LE POPULISME ? C’EST QUOI, AU JUSTE ?

VARGAS LLOSA ALVARO ESTALLIDO DEL POPULISMO
VARGAS LLOSA ALVARO ESTALLIDO DEL POPULISMO

Il est des mots qui connaissent une étrange fortune. Dans populisme il y a « du peuple ». Cela, on le concevait assez facilement. Encore que ce fameux peuple prenne des consistances variables selon le besoin qu’en ont les dirigeants, et également leurs opposants, sans oublier ses propres composants. On le verra ainsi étiqueté populo, plèbe, populace, population, peuplade, ethnie, foule, avec les adjectifs et autres vocables qui correspondent, dont le sens profond dépend de l’accent de celui que les prononce ainsi que de ses arrière-pensées.

Ainsi ni le populo ni la populace ne participeront à un glorieux plébiscite. On leur attribuera plus facilement leurs dérives droitières ou gauchistes, à moins qu’on ne leur conseille un bon dentiste, pour peu qu’ils soient « sans-dents ».

Mais revenons au sens du mot populisme, tel que nous l’avons vu et entendu exploser depuis quelques années, principalement dans la presse de gauche, c’est-à-dire la plus et la mieux subventionnée. Cela n’augurait rien de bon.

Alors, pour ne faire de peine à quiconque, j’ai préféré parcourir un très bon livre, intitulé El estallido del populismo  dont plusieurs traductions seraient possibles : Le déclenchement, l’explosion, la flambée, l’éruption… du populisme [1]. Si vous en doutez, regardez bien la couverture de l’édition Planeta de 2017. C’est un œuvre collective rédigée sous la direction d’Alvaro Vargas Llosa, fils de Mario, le très célèbre auteur de Conversation à la cathédrale, dont je parlerai peut-être un jour.

LA PRÉFACE DE MARIO VARGAS LLOSA

Le grand Mario fut de la gauche pur sucre, jusqu’à se convertir sur le tard à un libéralisme affirmé. Ce livre est de cette dernière veine. Il y a écrit une belle préface qui nous met immédiatement dans l’ambiance :

« Ce n’est plus le communisme l’ennemi principal de la démocratie libérale – de la liberté – mais le populisme. »

Fut-il prophète, lorsqu’il annonçait :

« Il ne s’agit pas d’une idéologie, mais d’une épidémie virale, – au sens le plus toxique du terme – qui attaque également les pays développés que les défavorisés, adoptant pour chacun des masques divers. L’ultra-gauchisme dans le tiers-monde et la droitisation extrême dans le plus riche. »

Autant dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge, surtout quand il en vise les patrons :

« Qu’est le populisme ? Avant tout, la politique irresponsable et démagogique de dirigeants qui n’hésitent pas à sacrifier le futur de la société pour un présent éphémère. »

Il va certes casser du bois sur le dos de la gauche, mais tout de même, avec, semble-t-il un peu moins de vivacité que quand il déclare : 

« L’ingrédient central du populisme est le nationalisme, la source, après la religion, des guerres les plus mortifères dont a souffert l’humanité […] . Inséparable du populisme est le racisme qui se manifeste surtout en cherchant des boucs émissaires qu’il rend coupables de tous les malheurs du pays. »

Déjà, je pense que vous avez compris. Le populisme est très méchant. Les patriotes, encore plus. Les patriotes de notre pays encore plus que plus. D’ailleurs ce livre s’occupe assez longuement du Front national et attend du président Trump qu’il se découvre comme un fieffé populiste. N’oublions pas qu’il est paru en 2017.

En fait la grande crainte de Mario Vargas Llosa est que le continent européen ne se laisse aller au populisme, au moment où les pays d’Amérique latine en sortent. Mais eux, étaient plutôt poussés par des conditions socio-économiques moins favorables.

J’ai consacré une très petite part à cette préface, qui fait 17 pages et a pour titre « Le populisme, le nouvel ennemi ».

