LA RETRAITE… AUX BOBOS (PLAIES ET BOSSES) (3)

L’article précédent pourrait se résumer ainsi : nous avons théoriquement tous les moyens légaux et techniques possibles pour diminuer la pénibilité et même la dangerosité de la majorité des travaux, depuis le bureau jusqu’au pêcheur en haute mer, en passant par le démineur professionnel. Mais, soyons réalistes : il existera toujours une pénibilité et une dangerosité inéluctables. Parlons-en !

LES NOUVELLES TECHNIQUES

Chaque jour de nouveaux produits arrivent sur le marché, tant au travail que dans notre vie domestique. Leur composition a changé, leur mode d’emploi aussi. Il faut apprendre à s’en servir au mieux. Cela peut être facile, quasi instinctif, ou au contraire dérangeant, énervant voire déstabilisant. Combien de personnes se plaignent des difficultés à monter sans faute une armoire préfabriquée d’une grande marque. Ce n’est qu’un exemple. Chacun pourra trouver celui qui lui convient le mieux. Imaginez l’ouvrier qui doit s’habituer à une nouvelle machine-outil, le chimiste à un nouveau composant, le soldat à une nouvelle arme, le chirurgien à un nouveau mode opératoire, etc.

Il existe des courbes qui suivent les étapes de l’apprentissage d’une technique. On calcule les bons résultats, les types d’erreurs et les réactions psychologiques correspondantes qui peuvent aller de l’acceptation bien comprise, voire modifiée, au rejet. Sans entrer dans le détail, rappelez-vous vos premières leçons d’auto-école. La première était fatigante, stressante, pénible, et heureusement contrôlée par le moniteur. Et maintenant conduire est devenu un nouveau mode de vie.

Première conclusion : il existera toujours des zones de pénibilité spécifiques. Elles sont nécessaires pour que nous apprenions de nos erreurs et de nos réussites, et que le stress initial soit apprivoisé… jusqu’au prochain apprentissage.

LA RÉSISTANCE PATRONALE

L’article L4121 du code du travail est un fameux outil puisqu’il rend l’employeur responsable de la santé physique et mentale au travail. La notion de santé mentale a été ajoutée il y a une petite vingtaine d’années, et ce fut un progrès. Mais un progrès difficile à accepter. Non seulement pour le vaste champ que cela introduisait, mais aussi pour en cerner les contours et limites. D’une certaine façon, l’employeur se trouvait face à une nouvelle courbe d’apprentissage, avec ses contraintes, ses hésitations, ses questionnements, et, ce qui échappe à l’opérateur, des contraintes budgétaires et légales. Tout cela ne s’organise pas en un jour, mais en des années.

Il a fallu de nombreuses étapes. Rappelons aux plus jeunes les lois Auroux de 1982, créatrices des CHSCT (Comité d’Hygiène et de sécurité du travail) maintenant remplacés par les CSE (Comité social et économique). Dans ces deux organismes le médecin du travail reste l’interlocuteur privilégié de l’employeur et des représentants du personnel.

Ici encore, rien n’étant parfait ni superposable, chaque personne travaillant dans une entreprise devrait considérer comme indispensable d’apporter sa pierre à l’édifice. Mais combien d’obstacles à surmonter…

LA RÉSISTANCE DE L’OPÉRATEUR

Il ne faut jamais oublier que l’opérateur (salarié, employé, ouvrier, etc.) oppose sa propre résistance à certaines mesures de protection dont il devrait bénéficier. Toutes les mauvaises raisons peuvent se cacher derrière trop d’argumentation.

La première et la plus simple est la façon dont la méthode de prévention est présentée. Si imposée par un article de loi « sec », il y a de fortes chances que la réticence soit forte. Si la présentation et la discussion sont préalables, et si de premiers résultats et témoignages sont favorables, alors l’adoption sera plus sereine et deviendra l’habitude.

N’oublions pas que l’opposition peut traduire d’autres causes plus personnelles. L’un traduira ainsi un conflit professionnel indépendant de la prévention proposée (salaire, relations internes). Un autre trouvera dévalorisant de limiter sa charge portée, ou de pratiquer selon une technique de protection lombo-dorsale. C’était pour lui l’occasion de faire valoir ses biceps, de montrer sa force, de donner l’image du travailleur consciencieux. Un troisième argumentera pour ne pas porter d’EPI (équipements de protection individuelle) tels que des protections auditives (surnommées par lui « bouchons d’oreilles », ce qui en dévalorise la fonction et semble justifier le faux argument : « ça m’empêche d’entendre »).

L’important est de comprendre que chacune des situations données en exemple (tant et plus sur le terrain) entraîne une variation de la pénibilité-dangerosité.

L’ÂGE

S’il est bien une donnée contre laquelle personne ne peut rien, c’est bien celle de l’âge. Les forces diminuent irrémédiablement, quoi qu’en disent certains. Et pour prouver leurs allégations, ils peuvent vouloir refuser d’entendre leur corps « parler » ou pire « en faire plus ».

L’expérience nous montre que dans une équipe de travailleurs de force qui s’entend bien, le « jeune » pourra comprendre que le « vieux » a besoin de son aide, même s’il ne la demande pas.

Mais même si cela n’était pas le cas, le rôle de la médecine du travail s’impose ici pour apprécier l’aptitude au poste en fonction des contraintes et proposer une adaptation. Encore faut-il que son « ordonnance » (la fiche de poste) soit suffisamment réaliste pour être mise en place, et qu’un suivi adéquat s’en suive. Sinon il lui faudra « élever la voix » en sachant ainsi ne pas nuire à la position du travailleur dont il est question.

Mais la force musculaire n’est pas le seul critère à prendre en considération en fonction de l’âge. Les articulations souffrent. Les sens de la vue, de l’audition, de l’équilibre ne doivent pas être oubliés. La résistance aux conditions climatiques diminue. Par exemple, en hiver la température au sol est supérieure à la température en haut d’un poteau électrique (ne parlons même pas d’un pylône) car le vent y est plus fort. Pour rappel, la mesure du vent se fait à 10 mètres de hauteur en zone découverte car la vitesse du vent diminue en frottant au sol.

Encore des paramètres à prendre en compte pour parler de pénibilité-dangerosité.

CONCLUSION PARTIELLE

Dans cet article nous avons vu apparaître une notion plus complexe que la pénibilité, c’est la tripe association de la pénibilité-dangerosité- acceptabilité.

Nous avons évoqué quelques situations parmi des milliers d’autres qui peuvent influencer la triple association pour le meilleur ou pour le pire. N’oublions pas que dans bien des situations professionnelles des gens mettent leur vie en danger, soit par accident, soit par agressions.
Et d’autres ont vu diminuer leur pénibilité-dangerosité au travail… car suspendus pour ne pas avoir voulu se faire piquer à la potion magique de Mc Kinsey et collaborateurs.

Et combien d’autres se suicident.

Mais, chut ! nous dirait notre président préféré en tapant la table de ses petits poings.

À suivre