RÉTROSPECTIVE SIDA : LE PASSÉ SONNE À LA PORTE

CHARLES NICOLLE VERS 1910
CHARLES NICOLLE VERS 1910

Il faut tout garder, car le passé ne meurt jamais. Il nous attend, il nous surveille, et pour peu que nous ne lui rendions pas la pareille, nous prenons le risque de mourir idiots. En ces temps de covid, la proportion augmente et touche toutes les classes de la société, jusqu’à la plus haute. Mais cela, nous le savions déjà.

LE DOCTEUR LEMAIRE

Bref, je relisais La Revue des deux mondes de mai 1987 lorsqu’un article de Jean-François Lemaire a attiré mon attention. Jean-François Lemaire, était doublement docteur, en médecine et en histoire. Je profite de cette « bizarrerie » pour regretter que la chaire d’histoire de la médecine soit la grande oubliée de la médecine française. Quant à imaginer une chaire de philosophie médicale… ne rêvons pas ! Que diraient les « scientifiques auto-dénominés » s’ils se trouvaient face à des empêcheurs de « scientifiquer en rond » ? Déjà que les plus médiatiques d’entre eux ont obtenu le permis de chasse aux déviants complotistes !

Donc, le docteur Lemaire, tout récemment décédé (septembre 2021) dans sa 92année, fut un spécialiste de l’histoire médicale du Consulat et de l’Empire, et tordit le cou – si j’ose dire – à la légende de l’empoisonnement de Napoléon. Bichat, Corvisart, Dupuytren, Laennec furent parmi les confrères dont il étudia les vies, et il se pencha au chevet des blessés des guerres napoléoniennes, démontrant au passage les dommages causés par le vent du boulet, qu’il décrit comme plus néfastes que le boulet lui-même.  

Mais, rien de tout cela ne se trouve dans La Revue des deux mondes de 1987. Alors, pourquoi mon article ? C’est qu’il y traite de « Naissance du sida ».

Il en raconte les épisodes de la découverte, sur lesquels je ne reviendrai pas ici, sauf pour dire que les Américains, n’ayant pas les pudeurs des Français, l’avaient appelé GRID (Gay Related Immuno-Deficiency). Dans le milieu New-Yorkais, avant même cela, on parlait de « l’intestin des homosexuels [1] ».

Et il amplifie la pensée par le paragraphe suivant :

« C’est ici que les médecins ou les chercheurs – mais tous ne le firent pas – auraient dû relire Charles Nicolle ( 1866-1936). Dans Naissance, vie et mort des maladies infectieuses [2], ce prix Nobel français fixe en 1933, une fois pour toutes, les règles et les limites du jeu : “Il y aura des maladies nouvelles. C’est un fait fatal, écrit-il. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire. Il faut aussi bien se résigner à l’ignorance des premiers cas évidents. Ils seront méconnus, confondus avec des maladies déjà existantes, et ce n’est qu’après une longue période de tâtonnements qu’on dégagera le nouveau type pathologique du tableau des affections déjà classées”.»

LE PROFESSEUR CHARLES NICOLLE ET LE TYPHUS

De Charles Nicolle, trop oublié de nos jours, j’avais appris sa remarque sur l’épidémie de typhus de 1906 à Tunis, où il dirigeait l’institut Pasteur. C’était simple, clair et définitif : « L’épidémie s’arrête à la porte de l’hôpital. » En une courte phrase il détruisait l’hypothèse de la contagion interhumaine directe. Il suffisait de comprendre que le patient, lavé, épouillé au service d’admission, perdait tout danger de transmission. Il suffisait aussi d’être médecin, profondément médecin au chevet du malade, et non « supercalifragiliscientodocdetélé » [3]. Le reste n’était que « broutilles techniques » consistant à éliminer le rôle des puces, punaises et autres hôtes encombrants, puis à prouver le rôle du pou par reproduction de la maladie chez le singe, et enfin la transmission par ce seul insecte du processus morbide. Viendrait ensuite la découverte de la rickettsie, bactérie infectant le dit pou.