UNE ANALYSE DE MAURICIO ROJAS

Il est tant de poser quelques idées plus précises extraites du travail d’un des auteurs, Mauricio Rojas, qui lui aussi évolua de la gauche au libéralisme, lorsqu’il quitta le Chili pour se réfugier en Suède.

« Le discours populiste, quelles qu’en soient les origines, contextes et nuances, tend à s’articuler sur cinq idées basiques, qui, par leur ensemble, forment ce que l’on pourrait appeler, au sens de Max Weber, son “type idéal” ou version archétypique, à partir de laquelle on peut examiner le contenu populistes de divers mouvements ou partis :

  • L’opposition manichéenne entre le peuple et l’élite…
  • L’ennemi étranger…
  • La métaphore apocalyptique…
  • La composante messianique…
  • Le discours généralisé de protestation. »

De ce discours archétypique, Rojas dit qu’il tend à « promouvoir trois caractéristiques distinctives des mouvements populistes :

  • En premier lieu sa préférence pour les formes démocratiques plébiscitaires, de rupture et de confrontation, s’entremettant pour que le peuple exprime sa volonté directement, se débarrassant des mediations propres au système démocrate libéral et conférant au dirigeants populistes un mandat de refondation.
  • Seconde caractéristique… sa forte orientation vers le personnalisme, à savoir, la prépondérance active d’un homme (ou d’une femme) capable d’incarner “le véritable sentiment » et realiser la « véritable volonté” des gens.
  • Enfin, une considération d’importante pour comprendre l’extraordinaire malléabilité ou “nature caléméonesque”du populisme à représenter des options de valeur et de d’idéologies très diverses. […] Le populisme est avant tout une “logique politique”. En cela la logique ou le discours populiste peut se combiner, avec les éléments idéologiques les plus divers et se faire le porte-parole des intérêts sociaux les plus variés. »

QUELQUES REMARQUES PLUS PERSONNELLES

          TRADUIRE OU PAS ?

Je pensais que ce livre méritait d’être connu, car, à ma connaissance, il n’est pas traduit en français. De plus, l’attrait du nom Vargas Llosa, ici redoublé par la présence de son fils, ne pouvait manquer de m’attirer.

Bien sûr, une grande part de l’ouvrage se base sur différents États d’Amérique latine, mais ni l’Espagne, ni la France ne sont oubliées comme « représentantes » de l’Europe.

          UNE MÉNAGERIE

Pour alléger l’article je n’ai pas repris toutes les constatations des auteurs envers l’Union européenne. Chacun peut en voir chaque jour les blocages et les irritations qui en découlent, lesquels, pour les auteurs, font le lit du populisme.

Aussi séduisant soit ce livre, il n’en souffre pas moins d’un grave défaut : il fait une impasse quasi-totale sur l’immigration « musclée et opiniâtre » de l’Europe par des peuples qui se disent eux-mêmes « décolonisés » mais certainement pas « décolonisants ». Ce serait plutôt le contraire.

Et, sans en relever le lien, il associe structurellement, comme le plus obstiné des perroquets, le nationalisme au racisme. Entre le “caméléonisme” du populisme et le psittacisme de ces démocrates libéraux, que nous réserve cette ménagerie ?

Ainsi, la moindre idée de nation leur serait insupportable ! Pour avoir longtemps parcouru l’Amérique latine, en long en large et en travers, je n’ai pas trouvé sur place de manque de fierté des peuples envers leurs nations. Poursuivant même dans des livres scolaires que j’ai étudiés, les suites des conflits entre l’Équateur et le Pérou datant des derniers empereurs incas. Je ne parle même pas de la fierté d’une province à l’autre, où l’on affirmer parler « le meilleur quechua », etc.

Il faut dire qu’à mon habitude, je me promenais dans le peuple « comme un poisson dans l’eau », pour paraphraser le digne Mao [2].

