DE CASSEROLES EN CASSEROLES : L’HISTOIRE REPASSE LES PLATS

DE LA GRAMMAIRE AU BOULEVARD VOLTAIRE

Bienheureuse langue française qui, partant d’une simple casserole, en fait un ustensile politique attaché à la partie postérieure d’un président de passage, ou, par adjonction d’un simple suffixe, une joyeuse partie de tambourinade improvisée au passage du même président.

La livraison de ce jour de Boulevard Voltaire nous offre un article de François Bousquet intitulé « Casseroles : chronique d’une dégringolade avancée ». J’aime bien sa formule : « Lorsqu’un pouvoir transforme les casserolades en « dispositifs sonores portatifs » ou « amplificateurs de bruits », c’est qu’il a peur de tout, sauf du ridicule. » Mais je préfère l’introduction : « Aux abois, le pouvoir n’est pas loin de décréter l’état d’urgence contre les casserolades. Autant dire que ça sent le roussi pour lui ! »

Dans une partie intitulée « Des casserolades aux barricades », François Bousquet développe le rôle de l’économie dans la « casserolisation » politique qui lui rappelle Louis-Philippe, Thiers et Guizot rattrapés par une « crise économique avec inflation galopante et confiscation de la démocratie. » Il n’oublie pas le banquier Jacques Laffitte prédisant à Louis-Philippe : « Ce sera le règne des banquiers ». Il y a de quoi réfléchir.

UNE AUTRE HISTOIRE DE CASSEROLES

Mais d’autres concerts de casseroles ont existé, trop oubliés, pour ne pas dire enfouis dans la sinistre enfance de la cinquième République. Il s’agissait alors de bruits que la Métropole se refusait à entendre, puisque le sort de l’Algérie Française était en jeu. Le personnage qui avait réussi son coup d’État politique, puis sa trahison, affichait ostensiblement la grandeur de son mépris pour 10 millions de citoyens français qu’il s’apprêtait à « larguer » de la plus vile manière.

10 millions de Français ? Faisons les comptes ! Environ neuf millions de « Français musulmans » citoyens de statut local, selon la définition légale du statut de 1947, devenus en novembre 1958 « Français à part entière ». Ajoutons environ un million de « Français non-musulmans » de statut civil, ceux qui furent méprisés sous le sobriquet Pieds-Noirs.

Quant aux concerts de casseroles de l’époque, même pendant le couvre-feu, on n’y risquait pas de grenades lacrymogènes, mais les tirs de l’armée française. Et c’est sans casserole quelconque qu’une foule désarmée fut fusillée à bout portant le 26 mars 1962 à Alger, de Gaulle régnant et validant, pour ne pas dire organisant, et en tout cas, en jouissant. Pour d’autres exemples et souvenirs la littérature ne manque pas pour qui veut observer, sinon un devoir de mémoire, du moins une simple curiosité historique.

Ce curieux comprendra alors la logique profonde de la dégringolade structurelle de la Cinquième République.

Née dans le parjure et la trahison, il est logique qu’elle se termine en guignolade casserolisée, ou pire. Car si le « petit dernier » n’a ni la stature ni la puissance du « vieux premier », il partage avec lui le mépris pour les vies de ses concitoyens. Cela pèse lourd dans certaines décisions.

 Antoine Solmer