C’ÉTAIT MIEUX AVANT ? CELA NE PEUT ALLER QU’AU PIRE ! (3)

TANT DE CHOSES À DIRE SUR LA MORT, ET D’ABORD SUR LA VIE

Il y a tant de choses à dire, à écrire et à penser sur la mort, et dans tous les domaines où elle se manifeste. Et si sa présence n’est pas perceptible, soyons rassurés sur sa bonne santé : elle est déjà là, ici, où nous ne voyons rien, ne sentons rien, n’imaginons rien (pour les plus optimistes, donc les plus écartés de la vraie vie).

Nous avons bien voulu imaginer des Dieux immortels, mais ce n’est qu’une illusion de l’esprit humain. Chez nos parents, les Grecs, ça commence bien : Ouranos, le Ciel nocturne, arrose et féconde Gaya, la Terre qui accomplit son travail de génitrice : onze « gamins », mais qui restent prisonniers dans ses entrailles. Quand le douzième s’annonce et s’élance dans la vie, la mère frustrée lui offre une faucille pour qu’il en châtre son père. Ah ! Le brave garçon que son petit Chronos, ou Cronos ! Ah ! Les joies de la famille.

Remarquons, par Wikipédia interposé, que, si l’accusation est lancée sur le père Ouranos (il contraindrait sa progéniture à l’enfouissement dans le sein maternel, au propre ou au figuré), l’image féminine de Gaya n’est pas très claire. Ça ne va pas ? Vite, une faucille, et metoo avant l’heure. Elle avait oublié un marteau, mais ça va venir.

Cronos devient le tyran attendu, engrosse sa sœur Rhéa à tire larigot, et déguste ses jeunes enfants (la chair est tendre, à cet âge). Sixième grossesse, Madame Rhéa remplace le bambin par une grosse pierre que son glouton de mari avale sans même un verre de pinard pour faire passer. Ce sixième s’appelle Zeus. On connaît la suite.

Voilà donc une merveilleuse histoire de Petit Chaperon Rouge à épisodes familiaux, on se nourrit, on s’avale, on régurgite, et on reprend sa petite vie tranquille… sauf le grand méchant loup, cet imbécile qui n’est même pas capable de se payer un jambon de petit cochon. Nous avons mis de la bonne morale dans une histoire de vie et de mort. Cela n’empêchera pas les Dieux de disparaître de leur belle mort, alors qu’ils étaient pleins de vie, qu’ils en débordaient même. Si belle est l’histoire, dans les mythes ou dans les maternités, on veut oublier que le ver est dans le fruit.

Transposez l’histoire pour les dynasties égyptiennes, les royaumes qui bordaient le Tigre et l’Euphrate, les vagues d’envahisseurs du continent américain depuis la dernière glaciation qui gela le détroit de Béring, poursuivez-la vers la France, vers cette République qu’on porte aux nues et qui redescendra obligatoirement dans les décombres de l’Histoire, vers cette Union européenne qui part déjà en lambeaux. Tout ce qui n’est pas mort périra. Certains s’illusionneront en conservant l’étiquette du flacon, mais inéluctablement celui-ci sera vidé, cassé et balancé aux ordures. 

TOUT EST QUESTION DE TEMPS

Le traditionnel conflit du temps et de l’espace remonte à la nuit… des temps. Dans la Genèse  « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre[1]. ». Passons sur les discussions questionnant le commencement d’une éternité, le fondamental est que l’espace n’arrive qu’en second. Ensuite, les événements s’accélèrent d’un soir à un matin, comme chacun le sait. Une « sacrée semaine » ! Puis viendront le premier génocide (nous descendons tous du premier génocidaire, fichue hérédité !) des chaos, un déluge, une tour de langues perdues, des fulgurances autour de Sodome et Gomorrhe, ainsi que d’autres péripéties. Si certaines sont assez bien localisées sur une carte, il n’en reste pas moins que le temps et les âges qui scandent l’histoire importent davantage que l’espace occupé.

Changeons de civilisation, occupons-nous de la première partie d’échecs. Tout paraît simple, au début, à qui ne réfléchit pas. Ensuite, qui « perd un coup » perd un temps qu’il ne rattrapera jamais, pour peu que l’adversaire soit mieux avisé et avance sans faux pas.

