PENSER EN DÉMOCRATIE : L’ŒUF DE CHRISTOPHE COLOMB CUISINÉ PAR ADÈLE VAN REETH

Dans le numéro 156 de Philosophie Magazine (février 2019), Adèle van Reeth, nous offre quelques commentaires et réflexions sur l’œuvre d’Emerson (1803 –1882) et accessoirement de Thoreau (1817 – 1862).

Si vous passez par l’aéroport de Boston (Logan Airport), vous y trouverez assez d’appels à la mémoire de Thoreau évoquant ses deux années dans les bois à l’étang de Walden, près de Concord, mais, à ma connaissance, bien peu (?) ou aucun (?) d’Emerson. Pourtant, Concord réunit le maître Emerson qui y mourut et, à deux kilomètres de là, Walden Pond où son disciple y vécut sa presque thébaïde. Il faut croire que la réplique de sa cabane est plus enrichissante.

Aujourd’hui, je laisse de côté les mémoires de ces deux patriarches, et revient vers Adèle van Reeth. Elle connaît son sujet, a de fortes connaissances en philosophie et participe régulièrement sur France-Culture à une célèbre émission que j’ai longtemps écoutée. C’est dire que ses chroniques m’attirent. Je retiens essentiellement une des réflexions extraite de l’article correspondant [1] La voici :

« Emerson et Thoreau peuvent nous faire réaliser que le danger de ne plus penser par soi-même guette toujours, y compris en démocratie. » Soyons juste,  cette phrase est riche, si riche qu’elle mériterait un cours en Sorbonne. Traitons seulement deux appuis fondamentaux de cette richesse :  « … le danger de ne plus penser par soi-même… » et « … y compris en démocratie. »

J’ai l’impression de trouver une pièce contrefaite dans cette richesse. Repassons-la à la fonderie : « … Surtout en démocratie ! »

Car s’il y a bien un régime où la pensée solitaire, indépendante et libre a toutes les chances d’être étouffée, c’est spécifiquement en démocratie, par la structure même de ses fondements : « par le peuple, pour le peuple ! » et tenant compte de « l’intérêt général ». Soyons clairs, on ne voit pas d’Homme là-dedans, sauf celui qui veut écraser les autres pour forcer son chemin vers le pouvoir. Et encore, peut-on encore parler de pensée lorsqu’un individu est guidé par ses seuls réflexes archaïques de chef de meute ? De comportements de dressage, peut-être… de séduction machiavélique, sûrement… d’écrasement des adversaires, obligatoirement… et tout cela en comptant sur les voies d’un peuple réduit en foule agitée par un sauveur d’acier trempé, de fer blanc ou d’opérette selon les cas.

Il est effondrant qu’une personne aussi cultivée, aussi déliée qu’Adèle van Reeth se soit laissé aller à ce piège grossier. Et ce n’est pas une accusation ad mulierem (pour chatouiller les obsédés du genre), mais une constatation doublement triste : autant pour elle que pour nous, soumis à cette démocratie dont nous savons depuis Platon et autres qu’elle ne peut finir qu’en anarchie. Et ce n’est pas son avatar masqué et masquant que nous offre la Ve République qui pourra démontrer le contraire.

Admettons que les techniques du jour y soient pour quelque chose (pressions du politiquement correct, juges de la XVIIe chambre, Robocops dirigés contre le peuple qui gronde, mais sourds aux « incivilités » de certaines racailles, et autres drapeaux de circonstances fabriqués dans des restes de pantalons baissés). Mais n’oublions pas que César l’avait bien compris : panem et circenses, gentiment traduit par du pain et des jeux, autrement plus descriptif par de la bouffe et du sang. Le grand souhait de la foule dont la pensée est annihilée. Le grand souhait chaotique le plus profond de la Gauche archétypique.

[1] Emerson m’a montré que la solitude pouvait être créatrice. Numéro cité plus haut.