait béer trop de pauvres diables.

Tout cela cache la vraie vie, l’insupportable vraie vie, même celle d’un petit virus, bien loin d’être le pire, qui bouscule le bel équilibre et les optimismes délirants jusqu’aux plus hauts niveaux des États.

Alors, ne restent plus que des pantins désarticulés, déprogrammés, annonçant une chose et son contraire, déconnectés de la réalité, soumis aux revers, incapables d’en comprendre le sens, des aveugles volontaires qui se croyaient des aigles affutés autant de leur serres que leur haut regard.

On comprend que le déchaînement de cette hubris, terme qui, en ces parages scientifiques, se traduirait bien mieux par démesure, n’ait épargné ni Greta Thunberg ni Macron, l’un et l’autre créateurs de dégâts dont ils devraient un jour être tenus pour responsables.

Mais l’un et l’autre pourraient présenter des arguments de défense.

La première, car utilisée comme produit publicitaire international et déclarée atteinte d’un trouble autistique à la mode (et je m’étonne qu’aucun législateur féru de protection infantile ne se soit élevé contre cela lorsqu’elle était mineure).

Le deuxième, car atteint d’un complexe de régression infantile par manque de jeux guerriers, qu’il traite en déclarant sa « guerre » au virus, en organisant ses « conseils de défense », en arborant son masque comme un insigne de commando, mais en ignorant tout autant la logistique de « l’avant » que le maintien de l’industrie de défense et du moral de « l’arrière ». En quelque sorte, un guerrier de pacotille, au mauvais endroit au mauvais moment. Mais puisqu’il annonce d’autres vagues, nous tâcherons, citoyens responsables et bienveillants, de les lui épargner. Finalement, j’en reviens à la célèbre formule de mai 68 : les élections peuvent être des pièges à cons.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Machine_d%27Anticyth%C3%A8re

[2] idem