LA GUERRE RÉCURRENTE DE CENT ANS DE THIERRY WOLTON

Valeurs Actuelles a publié il y a peu un entretien avec Thierry Wolton[1] au sujet duquel quelques remarques s’imposent, me semble-t-il. Les voici.

Tout d’abord, il faut remercier une fois de plus Thierry Wolton pour l’immense travail réalisé au sujet du communisme, mais aussi de ses résonances en France. En particulier, son livre intitulé L’Histoire interdite, pose la question des trop belles légendes résistancialistes, et des « Ponce-Pilate du communisme ». Voilà qui entraîne obligatoirement des flots de haine, mais surtout, nous oblige à aiguiser notre regard sur l’actualité. Car l’histoire des idéologies, si elle reste à écrire, reste surtout à penser quotidiennement, en sachant plisser les yeux pour éviter l’aveuglement des projecteurs-éteignoirs-de-pensée des médias de grand chemin et des politiques qui en font leurs choux gras. Bref, la France « pourrait bien être le dernier pays communiste du monde », lance-t-il… tout en étant conscient que la Chine n’est pas mal non plus dans ce genre.

Mais revenons aux remarques attendues lors de la présentation de son dernier livre Le Retour des temps barbares.

NAZISME ET COMMUNISME

D’emblée, une distinction est faite entre le nazisme (défait en 1945) et « d’autres idéologies mortifères [qui] ont perduré ou se sont développées, comme le communisme et l’islamisme. »

Ce point est fondamental c’est pourquoi je le développe immédiatement. Wolton associe le nazisme et l’idéologie nationale-socialiste. Je voudrais que l’on m’explique clairement la différence. L’un ne serait-il que la partie active de l’autre ? Pourquoi pas ? Mais cela obligerait à pratiquer des coupes temporelles toujours discutées et discutables entre historiens. Et ce serait surtout nier toute évolution de la pensée par rapport aux actes et réciproquement. En élargissant le débat, l’école des Annales, poussant le bouchon trop loin (manie française), s’opposa aux prédécesseurs qualifiés « historiens des batailles ». Cette réduction « ad pugnam » sentait un peu trop ses origines gauchisantes.

Il y a plus. Sachant que « contrairement au nazisme défait militairement l’Union soviétique n’a pas perdu de guerre » et que l’histoire est écrite par les vainqueurs, même si certains sont cocus d’avance, nous démontons le mantra qui permet aux « a-historiés » — comme il y a des illettrés — et au couple gauchistes-idiots utiles de disjoindre communisme et nazisme. Or il s’agit de la même idéologie mortifère. Et si l’on doit mettre les morts dans la balance, ses plateaux penchent à gauche, et s’y trouvent même irrémédiablement collés.

D’ailleurs Wolton ne s’y trompe pas, mais seulement à petits pas quand il décrit  : « un mode de gouvernance communiste (une seule idéologie, un seul parti). » Il va plus loin avec le communisme  : « un vrai travail de mémoire n’a pas été entrepris pour établir le terrible constat d’une idéologie qui a fait bien plus de dégâts humains dans le monde que le nazisme. »

Je reviens, parce que c’est indispensable, sur la mauvaise traduction française de nazi qui devrait être grammaticalement et conceptuellement  socialisme national. C’est cet adjectif national (au sens allemand lié à la langue et à la race) qui l’oppose à son frère aîné, l’international aux deux faces (socialiste et communiste). Cela n’est jamais assez dit, répété, bien qu’il s’agisse d’une évidence historique. Dans les deux cas, le peuple n’a qu’à suivre, jusqu’à la Gestapo ou au KGB, au choix.

