Je suis obligé de revenir sur le décès, et surtout la vie d’Alain Delon, non seulement par et pour l’actualité, mais par et pour la définition de l’homme Alain Delon, qui nous pousse vers d’autres questions. En voici les bases.
MORT D’ALAIN DELON : LES CRACHATS D’UNE CERTAINE FRANCE
Sous ce titre, je vous livre ici en totalité l’article de Gabriel Decroix paru sur Boulevard Voltaire ce jour[1]. Il vaut le déplacement.
Faisant fi du politiquement correct, comme le relate l’article de Raphaëlle Claisse, Alain Delon avait déjà essuyé quelques aboiements gauchistes. En 2019, une tribune de l’association « Women and Hollywood » avait recueilli presque 17.000 signatures : elle appelait à le priver d’une Palme d’or d’honneur à Cannes pour l’ensemble de sa carrière. Mais qui eût imaginé que ce monstre sacré du 7e art serait mis à l’index par les commissaires politiques autoproclamés, dès l’annonce de son décès ?
« Ici, on s’en bat les couilles, d’Alain Delon », tweete Kamil Abderrahman, journaliste franco-algérien au langage fleuri. Son message, en légende d’un précédent – « On ne pleurera jamais la mort des racistes » -, est accompagné d’une photo de Jean-Marie Le Pen et Delon « dans un instant de grande complicité ». Il a a touché 2,3 millions d’internautes !
L’humoriste Guillaume Meurice, licencié de France Inter en juin 2024, a récupéré politiquement la mort d’Alain Delon dans un tweet goguenard vu 1,7 million de fois : « Pensées pour les proches. #RIPAlainDelon » – illustré de la photo où l’on voit Delon et Le Pen. Il s’est ainsi attiré les foudres de plusieurs personnalités publiques qui fustigent une remarque déplacée en ce temps de recueillement.
Delon est encore mis en cause sur le terrain de sa famille, pour la non-reconnaissance de paternité à l’égard d’Ari Boulogne. Dans une publication X de M.&Mme choubidou vue 371.000 fois, on peut lire : « Hors de question de citer le nom de ce facho, réac, misogyne. Je n’écrirai que le nom d’Ari Boulogne, le fils qu’il a rejeté salement, et qui est mort de ses addictions liées principalement à l’abandon paternel, dans la misère, sans même un mot de son père, même après sa mort. »
« Un petit facho », pour le maire PC de Gennevilliers
À gauche, le secrétaire général du PC Fabien Roussel (avec les Jack Lang, Anne Hidalgo et, dans une moindre mesure, Lucie Castets) a publié un très beau tweet : il n’a pas été du goût du maire communiste de Gennevilliers, Patrice Leclerc : « Delon : un petit facho qui faisait bien du cinéma. Un peu de recul ou du silence, mais pas d’hommage déplacé. » Peu regardant sur les 100 millions de morts de son courant politique, M. Leclerc peine à supporter un acteur de la droite conservatrice. Des propos dénoncés vertement dans la matinale de TF1 par la journaliste Alba Ventura.
Citons encore, parmi les crachats, celui de L’Humanité : « Amitié avec Le Pen père, propos homophobes et sexistes, apologie de la peine de mort : telle est la face sombre de l’acteur, qui n’a jamais caché ses engagements à droite toute et son goût pour l’ordre et les codes virils. »
Une histoire, donc, « de mauvaises fréquentations », comme le titre L’Humanité ? Non seulement Delon ne s’est jamais couché devant les oukases de la gauche, mais il assumait ses convictions avec constance et fidélité : il avait tout pour rendre les wokistes rageux. Une raison supplémentaire de l’aimer !
