LA RETRAITE… AUX BISCOTTOS (2)

Nos distingués représentants d’on ne sait plus trop quoi, camouflés en treillis gouvernementaux ou smokings syndicaux, ont ou vont échanger des hautes pensées sur la « pénibilité ». D’une certaine façon, nous aussi, car ils sont vraiment pénibles dans leurs jeux de ping-pong sabotés par trop d’amortis vicelards.

Ainsi ils ont inventé la pénibilité ! Merveille des merveilles qui avait échappé à toutes les espèces du genre Homo depuis quelques centaines de milliers d’années. Il est vrai que nos ancêtres – chacun choisira les siens – ne se posaient pas de question sur le chauffage central des grottes, n’étaient pas taxés sur la recherche et le travail du meilleur silex, partaient joyeusement à la cueillette ou à la chasse sans trop se préoccuper de la marque de leurs Doc Martens. Bref, une vie joyeuse, insouciante pour de grands enfants en liberté. Par malheur, l’un d’eux inventa le propulseur, ce qui eut pour effet d’augmenter la portée de leurs caillasses mais aussi de malmener les cartilages de l’épaule. La vie prenait un mauvais départ, qui ne devait cesser d’empirer jusqu’à aujourd’hui, année bénie où les inventeurs de l’eau tiède clament « pénibilité » pour affirmer leur « socialitude ensemble » (Droits de copie accordée gracieusement à Mme Ségolène Royal).

Mais que cache le piège de la pénibilité ? La réponse est simple : le néant de leurs connaissances, le mépris des meilleures solutions et le pire des principes anti-vitaux de la gauche : l’égalité forcenée et mortifère. Et l’une des raisons les plus simples en est le refus conjoint des directions et des syndicats d’appliquer clairement la prévention bien comprise qui se développe en trois niveaux.

LE PRINCIPE DE PRÉVENTION

Premier niveau de prévention : ne pas créer de conditions potentiellement dommageables.

Deuxième niveau : améliorer les conditions dommageables si l’on n’a pu les supprimer avant toute utilisation humaine.

Troisième niveau : limiter le dommage réalisé quelles que soient les réalisations ou non-réalisations des deux premiers niveaux.

L’ESCALIER ET L’ASCENSEUR

Le couplage de l’escalier et de l’ascenseur nous permettra de mettre en pratique le principe exposé ci-dessus appliqué à la pénibilité de certains déplacements internes.

L’ascenseur, obligatoire ou non, économise les difficultés et risques liés à l’usage de l’escalier : fatigue physique, risques de chutes entraînant des traumatismes diverses allant de l’entorse dite simple (plus d’un mois d’arrêt de travail en moyenne) au décès.

Le remplacement d’un escalier par un ascenseur éviterait donc des entorses, fractures, jusqu’à certains décès : prévention de niveau 1.

Alors, faut-il supprimer les escaliers ? Non, car ils doivent exister et être obligatoirement adaptés à l’évacuation urgente de tous, dont les personnes handicapées, dans des circonstances où l’usage des ascenseurs est bloqué pour éviter que des personnes ne s’y trouvent coincées à grand péril (incendie, alertes diverses, etc.) : autre action de niveau 1 contradictoire avec la précédente.

Nous devons nous tirer de ce mauvais pas.

Si l’escalier n’est pas encore construit, il devra répondre à des critères de prévention précis (niveau 1). Par exemple, en ne tenant compte que des marches, je vous invite à prendre connaissance des neuf critères de l’article R4216-12 du Code du travail [1].

Si l’escalier est ancien et non remplaçable nous devrons le sécuriser par différents moyens de niveau 2 : rampes, lumières avec minuterie permettant d’atteindre l’étage sans risque de se trouver dans le noir, utilisation de matières non glissantes pour le nettoyage, panneaux signalant un risque spécifique, etc. Remarquons que ces mesures s’imposent aussi pour tout escalier conçu selon le niveau 1.

Nous savons cependant qu’en dépit de toutes ces précautions des chutes se produiront. Il faut donc envisager des mesures de prévention de niveau 3 pour en atténuer les conséquences. Cela peut aller de la mise en place de tapis de caoutchouc souple au palier inférieur (amortir la chute) à l’arrivée rapide de secouristes capables de mettre en place les meilleures mesures (évaluation et premier soins jusqu’à l’évacuation si nécessaire).

LE SAC DE CIMENT

Jusqu’en 2002 le ciment était délivré en sacs de 50 kg. Le passage au sac de 35 kg ou même 25 kg a été un soulagement pour bien des dos de vieux maçons, et même des jeunes. Cela a aussi amélioré le bilan des entreprises par diminution des arrêts de travail liés aux contraintes dorsales, et aussi meilleur climat social. De plus les risques de chutes lors des montées à l’échelle diminuaient. Tout cela est de la prévention de niveau 2.

Un prévention de niveau 1 (suppression du port des sacs de ciment) imposerait la livraison du béton par des toupies équipées d’élévateurs.

La situation est-elle devenue meilleure ? Évidemment, oui, mais au prix de nouveaux apprentissages. La vieille pratique du sac de 50 kg de ciment dans la bétonnière (je ne parle ni du sable ni du gravier) a nécessité un nouveau « coup d’œil » pour ajouter 15 kg sortis à l’estime d’un deuxième sac de 35 kg.