RUSSIE ET UKRAINE

Ici, une partie d’un paragraphe à ranger au rayon naphtaliné de la doxa ambiante : « Certaines belles âmes qui n’ont rien compris à l’histoire, toujours promptes à la repentance, ont prétendu que les avancées de l’Otan en Europe de l’Est auraient provoqué Poutine jusqu’à le pousser à envahir l’Ukraine. C’est ridicule. Si l’on avait prêté un peu d’attention au personnage, à sa culture, à ses discours, on se serait aperçu que la volonté de revanche de Poutine existait en elle-même, qu’elle n’avait nul besoin de “provocation” occidentale pour s’exprimer. »

Mais il s’agit là d’un raccourci fallacieux, d’une impasse sur des provocations occidentales. Comment oser s’en tenir au seul Poutine qui agirait selon un logiciel fondé sur « des vieux outils soviétiques qu’il connaît : les rapports de force, le chantage, la subversion, la guerre. De plus, comme tout dictateur, Poutine ne peut pas supporter que figurent dans son entourage proche d’autres modes de gouvernance que le sien, de peur que le peuple ne soit tenté. C’est l’Ukraine en voie de démocratisation que cherche à détruire le maître du Kremlin, pour garder le contrôle total chez lui. »

J’oserais dire que c’est un peu faible, et que cela raye d’un trait de plume les multiples déclarations programmatiques de Zbigniew Brezinski dans The grand chessboard (Le Grand Échiquier) de 1997 reprenant le concept à trois étages d’Harold Mackinder partant de l’Europe de l’est pour avancer sur le pivot eurasien, incluant la Sibérie entière et une bonne part de l’Asie centrale. Gouverner cette aire-pivot, permettrait de commander l’Afro-Eurasie, puis le monde. C’était en 1919, année où les USA, au prix de quelques efforts de troupe et d’investissements pouvaient débarquer en sauveurs intéressés sur le continent européen, tout en enrageant de se trouver face à une Russie soumise au nouveau pouvoir communiste, donc peu malléable. Et l’on ne pourra s’empêcher de penser que la triple prévision de Mackinder préludait à la théorie des dominos, autre invention américaine inventée pour justifier leurs interventions dans le monde.

Mais je reviens à Brzezinski qui définit ainsi les pivots géopolitiques : « des États dont l’importance ne tient pas à leur puissance ou à leurs motivation, mais plutôt à leur position sensible et aux conséquences de leur condition vulnérable sur le comportement des acteurs géostratégiques. » Mieux : « L’identification des pivots géopolitiques eurasiens clefs  issus de la guerre froide, et leur protection est donc un point crucial de la géostratégie mondiale des USA[2]. »

Et pour ceux qui n’auraient pas compris, l’ancien conseiller de Carter (entre autres) enfonce le clou : « L’Ukraine, un nouvel et important espace de l’échiquier eurasien est un pivot géopolitique, tout simplement parce que son existence en tant que pays indépendant aide à transformer la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasien. »

Ensuite, il annonce que dans une telle situation, l’empire russe se concentrerait sur l’Asie centrale, au risque de tensions dangereuses avec les États islamique du sud. Mais avec l’Ukraine et ses 52 millions d’habitants, la Russie s’étendrait vers l’Europe, faisant de la Pologne un nouveau pivot.

MA LECTURE

Wolton poursuit son article en parlant de la Chine. Comment s’en étonner, puisque des irresponsables font tout pour la lier à la Russie ? Par ailleurs, j’ai axé ma lecture sur l’article, mais je n’ai pas lu le livre. Il y a certainement du bien à en tirer… j’espère.

On peut reprocher bien des choses à Poutine, mais une chose le sépare à jamais de Macron : lui, au moins, travaille pour son pays. Encore un point de divergence : il veut amener les Russes à un état d’esprit conciliant le meilleur possible de la mémoire des temps tsaristes, de celle de l’URSS, mais aussi de la vie contemporaine,  sans créer de fractures dans le peuple. Ce n’est pas facile. Mais lui, ne se glorifie pas de mépriser les « perdants », et quand il parlait de « chiottes », c’était pour atteindre des terroristes, non pour y envoyer des réfractaires à certains médicaments géniques injectables.

Antoine Solmer

[1] https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/lincorrect/le-monde-subit-une-guerre-recurrente-de-cent-ans-decrypte-thierry-wolton

[2] The identification of the post-Cold War key Eurasian geopolitical pivots, and protecting them, is thus also a crucial aspect of America’s global geostrategy. The Grand Chessboard, p. 40