DÉMOCRATIE À UNE VOIX, DÉMOCRATIE SANS VOIX ? UNE GUÉGUERRE !

L’article précédent, illustré par le fameux « amendement Wallon, nous avait amenés aux débuts de la République N°3, laquelle dura jusqu’en 1940, non sans quelques discussions passionnées et actions menées tambour battant. Mais ce n’est pas le propos du jour. Ou plutôt, c’est un de ses épisodes terminaux qui nous retiendra.

D’UNE SCÈNE DE MÉNAGE À UNE DRÔLE DE MÉNAGERIE

1940, cela nous rappelle quelque chose : un scène de ménage dans le « couple franco-allemand » dont le prétendu rabibochage nous amuse toujours. Enfin, à l’époque, cela tournait à l’aigre, jusqu’au divorce, qu’on appelle une guerre, en langage diplomatico-juridique.

En voici le résumé, écrit par Benoist-Méchin, extrait de Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident 10 mai – 10 juillet 1940[1] :

« Le 1er septembre 1939, à 4 h. 45 du matin, les troupes du Reich envahissent la Pologne. Le 2, sur les instances du Quai d’Orsay, le gouvernement italien propose de convoquer une conférence à quatre « pour tenter de trouver une solution pacifique au litige germano-polonais ». Mais le gouvernement anglais ayant posé, comme condition préalable, que le Reich retire ses troupes de tous les territoires polonais qu’elles occupent déjà, le projet de conférence échoue. Le 3 septembre, à 11 heures, la Grande-Bretagne se déclare en état de belligérance avec l’Allemagne. Non sans réticence et sans consulter le Parlement, le gouvernement français en fait autant le même jour, à 17 heures. La deuxième guerre mondiale est commencée. »

Vous avez bien lu : le gouvernement français a déclaré la guerre l’Allemagne « sans consulter le Parlement ».

La République était censée être bicamérale avec un président investi de pouvoirs importants. Son organigramme fut progressivement modifié, le président se contentant « d’inaugurer les chrysanthèmes » et le président du Conseil prenant les rênes du pouvoir, jusqu’à ce galop final de 1940. Ou était passée, la « Démocratie » ? Elle se préparait dans le désordre des déclarations fumeuses et l’apathie de la « drôle de guerre », jusqu’à l’irruption des troupes allemandes qui avaient l’impolitesse de franchir les Ardennes où on ne les attendait pas, puisqu’on ne les y avait pas invités. On connaît la suite, au moins dans le domaine militaire.

Mais sur le plan politique, cela valait son pesant de cacahuètes. Malgré la multiplication des déclarations plus tonitruantes les unes que les autres, l’ambiance s’alourdissait, au point que le Sénat grogne et que le président du conseil, M. Daladier, doit démissionner le 21 mars.

Un nouveau gouvernement doit être constitué, dans une ambiance houleuse. dans une vote indécis, au point que des opérations de pointage sont nécessaires, ce qui donne le temps à certains de rameuter des indécis. Ah ! La cuisine au beurre ! Finalement, M. Paul Reynaud est élu… à une voix de majorité (267/268).

Voulez-vous en savoir plus ? Poursuivons la lecture de Benoist-Méchin :

« M. Paul Reynaud a donc une voix de majorité. “Encore ne suis-je pas très sûr qu’il l’ait eue”, dira plus tard Herriot au général de Gaulle. “Vous n’avez plus qu’à vous retirer !” lui crie Chichery, à l’issue du scrutin. N’est-il pas audacieux, en effet, de vouloir mener toute la nation à la guerre, avec une majorité aussi faible ?

“Me retirer ? C’est ce que j’aurais fait, écrit Paul Reynaud dans ses Mémoires, si, au Parlement, une personnalité autre que la mienne s’était imposée pour la Présidence. Mais ce n’était pas le cas.” »

LÉGALITÉ ET LÉGITIMITÉ

Donc, cette voix était peut-être fantomatique. Cela pose quelques questions quant aux règles démocratiques, à leur légalité, sans oublier la question de la légitimité. Paul Reynaud y donne une première réponse, sans l’évoquer ouvertement : il se serait retiré si une autre personnalité (au sens de personne aussi forte que déterminée pour le bien commun) s’était imposée.

À partir de cette situation aussi historique de dramatique, la question de la relation entre légalité et légitimité se simplifie : le plus légitime est celui qui a les clefs en mains pour assurer le bien commun de la maison France. Alors, les autres, quels que soient leurs titres ou fonctions tirent leur propre légitimité de leur obéissance au« premier légitime » dont ils deviennent les aides fidèles. Inversement, tous ceux qui refusent cette obligation perdent ipso facto toute légitimité.

Deuxième conséquence de ce raisonnement : élu à une voix de majorité, ou sans cette voix, et même, prenant directement le pouvoir, la question de la légalité dite démocratique, c’est-à-dire du fétichisme du 50% comme barrière symbolique, ne tient plus. Seule compte la légitimité qui consiste à être le meilleur (toujours pour le bien commun) dans les pires moments… et pourquoi pas dans les meilleurs ?

Cela ressemble furieusement à l’établissement du consulat dans la république romaine de la grande époque : les pleins pouvoirs pendant six mois. Exemple de Fabius cunctator, etc. (aucune relation, sinon inversée, avec un quelconque Fabius contemporain).

Personnellement, je n’y verrais aucun inconvénient. Bien sûr, j’aurais contre moi la majorité des Français drogués à « l’Égalité » et autres fariboles inscrites sur la pire devise sophistique du monde.

