WOKISME : LE GRAND RÉVEIL PAR AURÉLIE JULIA

Je vous présente ce jour l’éditorial de la Revue des deux mondes de mars 2024. Rappelons qu’il s’agit d’une des plus vieilles revues françaises, puisque sa première publication date d’août 1829. Bientôt deux siècles. Elle fut longtemps un mode de passage des idées de la diplomatie française. Espérons que ce ne soit plus le cas. Enfin, comme partout, il faut trier.

Le numéro du mois a pour titre “Les bastions du wokisme” et son  éditorial  vous apprendra, entre autres, que LGBTQI+ ne suffit plus. Découvrez comment améliorer votre vocabulaire et vos connaissances en lisant l’éditorial ci-dessous, signé Aurélie Julia.

Antoine Solmer

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Vous l’ignorez peut-être, nous sommes des endormis. Non que nous soyons plongés dans un sommeil réparateur après des fêtes ou des fatigues chroniques, mais nous mangeons, nous travaillons, nous vivons en somnambules. Sourds et aveugles au monde qui nous environne, nous percevons le réel avec candeur et un brin de sottise : nous nous émerveillons devant la grâce de Vairumati, nous écoutons béats La Flûte enchantée, Phèdre et Andromaque nous éblouissent. Que d’inconscience ! Gauguin est un affreux colonialiste, Mozart un raciste doublé d’un misogyne, quant à Racine, il verse dans l’usurpation : le dramaturge s’est plusieurs fois glissé dans la peau d’une femme pour parler à sa place. Heureusement, des êtres veillent sur notre salut. Ils veulent nous ouvrir les yeux sur la tyrannie que colporte la société occidentale. Notre rédemption est à portée de main à condition de suivre quatre étapes.

« Le programme de ces extralucides tient en trois mots : « La table rase », autrement nommé « le désordre absolu ». Pour ce faire, il faut déconstruire et casser. »

Premièrement : se méfier, s’opposer, dénoncer, s’indigner

Le programme de ces extralucides tient en trois mots: « La table rase », autrement nommé « le désordre absolu ». Pour ce faire, il faut déconstruire et casser. Une bonne boîte à outils, des sacs-poubelle de 160 litres et un aspirateur seront utiles. La France d’aujourd’hui dérive en droite ligne du siècle des Lumières et du colonialisme – ce qui précède la mort de Louis XVI est jeté aux oubliettes, voire n’existe pas. Il faut combattre la justice et la police, véhicules de philosophie punitive et organisatrices de violences. Il faut attaquer l’État : il nous terrorise. Rousseau l’a répété dans plusieurs livres : l’homme naît naturellement bon et heureux, la civilisation le pervertit et le déprave. Un criminel n’est donc pas responsable de ses actes ; c’est l’édifice social qui le pousse à commettre des infractions malgré lui. La culpabilité personnelle, la remise en question de soi sont de vieilles lunes. Nous sommes des personnes vertueuses, le monde est corrompu. Pourquoi cogiter davantage ?

Une fois ce principe établi, intéressons-nous à la culture, qui mérite certains réajustements. Le septième art doit désormais obéir à des quotas ethniques. Aucun scénario ne sera validé sans accord d’un sensitivity reader ou d’un démineur éditorial. Aucun film ne sera diffusé sans l’aval d’un cabinet de conseil en « diversité & inclusion ». La couleur de la peau et l’orientation sexuelle priment sur le jeu des comédiens. Inutile de crier à la censure artistique : il n’y a plus d’art, seulement de l’idéologie. L’imagination doit s’adapter au cadre défini par des normes et ne pas en sortir. C’est le règne du jetable : les critères de sélection évoluent, le cinéma se périme. Même chose pour la littérature : les mœurs et les opinions donnent le la. Un roman contraire aux idées en vogue n’a aucune chance de paraître. Et puisque tout se démode, qu’en est-il de la haute couture ? Celle-ci va enfin descendre de son podium: le culte du beau appartient au passé. Au diable l’élégance et l’harmonie, place à la décontraction, à l’unisexe et aux tailles XXL. Le vestiaire ne doit plus séduire – un objectif ô combien archaïque –, mais affirmer des valeurs.

La nouvelle éthique ne vous plaît guère ? Vous doutez ? Un stage queer obligatoire à l’école est prévu : des associations LGBTQIA2S+ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, en questionnement, bispirituels) rééduqueront vos cerveaux. Elles vous enseigneront notamment les différentes catégories du genre (homme ou femme, homme et femme, ni l’un ni l’autre, xénogenre, elfe, renard, fossile…), l’écriture inclusive (cher·e·s lecteur·rice·s) et les pronoms (iel, yel, ielle, ael, æl, aël, ol, olle, ille, ul, ulle, al, i, im, em, el, elli, yol, lo, lea, le.a, le-a, la-e, læ, ly, ellui, elleux, euxes…). L’universalisme a définitivement rejoint le placard à balais.

Deuxièmement : le classement binaire

Ne vous embarrassez plus des nuances ou du second degré. Oubliez l’humour et l’ironie. Il y a le mal et le bien, les oppresseurs et les oppressés, les dominants et les dominés, les Blancs et les Noirs, les hommes bourreaux et les femmes victimes.

Troisièmement : la novlangue

Nous atteindrons le stade ultime de la clairvoyance grâce au langage. Il faut dès lors créer des mots et apprendre des listes de vocabulaire. Quelques exemples: androcène, mysoginoire, graysexuel, biphobie, adelphes, touxtes. Vous n’y comprenez rien ? Tant mieux ! Plus le concept sera obscur et vide de sens, plus vous y adhérerez par crainte de paraître rétrograde. Les dispensateurs de certitude seront là pour faciliter l’apprentissage. Faites-leur confiance.

« Ne pleurez pas vos étagères clairsemées, elles seront vite remplies par d’autres ouvrages conformes à l’air du temps. »

Quatrièmement : la bibliothèque

Vous l’avez compris : les œuvres littéraires sont à brûler. Shakespeare, Molière, Hugo, Balzac, Maupassant, Steinbeck, tous sont condamnés au nom de l’appropriation culturelle et de la représentation sexiste. Ray Bradbury, l’auteur visionnaire de Fahrenheit 451, le raconte dans ses Chroniques martiennes : « On s’est mis à censurer les dessins humoristiques, puis les romans policiers […] sous la pression de tel ou tel groupe, au nom de telle orientation politique, tels préjugés religieux, telles revendications particulières; il y avait toujours une minorité qui redoutait quelque chose, et une grande majorité ayant peur du noir, peur du futur, peur du passé, peur du présent, peur d’elle-même et de son ombre. » C’est le grand ménage ! Ne pleurez pas vos étagères clairsemées, elles seront vite remplies par d’autres ouvrages conformes à l’air du temps : Comment devenir lesbienne en dix étapes, Une guerre mondiale contre les femmes, Comment saboter un pipeline, Changer le corps, La Résistance à l’État, Décoloniser l’architecture, La Guerre des mots… De quoi rêver.

Vous avez réussi à passer les quatre étapes ? Ouf ! Vous obtiendrez votre diplôme. Vous serez certes devenus énervés et grincheux, revendicatifs et péremptoires, mais vous serez lucides. Soyez éveillés, c’est vraiment là l’essentiel !

Merci à Aurélie Julia pour ces lignes éducatrices.

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