UN SEUL DIEU TU ADORERAS

Dans l’article du jour, Claude Henrion s’élève et nous élève jusqu’à une hauteur vertigineuse, qui devrait, comme on le dit, nous mener au Ciel. Je mets une majuscule à ce mot, me voulant un peu plus qu’un pilote dépassé par le plafond des cartes aériennes. Mais avant cela, ici même, sur la Terre qui se trouve sous nos pieds et même les dépasse un peu, entraînons-nous avec quelques sauts d’obstacles concoctés par l’ami Claude, et même par quelques autres personnages qui nous ont précédés. Tertullien, entre autres.

Cela dit, bonne lecture !

Antoine Solmer

UN SEUL DIEU TU ADORERAS

  • Le 5 mars, j’avais écrit, dans un édito, la phrase suivante, qui a choqué quelques lecteurs et en a apparemment surpris plus d’un : « 99 % de nos contemporains sont incapables de voir [dans l’islamautre chose qu’un “christianisme autrement” et ils sont donc capables de proférer des énormités telles que : “L’islam, une religion d’amour et de paix ”... ou “Le carême ? Un ramadan chrétien”... voire, plus énorme encore, “Eux et nous croyons en un seul Dieu, donc c’est le même…” (…)“. Des lecteurs m’ont écrit, juste avant le dernier “haut fait” dans l’horreur de ces fous de haine : “Sur quoi vous basez-vous pour dire que ce ne serait pas le même dieu ?” Le demandent-ils encore après “l’attentat de Moscou”, avant-hier ?
  • Une remarque préalable : il faut admettre que, à un niveau  /élémentaire, la définition de l’ancien “Catéchisme” de l’Église préconciliaire ouvrait la porte à une confusion possible : –Q. Qu’est-ce que Dieu ?”R. : “Dieu est un pur esprit, infiniment bon, infiniment aimable, infiniment puissant, créateur et souverain Maître de toute chose” … ce qui pourrait aussi “définir” Allah… à ceci près que l’équivalent du “Credo” pour les musulmans, la “Chahada”, affirme : “Lâ ʾillâha ʾillâ -llâh..”. (= Non, il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah – seule “définition” connue qui s’ouvre par une négation : Non, il n’y a pas de Dieu …. autre qu’ Allah) – et précise, pour interdire tout “amalgame”, que “Muḥammadan rasûlu-llâh” (Mahomet est son Prophète), ce qui sonne la fin du rêve-cauchemar simpliste des “syncrétistes relativistes”.
  • Pour être sérieux, il faut partir de l’affirmation initiale, apportée au monde par le christianisme, et qu’aucune autre religion n’égalera jamais, dans l’immensité de ses conséquences. Elle est stupéfiante, et repose sur des bases jamais vues–les relations entre l’Homme, le Divin, et le Sacré : “Un Dieu unique, en trois personnes” (on appelle trines, comme “Trinité”, ces trois “unités” résumées en une par Tertullien. Il y a deux mille ans plus encore qu’aujourd’hui, cet énoncé des attributs de la Divinité n’a pas été “facile à avaler”, d’autant plus que l’expression “en trois Personnes”, qui est la plus souvent utilisée traduit très mal “en trois Hypostases”, ce qui ajoute de la difficulté à la complexité.  
  • Et parmi nous, qui brandissons plus qu’ils ne le méritent notre rationalisme et notre science de plus en plus souvent sans conscience, cette complexité en a effrayé plus d’un, les rejetant dans un obscurantisme encore plus grand : nombreux sont ceux qui se soumettent à des superstitions plus irrationnelles encore que l’existence éventuelle d’un Dieu (du Vendredi 13 qui porte chance ou guigne – on ne sait pas trop ! – aux tarots, des horoscopes, aux tables tournantes, ou autres mœurs et pratiques qui rendent “soumis” (= islam) des adeptes d’une néo-religion dénaturée qui en font, chez nous, une démonstration qui est trop souvent sanglante, hélas !).
  • Pourtant, l’équation (1 = 3) est une expérience que nous vivons à chaque instant : le nombre des choses uniques mais qui se comptent “trois” est immense, depuis la plus modeste pièce de monnaie, qui a une face, un revers et une tranche mais est “une”, indivisible et (si on me permet !) consubstantielle (même si je sais que l’homo-ousia chrétienne est une tout autre chose !) ou une jolie feuille de trèfle qui est une mais trois (si rarement quatre !) et jusqu’à n’importe laquelle de nos journées qui est matin, midi et soir… parmi tant d’autres exemples possibles (cf. n/ billet n° 31– 23 déc. 2013.  NB : c’est un “dada” qui, en moi, ne date pas d’hier !).