Je poursuis en reprenant un autre excellent article paru sur Causeur. Il est de Daniel Salvatore Schiffer, philosophe qui selon la si belle formule – neutre, bien entendu – de Wikipedia « participe en 2024 au cycle d’extrême droite « Printemps de la liberté d’expression » à Perpignan[2]. »
Alain Delon: Clair-obscur en chair et en os[3]
Le monde vient de perdre un grand acteur. Mais au-delà du comédien Alain Delon, il faut saluer l’homme qui incarnait à sa manière la tradition française du dandy : ce personnage singulier, exigeant avec lui-même comme avec les autres, qui refuse obstinément toute médiocrité, surtout celle de sa propre époque. Hommage du philosophe et écrivain Daniel Salvatore Schiffer.
Comment rendre hommage, sans verser dans la banalité, la redite ou les poncifs, sinon d’évidentes et trop consensuelles platitudes, à celui qui fut peut-être le plus grand acteur (et non, la nuance conceptuelle s’avère ici de mise, simple comédien) français de la seconde moitié du XXe siècle ? Il n’est guère facile, en effet, de parler des mythes, fussent-ils morts ou vivants.
Car celui que l’on qualifie volontiers aujourd’hui, et à juste titre, de « monstre sacré » du cinéma, y compris par son immense carrière internationale, avec des chefs d’œuvre tels que « Le Guépard » (1963) de Luchino Visconti, dans lequel il interprète le rôle de l’aristocratique mais indomptable Tancrède, ou l’énigmatique « Monsieur Klein » (1976) de Joseph Losey, incarnait, de fait, ce qu’un sémiologue aussi pointu, fin et cultivé que Roland Barthes appela jadis à raison, conformément à l’intitulé de son livre le plus célèbre, les « mythologies » du monde moderne et contemporain.
Ainsi, donc, Alain Delon, cet élégant « samouraï » à la française qu’un réalisateur tel que Jean-Pierre Melville, en 1967 déjà, immortalisa de main de maître, lui fixant à jamais cet intense regard bleu, froid et métallique qu’on lui connaissait, s’en est allé, à l’âge vénérable de 88 ans, dans la nuit de ce 18 août 2024.
Blessure au creux de l’âme ; nostalgie au tréfonds de l’être
Et, pourtant, star d’entre les stars, mais dont une indicible blessure de l’âme, par-delà même sa légendaire beauté ou son charismatique talent, paraissait toujours habiter, sinon hanter, son être le plus profond, insaisissable et secret, Delon semble avoir quitté ce bas monde, pour aller rejoindre définitivement celui des étoiles, sans regret, ainsi qu’il le confia, dépourvu de tout artifice ou fioriture, dans un de ses derniers, parmi les plus touchants et intimes, entretiens : « La vie ne m’apporte plus grand-chose. J’ai tout connu, tout vu. Mais surtout, je hais cette époque, je la vomis », confia-t-il en effet, empli d’une indéfinissable nostalgie là encore, un triste jour d’hiver de janvier 2018. Et, poursuivant sur cette émouvante lancée, d’y conclure, effectivement : « Il y a ces êtres que je hais. Tout est faux, tout est faussé. Il n’y a plus de respect, plus de parole donnée. Il n’y a que l’argent qui compte. On entend parler de crimes à longueur de journée. Je sais que je quitterai ce monde sans regrets » !
Solitude, singularité et distinction
En cela, du reste, Alain Delon, qui fut aussi l’un des grands dandys du siècle, tant par sa foncière solitude que par son irréductible singularité, cette inextinguible distinction de la véritable race des seigneurs, ne s’éloigna guère de ce qu’un esprit aussi raffiné que Roger Kempf dit en un essai aussi emblématique, sur cette épineuse mais essentielle question à l’endroit d’Alain Delon, que son Dandies. Baudelaire et Cie précisément.
Il y écrit : « Mais loin de se dresser contre ses générateurs misérables, le dandy se contente […] de leur tourner le dos. Que les censeurs se rassurent : il croit […] à la discipline, il a horreur du laisser-aller. Plus insolent que transgresseur, il n’est pas dangereux, face aux trublions de toutes sortes […]. Le dandysme : un monde métaphorique aux couleurs du soleil couchant, un exercice impossible. […] Comment garder le secret ou le silence au temps de l’ordre public ? Comment vivre sur le mode de l’être, non du devenir ? Comment rêver sous le régime du progrès ? Questions terribles et sans réponse, menant parfois au suicide et toujours au rebut et à la mort. Le dandy ne l’ignore pas. Condamné, il s’attend à disparaître, dignement ».