Mais dans le même livre de Charles Nicolle cité par le Dr Lemaire, il nous reste bien des perles à récolter.

Par exemple lorsqu’il insiste sur la nécessité de nommer précisément les « objets médicaux » :

« Les vieux termes ont cet avantage de nous rappeler les étapes de nos connaissances. De même que le mot bureau a signifié d’abord une étoffe (bure), puis le meuble qu’elle recouvre,  la pièce où se trouve ce meuble, la maison, jusqu’à un ministère, un terme, comme celui de vaccination, nous rappelle que le premier vaccin fut la vaccine et que celle-ci est récoltée sur la vache. Mais si nous chérissons ces vieux mots, c’est qu’aujourd’hui l’usage leur a fait perdre leurs premiers sens et que nos connaissances sur les maladies sont assez avancées que, même lorsqu’il nous apparaît qu’ils couvrent une erreur, ces mots ne nous troublent nullement [4]. »

C’est à croire que le professeur Nicolle aurait été un « antivax complotiste » de la pire espèce. Véran ! À l’aide ! Aux armes !

Et comme si cela ne suffisait pas, le vieux professeur, probablement atteint d’Alzheimer comme s’il n’était qu’un Montagnier de pacotille, ose écrire les horreurs suivantes :

« Il aurait été surprenant que l’homme dont le génie s’emploie tout autant au mal qu’au bien n’ait pas cherché une arme de destruction contre ses semblables dans les acquisitions de la science des maladies infectieuses. »

Puis il cite le cas historique de la Belle Ferronnière et de François 1er (le vrai) réunis autant par leur attirance commune que par la syphilis du mari de la belle, qui se l’était inoculée volontairement par fréquentation de « bourdaux » et autres coquines.

CHARLES NICOLLE OSE PRÉTENDRE LE PIRE

Mais Charles Nicolle aggrave son cas par les lignes suivantes :

« Bien différent est le cas dans lequel on se propose de créer une maladie épidémique et, par son moyen, d’affaiblir ou de détruire les collectivités humaines . On a donné à cette catégorie de crimes le nom de guerre microbienne. »

Et il cite, avec toutes les précautions d’usage :

« […] la correspondance échangée entre le général Amherst, gouverneur de la Nouvelle-Écosse (Acadie) et son subordonné le colonel anglais Bouquet, lors de l’affaire Pontiac en 1763. 

 –– Ne pourrions-nous pas, écrit le général, tenter de répandre la petite vérole parmi les tribus indiennes qui sont rebelles. Il faut en cette occasion user de tous les moyens pour les réduire.

–– Je vais essayer, répond le colonel, de répandre la petite vérole grâce à des couvertures que nous trouverons le moyen de leur faire parvenir.

–– Vous ferez bien, approuve le général, de répandre ainsi la petite vérole et d’user de tous les autres procédés, capable d’exterminer cette race abominable.

Nous ne savons s’il faut admettre, suivant le témoignage de l’abbé Maillard,  missionnaire des sauvages, que l’attentat ait eu les résultats que ses auteurs en attendaient. L’épidémie qui fut remarquée à la suite peut tout aussi bien avoir été la conséquence d’une contagion inintentionnelle, les Européens ayant importé la variole par leur seul contact chez tous les peuples nouveaux qu’ils affrontaient. »

Je dois reconnaître avoir frémi avant de lire ces derniers paragraphes. Il y avait de quoi. J’ai bien cru à une diatribe complotiste envers un pou chinois ou pire, évadé de notre institut Pasteur.

Il semble que non. Mais, deux précautions valant mieux qu’une, je  vais de ce pas le signaler à une honnête, solide et citoyenne entreprise de fact-checking.

Et puis, en repassant par la Nouvelle-Écosse, j’éviterai tout contact avec la ville d’Amherst et avec le whisky homonyme. Ah ! Mais !

[1] Gay bowel. Témoignage malheureusement personnel.

[2] Dépôt légale en 1930.

[3] Toute référence à Mary Poppins ne serait que pure coin-coincidence.

[4] P. 98