En somme, s’intéresser d’assez près au sort de sa propre nation ferait de quiconque – moi-même – un raciste patenté ! Faut-il passer directement à la case prison, ou subir d’emblée les foudres de la bien-pensance et les triques de certaines mouvances dilacérantes ?

Ou alors, attaquer directement ce livre devant les tribunaux pour haine anti-nationale et diffamation sur base de prétendu racisme ? Mais ne rêvons pas ! Un prix Nobel de littérature traité comme un simple « Gaulois réfractaire » ?

          LE MESSIANISME COMME MÉCANISME

Aussi bizarre que cela paraisse, l’accent est très souvent mis sur la relation du dirigeant au peuple. Je rappelle que Mario Vargas Llossa a basé nombre de ses écrits sur le rôle du caudillo,  et que l’Amérique du Sud fut riche en tribuns somptueux, harangueurs de foules, avec ou sans moustaches conquérantes.

Mais, sans rire, nous n’insistons pas assez en Europe sur cette relation de type fusionnel, ce « tango renversé » par lequel le chef et ses troupes populaires, se dirigeraient ensemble, à temps et à contre-temps, vers les lendemains qui déchantent avant de jouer du tambour de guerre.

Si nous ne connaissons pas ici la même impétuosité verbale et corporelle, remarquons cependant que le premier président de Marianne V, a bien essayé. Mais l’imaginer avec un sombrero… ?

Quoi qu’il en soit, si l’on en suit les auteurs, faudrait-il détacher à ce point le numéro 1 de ses ouailles, le reléguer dans son bureau avec ses dossiers, le transformer en simple ectoplasme rivé à la « première bobonne » ? Allons ! Ce ne serait ni sérieux ni efficace. Admettons donc, qu’en France, il n’est pas facile de trouver la juste mesure. Est-on sûr qu’une telle démocratie libérale plairait en France ?

          UNE DÉMOCRATIE PLÉBISCITAIRE

Encore un mauvais point pour nos démocrates libéraux ! Et moi qui avait tendance à préférer une forte et solide majorité à un éparpillement de « semi-légitimes » à près de 20% des voix. J’ai dû me tromper. Ah ! Tous ces « pointillistes » qui feraient mieux de faire de la peinture plutôt que de la politique ! Nous manquons vraiment de « Fauves » !

Alors, écoutons les démocrates libéraux à la sauce Vargas Llosa : supprimons les votes, les votations, les référendums, dès qu’ils dépassent une majorité déplaisante. C’est tout l’inverse de la gauche dictatoriale me répondra-t-on !

Non, justement, c’est toujours la gauche, sous un autre déguisement. D’une façon comme d’une autre elle ne supporte pas que le peuple s’exprime. Et encore moins quand elle prétend le diriger “vers le bonheur”. C’était même, pour 2005, du sarkozisme à l’état pur ! De la karchérisation de référendum. On a vu. Mais certains n’ont toujours pas compris.

L’ERREUR FONDAMENTALE DE VARGAS LLOSA

Elle est inscrite au début du livre, comme l’oracle au fronton du temple de Delphes.

« Ce n’est plus le communisme l’ennemi principal de la démocratie libérale – de la liberté – mais le populisme. »

Quel dommage qu’un esprit si brillant n’ait pas compris que l’ennemi principal de la liberté reste la Gauche archétypique, qu’elle s’appelle communisme ou démocratie libérale.

Car on ne peut prétendre défendre les libertés personnelles si l’on n’a pas pour le peuple – si irritant soit-il, sommes-nous, parfois – ce minimum de respect qui empêcherait de le traiter de populiste quand il dénonce à sa façon, les fautes lourdes des ses gouvernants sans « gouvernance ».

 

[1] Ce livre n’a pas été traduit en français, à ma connaissance. Le terme flambée a été choisi par Naïma Tamajnit, pour en parler dans un mémoire en vue de l’obtention du du diplôme de master en traduction. Il reste en espagnol. Donc, fiez-vous à mes propres traductions.

[2] La Guerre révolutionnaire.