Paraître sans comparaître
Bref, insiste encore Roger Kempf dans cet insigne portrait, tout en nuances et finesse, de l’authentique dandy, mais où l’on croirait également percevoir en filigrane quelques-uns des traits distinctifs, tant sur le plan moral ou intellectuel que psychologique, d’Alain Delon, ce séducteur né, justement, de qui s’entichèrent très sincèrement les plus belles femmes, au premier rang desquelles émergent, bien sûr, ces divines actrices que furent Romy Schneider et Mireille Darc, ou encore la chanteuse anglo-allemande Nico (naguère sulfureuse égérie d’Andy Warhol et autre Lou Reed au temps de l’électrique mais surtout décadent Velvet Underground). Sans oublier, cependant, Nathalie Delon, qui fut, à l’état-civil, sa seule épouse avant qu’il n’en divorçât : « Mélange de retenue et d’ironie, être de parade et de désir, le dandy se défend et s’expose, mais ne comparaît pas. N’ayant de comptes à rendre à personne, il se garde de biffer son passé […]. Prenant les devants, s’il lui plaît, il avoue ses défaites et, narguant l’opinion, joue de sa corde favorite : le mépris ».
Est-ce pour cette raison que l’instinctif, plus encore qu’intuitif, Delon, bête de scène, à la sensibilité quasi animale dans ses aspects les plus sauvages, pour qui la fidélité constituait l’une des principales qualités d’esprit, aima plus les chiens que les hommes, à l’instar de philosophes tels que Diogène ou Schopenhauer ? C’est dire, en tous cas, si le dandy, cet idéaliste qui s’ignore, paraît sans jamais, toutefois, comparaître, sinon devant le tribunal de sa propre et seule conscience.
Le soleil noir de la mélancolie
Mais, de la complexité inhérente à ce dandysme ainsi correctement entendu, et donc a posteriori aussi de cet iconique Alain Delon, c’est Charles Baudelaire, qui fit du dandy un « soleil couchant » comme Gérard de Nerval en fit le « soleil noir » de son ineffable mélancolie, qui en brossa très certainement le plus abouti des tableaux en cette éminente critique d’art – et Dieu sait si Delon fut aussi un très fin connaisseur, en même temps qu’un collectionneur avisé, en matière d’œuvres d’art – que fut son « Peintre de la vie moderne » (1863).
Il y écrit donc au sujet des dandys : « Que ces hommes se fassent nommer raffinés, incroyables, beaux, lions ou dandys, tous sont issus d’une même origine, tous participent du même caractère d’opposition et de révolte ; tous sont des représentants de ce qu’il y a de meilleur dans l’orgueil humain, de ce besoin, trop rare chez ceux d’aujourd’hui, de combattre et de détruire la trivialité. De là naît, chez les dandys, cette attitude hautaine de caste provocante, même dans sa froideur ». Et, dans la foulée, Baudelaire, hissé ainsi au faîte de ce remarquable portrait, d’en inférer, toujours en ce « Peintre de la vie moderne », dès lors : « comme l’astre qui décline, il [le dandysme] est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie ».
Un clair-obscur en chair et en os ; un oxymore vivant
Et, de fait, ce grand fauve qu’était Alain Delon, cet astre finalement parvenu au crépuscule de sa vie, et à présent tragiquement trépassé, mais non pour autant éteint tant il demeure immortel, fut bien, par ces paradoxes qu’il ne cessa d’incarner tout au long de sa prodigieuse existence, tantôt solaire et tantôt sombre, tantôt féline et tantôt ténébreuse, cet oxymore vivant, pareil, éternellement désormais, à un clair-obscur en chair et en os !