Revenons sur les grandes batailles qui ont façonné la géographie de notre pays. La phrase consacrée des textes est : « la journée est à nous » ce qui signifie « la victoire est à nous. » On retrouve cette pensée dans l’expression « Les Trois Glorieuses » amplifiée par « Les Trente Glorieuses ». Le temps, toujours le temps.

Napoléon étonna l’Europe, surtout celle de ses adversaires, en lançant ses grognards par dizaines de kilomètres par jour, parfois quarante kilomètres. Certes, il avait le génie de la position (qui oubliera le « soleil d’Austerlitz » ?) Mais, il disait lui-même « perdre l’espace n’est rien, c’est le temps qui compte. » Jamais dans l’histoire de France, l’expression « à marches forcées » n’aura autant mérité son sens, sauf, chez Jules Cesar : « quam maximus potest itineribus.[2] » de Rome à Genève (actuellement 910 km !).

Mais parfois l’espace joue contre un autre espace par l’intermédiaire du temps. Ainsi, pour le débarquement du 15 août 1944 sur les côtes de Provence. Il n’aurait jamais dû avoir lieu si l’on avait suivi le plan de Churchill : débarquement sur le front italien vers les Balkans. Une telle tactique aurait permis d’avancer plus vite vers Berlin et d’y arriver avant les Russes. Pour forcer Churchill à changer de plan, De Gaulle menaça de retirer les divisions françaises du front italien. Contraint et forcé (dragooned en anglais, d’où le nom d’opération Dragoon), Staline eut donc le temps nécessaire pour arriver à Berlin, et y instaurer les nouvelles frontières de l’empire soviétique. Une autre vue de la relation espace-temps, troublée par des relations personnelles étranges en temps de guerre.

LE TEMPS OU LES TEMPS ?

Mais sans hommes pour le mesurer, pas de temps, au moins au sens où nous l’entendons. Les animaux ont leur échelle de temps : celle qui associe les saisons et leurs nécessités, qui vont du processus de reproduction à celui de la mort, en passant par la réalisation des besoins fondamentaux (abri, nourriture, etc.) Nous, humains, avons inventé toutes les machines possibles pour le courber à notre mesure. Nous nous articulons sur le seconde (dans le système MKS) et descendons jusqu’à la femtoseconde (10-15 seconde) avant de nous envoler vers l’espace où, faute de mieux, les années-lumière (sorte de métissage d’espace et de temps) semblent parler un peu mieux à notre esprit, une fois qu’on en a admis le concept.

Et l’homme, dans cette affaire ? Il fait ce qu’il peut avec sa propre échelle interne. Comme les années de jeunesse se traînent, et comme elles galopent dans la vieillesse ! Les heures de classe qui n’en finissaient pas ont disparu dans la brume des souvenirs, et nous sommes maintenant aspirés vers une autre brume, qui porte vers une autre sorte d’éternité. Le tourbillon de l’eau dans l’évier sans fond.

L’homme ne construit pas dans le vide, ni ses demeures, ni ses structures sociales, ni même son système de vie. Toute construction, même reçue, a besoin d’un appui, a un lien direct avec le temps. Même les religions fondées sur une divinité évoluent. Jusqu’à ce que, d’ici quelque cinq milliards d’années la Terre soit absorbée par le Soleil parvenu à son implosion finale[3]. Enfin, ce n’est pas demain la veille !

Mais quelle folie que de s’imaginer pouvoir maîtriser le temps. Banzaï ! Dix mille années de vie pour l’empereur ! Hitler prophétisait 1000 ans pour le troisième Reich. Nous l’avons échappé belle ! Mais le millénariat professionnel s’appuie sur l’Histoire. Rome a tenu 1229 ans, l’empire byzantin 1058 ans, le Saint Empire Romain 844 ans. L’empire ottoman paraît jeunot avec ses 624 ans. 15 siècles ont passé depuis le baptême de Clovis. Pas si mal !

Maintenant, toujours pour parler de nous, combien de régimes depuis 1789 ! Faites le compte et essayez d’imaginer l’espérance de vie de la Ve République ! Il y a fort à parier que les bébés à naître actuellement, parvenus à l’âge adulte, ne sauront plus à quoi cette expression répondait.

Antoine Solmer

(À suivre)

[1] La Bible de Louis Segond 1910.

[2] La Guerre des Gaules, Livre I, chapitre 7.

[3]https://www.notre-planete.info/terre/fin_du_monde/mort_soleil.php