LE MONDE D’APRÈS

MARC : LES SENTINELLES DU SOIR
HÉLIE DE SAINT MARC : LES SENTINELLES DU SOIR

En ces temps de Covid, de grands esprits, et même de moins grands, se jettent à la face les expressions « monde d’avant », « monde d’après », assorties de belles et bonnes explications. Donc, nous ne sommes plus au Moyen Âge, mais au XXIe siècle. D’ailleurs, hier est déjà passé et demain s’annonce à peine. Enrichissons le débat : par voie de conséquence nous nous éloignons de l’homme des cavernes, et nous rapprochons des étoiles. Sauf si, par quelque revers de fortune…

Bref, nous retrouvons une tarte à la crème plutôt refroidie, en tout cas mal réchauffée, déclinée selon les cas en slogan martial (« Plus jamais ça ! ») ou en bêlement attristé (« Qui aurait pu prévoir ? »). Je n’ai pas envie de participer à ces sombres consommations de malbouffe intellectuelle.

Il me semble plus profitable car plus réel, plus inscrit dans certains cerveaux humains, de revenir à une certaine période qui dépassait en ennuis multiples notre âge covidien. C’est pourquoi je vous propose de relire Hélie de Saint-Marc, dans Les Sentinelles du soir.

L’Occupation m’a prévenu contre les grandes envolées oratoires. Je garde encore 1’amertume de ces années-là. Nous étions à cette époque impressionnés par le magistère de nos aînés. Par conviction souvent. Par vanité aussi, certains de nos maîtres nous inculquaient des valeurs absolues, traçant un chemin bien droit, en oubliant de préciser les ornières, les impasses, les embranchements qui accompagnaient leurs conseils.

Certains d’entre nous se sont ainsi retrouvés les uns torturés par la Gestapo ou pourrissant dans un camp de déportation et les autres, dont tout me séparait sauf le besoin de s’engager, dans la Milice ou à la Légion Charlemagne. Nos bons professeurs de morale, protégés par leurs mains sans cals et sans boue, ont continué leur carrière sans le moindre soubresaut, encaissant les dividendes de, leurs conseils ou récusant les dettes de leur inconséquence.

De la même manière, après la guerre, nous avons vu surgir des baraquements de la nomenklatura des camps une flopée d’écrivains et d’hommes politiques qui se faisaient les mémorialistes des camps de concentration et les dépositaires de la mémoire des morts. Certains, qui avaient collaboré à l’intérieur des camps au’ système des kapos, avec leurs·bottes fourrées et leurs capelines, récupéraient la fumée des crématoires, toute honte bue. L’écriture et la parole ne sont pourtant pas des feuilles volantes, qu’on détache et froisse selon les humeurs. Les mots devraient nous engager autant que les actes. « Les mensonges écrits avec de l’encre ne sauraient obscurcir une vérité écrite avec du sang. » J’ai souvent eu envie d’envoyer cette phrase de l’écrivain dissident chinois Lu Xun à quelques mémorialistes de la déportation.

En lisant ce texte, ne voyez-vous pas, déjà, certains beaux parleurs préparer leurs lendemains qui payent ?

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