Facile, répondrait un technocrate. Il suffit de mettre en place des sacs de 15 kilos, ou encore de livrer par sacs de 25 kg, deux de ces sacs remplaçant l’ancien sac de 50. Ce que le technocrate ne saura jamais prendre en compte est la réalité du terrain. Un de 35 kg et un de 15 font 50. Simple ! Trop simple, mais créant d’autres contraintes : ouvrir un deuxième sac (perte de temps et gestes annexes faisant perdre du produit). Et le technocrate oublie la question du prix. Forcément, ce n’est pas lui qui paye.

Exemple chiffré [2]:

Prix du sac de ciment 35 kg : entre 5.5 et 10.5 €

Prix du sac de ciment de 25 kg : entre 5.9 et 8.5 €

Nous retiendrons les prix les plus élevés pour ne pas compliquer le raisonnement.

Le maçon qui utilise deux sacs de 35 kg paye au plus 21 € et conserve 20 kg de ciment en plus des 50 mis dans la bétonnière. S’il s’était fait livrer deux sacs de 25 kg, il aurait payé 17 € (dans le pire des cas) et n’aurait pas les 20 kg du premier exemple correspondant à 6,8 €. Au total près de 24 € pour 70 kg, soit 3 € de plus par 70 kg par rapport au premier maçon.

Quel maçon allez-vous choisir pour construire votre maison alors que vous devrez payer la facture de tonnes de béton ?

Nous voyons ici que les principes de prévention ont un coût, et cela n’est qu’un exemple très simple. Qui veut inscrire ce petit problème dans le calcul de la pénibilité ?  

AUTRES GESTES TRAUMATISANTS

Les spécialistes de prévention – dont je fus – savent dépister les situations à risque et proposer des solutions. Cela nécessite des études de terrain, des discussions avec les personnes impliquées (de la victime potentielle aux responsables syndicaux et hiérarchiques). Il faut avoir en tête la pratique de l’arbre des causes telle qu’elle est enseignée, et surtout convaincre tout ce petit monde, ce qui est la partie la plus complexe. J’y reviendrai.

Les cahiers de l’INRS et d’autres revues spécialisées (sans compter mes propres travaux dont je ne parlerai pas) nous permettent d’objectiver, de mesurer les risques de troubles musculo-squelettiques en fonction des charges (poids, rythme de travail, postures, ambiances physiques, schéma organisationnel, etc.). Nous savons prévoir à partir de quel angle de travail d’une articulation celle-ci subit des dommages qui créeront de l’arthrose avec des douleurs invalidantes, etc.

Nous savons mesurer l’intensité des bruits, le degré d’empoussièrement d’une usine, la luminosité, et bien sûr proposer des solutions préventives, choisir les meilleurs équipements de protection individuelle ou collective, mais aussi suivre médicalement les personnes dans leur situations de travail, tant pour les accidents que pour les maladies.

UN BRIN D’HISTOIRE ET QUELQUES REMARQUES

Tout cela, et beaucoup d’autres choses encore ont été étudiées et mises en place progressivement depuis… 3500 ans en Égypte où des médecins étaient engagés pour veiller à la santé des ouvriers travaillant à la construction des pyramides. Et bien d’autres avancées que ce petit article ne permet pas de détailler.

Sachons seulement que le premier document complet sur la médecine du travail a été publié par le Dr Ramazzini de Modène en 1700 . C’est un ouvrage passionnant qui traite même de certaines situations psychologiques professionnelles liées à des directives volontairement floues.

Tout cela est très bien, et rien n’est parfait. Mais seuls les imbéciles (mot provenant du grec et signifiant « celui qui a besoin d’un bâton pour marcher ») croient à la perfection. Et d’un autre côté, les aveugles et sourds par intérêt, par méconnaissance, ou par routine n’ont jamais cessé de mettre des bâtons (eux aussi) dans les roues du système.

Et c’est sur ce dernier point que buttent toutes les avancées techniques. Car, la santé au travail reste la notion fondamentale légale qui dépasse de loin la fameuse « pénibilité », laquelle est un mot-valise de plus pour que chacun puisse se cacher derrière son petit doigt et ses grands principes.

Ici aussi, j’engage à lire et relire les articles L4121 du Code du travail dont la première ligne est fondamentale :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

Le nœud fondamental de cette fausse question dite de la « pénibilité » comporte bien des éléments mesurables, donc normalisables. Et là, les bureaucrates et leurs normes s’en donnent à cœur joie… mais ils oublient que les normes ne veulent rien dire, et même deviennent chaque jour plus toxiques si l’on oublie les hommes, ceux de bonne volonté et ceux qui le sont moins, leurs conflits et difficultés personnels ou professionnels, dont beaucoup se « liquident » lors du départ en retraite.

C’est sur la base de cette conflictualité obligatoire et de la mise en pratique de l’article L4121 que se joue le « meilleur-être possible au travail » dont la résultante est l’acceptabilité ou non des conditions de la retraite.

Autrement dit, lancer à la volée un tel chambardement sans tenir compte de la réalité humaine est et reste l’association fumeuse du bureaucratisme aveugle et du macronisme infantile. Les deux nous proposent une usine à gaz de trop, et ils s’étonnent que ça risque d’exploser. Ah !  les c… !

La suite au prochain numéro.

Antoine Solmer

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000018532416

[2] https://www.toutsurlebeton.fr/guide-des-prix/le-prix-dun-sac-de-ciment/