Bien sûr, le terme République perdrait son sens actuel (créé à feu et à sang en 1789 et après). Il reprendrait son sens initial de res publica : la chose publique. Une meilleure traduction tiendrait compte tenu de la parenté linguistique et sémantique entre publicus et populus – public et peuple . Alors, le mot République intègrerait directement le peuple comme déterminant du contenu et des limites de la chose dont il est question : la légitimité pour le bien commun du peuple. De là à un multiplication de RIP, RIC ou autres qualificatifs pour un référendum, sauf le RIF (référendum d’intervention fantomatique) qui est la marque des derniers présidents.

Avouez que nous en sommes loin, Macrone regnante.

RULE BRITANIA, RULE THE WAVES

De même qu’il peut y avoir loin entre des hostilités sur le terrain et la déclaration de guerre, cette dernière peut attendre longtemps les premiers combats. Et c’est ce qui devint la « drôle de guerre ». Une fois de plus nous étions à la traîne des Anglais qui baptisèrent cette période phoney war, dont la meilleure traduction serait la fausse guerre, ou mieux la guerre des hypocrites. Mais, les Français croyant entendre funny war plongèrent dans le contresens en même temps que dans le galimatias de tribune ou d’ailleurs.

C’est ainsi que sur forte pression de l’Angleterre Paul Reynaud signa l’accord franco-anglais du 28 mars 1940 par lequel les deux pays s’engagent « s’engagent mutuellement il ne négocier  ni conclure d’armistice ou de traité de paix… si ce n’est d’un commun accord. »

Pire, ils s’interdisent « d’entamer des négociations en vue d’un armistice sans le consentement de son allié (ce qui est sans précédent dans les annales diplomatiques). »

Bien sûr, me diront les républicolâtres : si la déclaration de guerre avait échappé aux parlementaires, cet accord au moins…

Eh bien, pas du tout. Ici aussi, lisons Benoist-Méchin :

« Mais le Conseil des ministres ? Mais le Parlement ? M. Paul Reynaud eut-il au moins soin de prendre leur avis ? Pas davantage. L’accord ne fut jamais discuté en Conseil des ministres. Ceux-ci furent placés devant le fait accompli. Jamais il ne fut soumis à la ratification du Parlement, ni même communiqué officiellement aux sénateurs ou aux députés. »

J’oubliais l’excuse plus ou moins officielle : la France avait besoin de ses alliés anglais. Seul petit problème : ceux-ci avaient rechigné à préciser qu’il ne pourrait envoyer que « 150 avions et deux divisions non motorisées. » Peanuts ! Des cacahouètes ! L’Angleterre finit par voter la conscription en avril 1939. Toutefois, cette loi « ne fut-elle appliquée qu’avec une extrême lenteur. Les recrues ne furent ni levées, ni entraînées, ni instruites. »

Malgré son impréparation flagrante, l’Angleterre avait réussi à amener la France dans ses filets diplomatiques.

MAIS EN 1940, LA RÉFOUTRIQUE NE S’AVOUAIT PAS VAINCUE

Tout en comptant sur les renforts britanniques, la France chantait cocorico à tout-va.

Or : « Du haut en bas de notre administration civile et militaire règnent une confusion et un irréalisme incroyables. Ordres et contre-ordres, projets et contre-projets, plans coûteux mis en chantier un jour pour être abandonnés le lendemain s’embrouillent et s’annulent les uns les autres, condamnant notre machine de guerre à tourner dans le vide. »

Pourtant Paul Reynaud stigmatisait officiellement cette situation depuis 1936, en 1937, en 1938, en 1939, avec de nombreuses preuves à l’appui, surtout dans le domaine militaire. Mais le pire était à venir. Quand il prend le pouvoir en mars 1940 « notre situation était plus catastrophique que jamais et que nous sommes entrés en guerre “sans ministère de la Défense nationale, ni Haut Commandement organisé, ni ministère de l’Air, ni ministère de l’Armement, ni mobilisation industrielle, ni avions, ni D.C.A., ni fortifications, ni alliés.” »

Mais, en bons Français, les militaires défendaient au moins leur pré carré, et à quelques exceptions près, contre-attaquaient sur ce front.

Il y avait même un orateur bien connu, Léon Blum qui osa s’insurger contre le recrutement d’un corps de professionnels « dont l’esprit, la composition et les armes mettraient automatiquement la République en danger. » Faisons toujours confiance au pacifisme de la Gauche pour aider les meilleurs ennemis du pays.

La suite, tout le monde la connaît : la débâcle.

UN AIR DE DÉJÀ VU ET DÉJÀ PRÉVISIBLE ?

Un peu de mauvais esprit ne saurait nuire. Quelle est notre situation aujourd’hui ? Sous la présidence macronienne nous envoyons des armes (et pourquoi pas quelques « personnels ») pour aider l’Ukraine contre la Russie.

Rappelons-nous que jamais une guerre n’a attendu une déclaration officielle pour commencer, que les préparatifs lui sont toujours antérieurs, et que les conséquences étaient toujours prévisibles.

Il y a peu, nous apprenions qu’en cas de conflit de haute intensité, l’armée française aurait trois jours de réserves ! Poussons à la semaine. Soyons généreux ! Et après ? Macron en chef de guerre ? Rions un bon coup ! Pourra-t-il « emmerder » les Russes comme il se vanter « d’emmerder les Français… » ? Pas sérieux ! Et pas sérieux non plus ceux qui le soutiennent dans cette escalade. Sans compter le conflit personnel qu’il entretient avec le peuple français.

« Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant, et dont les princes mangent dès le matin ![2] »

Antoine Solmer

[1] Éditions Albin Michel 1956

[2] Ecclésiaste, 10-16, Bible de Louis Segond.