QUE DÉDUIRE DE CES DEUX EXCELLENTS ARTICLES ?
D’abord, pourquoi les reproduire ici ? Parce qu’ils sont excellents en tous points. L’un détaille des faits qu’il est important d’avoir sous la main, car la mémoire risque de les mettre de côté, et ce serait dommage. L’autre nous offre une pensée dont je me sens plus que proche, à savoir la constante balance des hommes de Droite, étonnés, submergés, émerveillés et trop souvent blessés par la vie qui impose l’émergence constante, non seulement des force du mal, mais de ses manifestations les plus vomitives et destructrices, à savoir la Gauche. Les capitales que je mets aux mots Droite et Gauche signifie que je m’adresse à une part constitutive de l’esprit humain qui dépasse de loi les partis qui prétendent les représenter. Tant que les Français qui ne comprennent rien aux forces du monde n’intégreront pas cette distinction, ils resteront les esclaves du premier dictateur venu. Et tant mieux, car cela nous force, nous hommes de Droite, à dépiauter le cynisme des aboyeurs de Gauche, leurs mécanismes de pensée et d’action, en espérant, de temps à autre, avoir nourri un ou deux esprits plus ouvert que la masse qui « veaute ».
Ces deux articles posent en filigrane une question de philosophie fondamentale : l’homme est-il réductible à ses œuvres ? Que la réponse soit positive ou négative, encore faut-il discuter de ce que l’on appelle « œuvres ». Doit-on ranger dans la même case un combat de boxe et une poésie ? Un traité de philosophie et un discours politique ? la même décision en temps de guerre et en temps de paix ? Un emballement circonstanciel et une pensée mûrement réfléchie et élaborée ? Un reflexe digne du chien de Pavlov, tel que sont les aboiements des gauchistes cités dans le premier article et le travail déconcertant de Karl Marx ?
En voilà du grain à moudre ? Trop ? Certainement, car les questions ci-dessus posées ne représentent qu’un échantillon bien réduit et pour tout dire, de simples pistes qui, si nécessaires pour avancer soient-elles, ne nous amènent qu’à d’autres questionnements plus profonds, plus anciens.
Je n’irai pas plus loin car j’entrerais alors dans le cadre de mes travaux personnels qui dépassent cet article. Mais je donnerai néanmoins mon approche de solution.
Je garde en ma discothèque profonde le merveilleux album intitulé Ferrat chante Aragon. Il faisait d’ailleurs partie de mes bagages dans une autre vie hors de France. C’est dire ! Hommes épris de beauté, ne manquez pas d’écouter, de réécouter cette œuvre, de la vivre et d’en vivre. Et pourtant je refuse profondément les « valeurs » – pour parler leur charabia qui est déjà une arme – de ces deux gauchistes, dont personne ne peut ni ne doit nier le talent. En tant que compagnons directs ou indirects de Staline, nous devons systématiquement, profondément, obstinément les condamner pour leur soutien à un régime qui nie l’homme dans sa réalité profonde et qui n’a pour leitmotiv que de le décérébrer. Et je ne sais répondre à la question suivante : qui de ces pervers profonds sont les plus méprisables ? Les « idiots utiles « ou leurs utilisateurs professionnels ?
En 2019, Alain Delon confiait au JDD : « Je partirai tranquille, je ne regretterai rien et surtout pas cette époque de merde. » Déjà, il allait directement aux appréciations nettes sur certains personnages et les dégâts qu’ils ont contribué à disséminer dans le monde.
Gloire au général Cambronne et à ses fiers successeurs ! Ils nous parlent, même depuis l’au-delà.
Antoine Solmer
[1] https://www.bvoltaire.fr/mort-dalain-delon-les-crachats-dune-certaine-france/
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Salvatore_Schiffer
[3] https://www.causeur.fr/alain-delon-clair-obscur-en-chair-et-en-os-289662