Ambiance médicale

Ambiance médicale

 

L’autre jour, j’étais en clinique pour un examen échographique de ne je sais plus quel organe. Peu importe ! On examine tout ainsi aujourd’hui. Les généralistes prescrivent de ces examens à tour de bras, ça démultiplie la science de nos corps.

Mais, installé dans cet endroit médical, peu à peu m’envahit un curieux sentiment d’absence, et même d’engourdissement.

L’inévitable et classique : « Veuillez introduire votre carte Vitale »  ; puis l’attente du compte rendu du grand médecin radiologue, avec son « certificat d’études » en en-tête (D.E.S spécialisé en échographie… ) ; puis, pour finir, la facturation…

Je suis tout d’abord pris en charge dans les couloirs par un homme autoritaire à la forte carrure – « Asseyez-vous là ! » ; puis vers la cabine – « Déshabillez-vous ! On va venir vous chercher » ; puis dans la salle d’examen, l’auscultation du spécialiste par écran interposé – « Hum hum », fait-il d’une manière concentrée et avisée. Vous pouvez vous rhabiller, je vais dicter le compte rendu pour votre médecin traitant. » Mais à moi, il ne souffle pas mot, pas un seul mot sur le vrai mal – même observé – qui me concerne. C’est moi-même qui me dois d’arracher quelques phrases plus explicites de diagnostic. L’impression que je n’existe pas. Ou comme objet d’exploration, étudié pour quelqu’un d’autre.

De cabines en cabines, de couloirs en couloirs, d’injonctions en injonctions, je demeure l’article de ces messieurs / dames, mais ne suis pas un sujet. Alors quelque chose en moi se rétracte, se met à craindre, je suis comme un enfant à peine respecté ; dont l’impératif catégorique serait qu’il respectât la norme !

Cependant, bien pire, j’ai peu à peu l’impression, tout autour de moi, qu’une comédie déguisée se joue. Tous en effet se donnent une grande importance, depuis l’appariteur qui m’emmène à la cabine, jusqu’au spécialiste radiologue qui examine l’écran dans un silence distant, avant d’aller dicter son compte rendu.

En attente dans le couloir, je me retrouve pris dans un chassé-croisé de grands messieurs pleins d’importance, des portes s’ouvrent, les gens circulent, déterminés, parfois une assistante avec un charme discret, mais qui semble bien savoir où elle va savoir elle aussi.

Tous paraissent connaître leur chemin, savoir ce qu’ils sont, pénétrés d’une considération accréditée qu’ils miment ; tandis que le client que je suis ne fait que passer, silhouette affabulée et tremblée, descendue au milieu d’un cocasse jeu de rôles.

J’assiste, auditeur muet, à un ballet de gens qui savent… Ont-ils même à cœur de communiquer leur savoir ? Quel savoir, on ne sait plus, et est-ce là la question ? Il y a quelque chose de désuet qui flotte, à travers images et appareils, comme si se reproduisait une éternelle scène de cinéma.

Voilà la nouvelle médecine instrumentale : surabondance d’images, pauvreté de parole, scènes mécanistes répétées à l’envie, science tombée dans le silence et nécessité de paraître, faute d’un savoir qu’on ne communique plus !

Puis, en une dernière séquence, pour parachever cette mainmise de théâtre, j’entends :

— Veuillez réajuster votre masque, s’il vous plait ! 

— Oui, Monsieur, oui Madame ; ne suis-je pas le fautif d’une folie, l’impuni inoffensif, ou encore le patient d’une rédemption médicale inachevée ?

À moins que je ne sois moi-même fou, inconsidérément sensible ? Est-ce la nouvelle ambiance médicale qui m’a fait peur, un jour où, tout confiant, je croyais pouvoir croire en les blouses blanches ?

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2 réponses sur “Ambiance médicale”

  1. Bien vu. L’humanité en marche vers la fourmilière me fait peur. Ou avons-nous quitté d le bon chemin?

    1. Merci pour votre commentaire.
      Mais ce n’est pas la “fourmilière humaine” qui constitue l’idée principale de ce texte, – hautement “psychotique” par ailleurs, je ne me méprends pas.

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