VLADIMIR SERGUEEV : IN MEMORIAM

VLADIMIR SERGUEEV RUSSE ET POÈTE
VLADIMIR SERGUEEV RUSSE ET POÈTE

À quoi sert un blog ? À parler du monde tel que l’auteur le voit et le vit. Une correspondance élargie, pourrait-on dire qui embrasse des sujets divers, dont certains sont plus personnels. C’est le cas de ce billet à la mémoire de Vladimir Sergueev.

Vladimir a été porté en terre aujourd’hui, après une intense cérémonie célébrée en la cathédrale orthodoxe de la rue Daru à Paris.

C’est la deuxième fois de ma vie que j’y assiste à une liturgie. La première était consacrée au mariage d’un ami. Je découvris la splendeur, la profondeur de cette parole dont je ne comprenais rien, alors. Mais a-t-on besoin de tout comprendre lorsque le sens profond nous est porté par la somptuosité du cadre, l’éclat des vêtements, la majesté des symboles rehaussés par la splendeur des voix russes aux basses profondes ?

Je devais m’instruire en cela quelques années plus tard, grâce à Vladimir Volkoff qui écrivit un livre remarquable : Vladimir, le Soleil rouge. Le mot russe que l’on traduit habituellement par rouge, signifie aussi beau. C’est aussi valable pour la célèbre place de Moscou où Gilbert Bécaud nous fit découvrir Nathalie. Le texte de Volkoff reprend la chronique de Vladimir Ier le Grand qui instaura le monothéisme au XIe siècle dans ce qui devait devenir la Russie. Pour cela il envoya des émissaires auprès de la Chrétienté à Rome, vers l’islam, et vers la Chrétienté orthodoxe à Constantinople. Ces derniers revinrent, plus qu’enthousiasmés, transportés par le culte auquel ils avaient participé.

L’histoire est belle, probablement embellie. Qu’importe. On peut la retrouver à chacune des cérémonies orthodoxes auxquelles j’ai pu assister. Celle de ce jour, en dépit des circonstances ne l’était pas moins.

Mais qui était Vladimir Sergueev ? Je dirais simplement, un ami.

Non pas un ami de longue date, mais un être apparu au gré d’une réunion avec des amis communs. Russe, il l’était profondément. Amoureux de la France, au moins autant. Il était philologue et traducteur et écrivain, ce qui pimenta d’emblée notre relation. Il me fut d’emblée sympathique, et ce fut partagé. Nous parlâmes de la Russie, de sa langue, de la nôtre. Il m’apprit des mots russes que je ne rapporterai pas ici, car peu convenables dans une conversation « équilibrée », et j’eus le plaisir de lui exposer une de mes trouvailles linguistiques sur quelques mots, dont un employé en argot russe, provenant de la République du Birobidjan (en russe : l’oblast autonome juif) par transfert d’un terme espagnol datant du XVe siècle.

Voilà qui nous rapprocha furieusement. Il devait en parler à Marek Halter qu’il connaissait. Mais hélas…

Nous évoquions aussi les difficultés de la traduction de la poésie russe en français. Il refusait le mot-à-mot, et il avait raison. Il voulait du rythme, du sens étoilé, construit ou même reconstruit, car disait-il « les Russes sont des poètes, des créateurs. » En cela il retrouvait l’étymologie grecque de notre poésie.

Autre fait linguistique qui nous rapprocha, lorsque je lui récitai en russe le poème de Maïakovski intitulé Послушайте (Écoutez !).

Je suis particulièrement sensible à la dernière tirade :

Écoutez !
Vraiment, si les étoiles portent flamme,
Cela signifie que c’est nécessaire à quelqu’un ?
Cela signifie que c’est indispensable,
Pour que chaque soir
Au-dessus des toits
se mette à luire au moins une étoile ?

Mais je ne saurais négliger, nos vodkas partagées, spécialement celle qu’il préparait, relevée de racine de galanga, qui en faisait « notre vodka ».

Sur sa demande, je lui avais apporté mon petit concours sur une version des Fourberies de Scapin qu’il préparait en français, disons en « français audible par de jeunes têtes perdues par l’Éduc’nat ». Il voulait transmettre, ou mieux, donner l’idée d’une redécouverte. C’était en vers, bien sûr, mais je n’ose imaginer comment Molière eût reçu « son » texte,  surtout lorsque je lui en déclamai quelques passages avec l’accent « adéquat ».

Nous en parlions encore il y a peu, lorsque déjà malade, il se réjouissait que nous poursuivions nos séances avec « Scapino ». Mais la camarde…

Vladimir était le président de l’association Glagol. Le mot dit tout. Ouvrez un dictionnaire, vous y verrez la traduction la plus simple : le verbe (au sens grammatical). Mais en profondeur, il s’enrichit de la parole de l’envoyé de Dieu, le Verbe, réminiscence d’un poème de Pouchkine.

Ce matin, le pope, de sa voix puissante s’adressa une dernière fois à lui : Vladimir Serguéiévitch. Son nom et son patronyme (le prénom de son père) : un résumé de patrie. La Grande Russie.

Sur son cercueil en baisant le crucifix, selon le rite orthodoxe, j’ai prononcé trois mots :

хоть одна звезда

Au moins une étoile.

Il a été enterré au cimetière russe de Sainte-Geneviève des Bois qu’il nous avait fait visiter, et nous avions partagé le pain et la vodka sur la tombe de son épouse, comme il est de vieille coutume russe.

Nous l’y retrouverons sans oublier pain et vodka.

À sa famille, spécifiquement sa fille Sacha et ses petits-enfants.

Antoine Solmer