  • Mais une autre révélation a été plus traumatisante encore : jusqu’à l’apparition du Christ dans l’Histoire, la notion de dieu était une référence locale et tribale, fermée sur elle-même, et même les monothéismes antérieurs n’avaient pas dérogé à ce critère : Adonaï, le Dieu d’Abraham est “le Dieu d’Israël”, sans ambiguïté (ex. : “Seigneur, sauve Israël, ton peuple”-Ps 28-9, ou : “Le Seigneur dit : je suis un père pour Israël ’’-Jr 31, 7-9), tout comme Amon-Rè ou Aton appartenaient à la seule Égypte, Ahura Mazda aux Aryens, Tangata Manu aux seuls Pascuans (ce qui limitait sa ’’toute puissance” aux 160 km² de Rapa-Nui !) ou Yo aux Phéniciens et Baal aux Cananéens… Zeus, sur son Olympe, était aux Grecs, Jupiter au monde romain, Manitou aux seuls Algonquins (et non aux “peaux-rouges”, comme on le croit souvent), Quetzalcóatl aux Aztèques et Mango-Capàc aux Incas – et cetera
  • Exception amusante, Rome avait empilé dans son Panthéon la totalité des dieux adorés par les peuples conquis et intégrés à l’Imperium romanum… et ce, jusqu’à l’absurde : vers la fin du temps où l’Urbs et l’Orbis ne faisaient qu’un, on “adorait” à Rome 30 000 “dieux” de toute sorte, de toute forme et de toute origine. (NDLR – Certains ont d’ailleurs vu dans cette “foultitude” l’origine de la célèbre apostrophe d’Obélix : Ils sont fous, ces Romains !” Je n’ai pas vérifié).  On peut se demander quel rôle a joué cette dilution extrême de l’identité romaine dans l’effondrement d’un Empire géant et surpuissant, mais qui s’est trouvé désarmé devant la simple apparition d’une majuscule à “Dieu”… idée, qui – que je sache–n’a jamais été explorée. 
  • Car tout à coup éclate à la face de l’Humanité cette grande nouvelle : Dieu est un, et Il est universel ! Dieu n’appartient plus à un seul peuple, pas même à ses seuls adorateurs, mais Il est pour le monde et au monde : comme il est dit qu’Il “s’est fait Homme”, Il devient l’un des nôtres. Dieu oui, sans aucun doute, mais à jamais solidaire de l’humanité, de toute l’Humanité passée, présente et à venir, quelles que soient ses religions, ses croyances, ses refus de croire, ses choix philosophiques : un homme-Dieu et un Dieu-homme, tout en un, et en trois personnes, en plus !Deux mille ans plus tard, l’humanité ne s’est pas encore vraiment remise du choc de la révélation que “Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme” (Gal 3-28), malgré tant de tentatives ratées, souvent en “–isme”  pour s’approprier cette idée “géniale” ! (Remarque : quel point commun avec Allah ? Pas un seul !).
  • Parmi tant d’autres apports méconnus ignorés ou mal identifiés du message christique, cette première “mondialisation” qu’a été l’idée d’un Dieu unique pour la terre tout entière a certainement été la plus bouleversante dans ses conséquences, et jusqu’à ce jour, c’est la seule “mondialisation” positive réussie ! Cette idée a été reprise ensuite, sous des formes variées… dont l’Islam est à la fois un bel exemple et un superbe contre-exemple : Allah, Dieu unique s’il en est, exige la conversion des hommes, et il est donc à la fois universel et spécifique. Ne serait-ce que sur ce seul point, toute confusion entre “Dieu” et “Allah” est impossible.  D’autres copies de mauvaise qualité ont pris des formes plus avariées que variées, comme le communisme et les socialismes, et plus récemment l’écologisme, l’égalitarisme, le “wokisme”… mais ces spéculations à prétentions internationalistes voulaient imposer une “vérité” qui n’est que leur mensonge… Toutes ont très vite trouvé et prouvé les limites catastrophiques de leur projet sans issue possible.
  • Quoi qu’il en soit, voilà soudain le monde pourvu d’un Dieu unique, universel, indépendant de l’identité de ses adorateurs, le même pour tous… et qui va proclamer l’égalité “devant sa face” de tous les hommes, femmes, “juifs ou gentils”, pécheurs ou saints… qu’il va aimer aussi fort qu’il aurait voulu qu’ils s’aiment les uns les autres ! Une séparation du type “je t’aime… moi non plus”,   entre ceux qui croient et ceux qui refusent de croire, va trouver là un sujet de querelle à vocation d’éternité. Après la réhabilitation en cours, par la science, des contenus de la Bible, très (trop) longtemps moqués et rejetés, la suite de l’histoire de l’Homme sur la Terre va être marquée à jamais par la révélation christique.
  • Comme nous sommes loin d’un Dieu exigeant, autoritaire et normatif, qui veut commander, conquérir, contrôler, et diriger jusque dans le moindre petit détail… “Aimez-vous comme je vous aime”,dit l’un. “Lâ ʾillâha ʾillâ -llâh” (= Il n’est de Dieu que Dieu)... et “ s’il le faut, il conquiert les âmes par l’épée” (= “Bès Sif”)“, dit l’autre. Un seul Dieu, c’est évident. Mais Le même ? Sûrement pas, même un peu… Dès qu’on va au fond des choses, c’est chacun le sien ! Et c’est très bien, comme ça !
  • H-Cl.