LE BIEN, LE BON, LE VRAI, LE BEAU

L'URNE GRECQUE CHANTÉE PAR KEATS
L’URNE GRECQUE CHANTÉE PAR KEATS

Le Bien, le Bon, le Vrai, le Beau…

  Récemment et à plusieurs reprises, j’ai, sans chercher à démontrer quoi que ce soit, utilisé ces mots, dans cet ordre ou dans un autre. Il n’y avait là nulle autre justification que le hasard : au moment où ils sont venus sous mes doigts, sur mon clavier, je les trouvais utiles, voire nécessaires, mais rien de plus. Mais plusieurs lecteurs n’ont pas résisté à me “titiller” sur cette utilisation : Pourquoi ou pour quoi ? Je confirme donc que c’est par hasard que ces mots sont apparus ici. Mais après coup, puisqu’on m’a posé la question, j’ai eu envie d’invoquer les Trois Vertus platoniciennes : le  Vrai, le Bien, le Beau. Nous quitter sur ces mots nous permettra de partir en vacances sur une note plus souriante que quelques billets précédents...

Schématiquement une comparaison de quelque situation politique ou économique avec des éléments aussi omniprésents que le Vrai, le Bien, voire le Bon, n’est pas choquante ni surprenante, en soi : leur recherche, exprimée ou pas, fait partie des arguments que peuvent employer sans se forcer tous les hommes politiques qui sont dans exercice de “la pêche-aux-voix”. Dans ce contexte, seul le mot “Beau” ne semble pas à sa place, tant la beauté est éloignée des préoccupations qui nous sont imposées par le monde, les modes, la perte de tout repère et la malfaisance de tout notre personnel politique. Mais en réalité, il est tout-à-fait de circonstance : “C’est la beauté qui sauvera le monde”, affirmait Dostoïevski dans L’Idiot

Pour en revenir à une vision platonicienne, c’est évidemment la Vérité qui occupe la première place, suivie d’assez près par le Bien. Mais, ajoute vite Platon, le Vrai et le Bien ne sont eux-mêmes que s’ils sont beaux, ce qui nous ramène à notre sujet. Et en allant au fond des choses, la Beauté pose un immense problème de causalité et de finalité : rien ne “condamnait” l’Univers à être beau. Au contraire, même, si on le croit fruit du hasard et de la nécessité. Et pourtant, tout ou presque en lui est marqué du signe de la Beauté, de l’infiniment grand (quoi de plus merveilleux que les images des galaxies, qui circulent sur le “Net” ?) à l’infiniment petit (où même un coronavirus n’arrive pas à être laid, et où les photos de planctons sont autant de splendeurs), ce qui renforce les chrétiens (même en nombre rétréci, ces temps derniers) dans leur conviction que pour qu’il y ait tant de beauté dans le monde, il ne peut pas ne pas y avoir eu une intelligence, un projet, une volonté créatrice…. Mozart n’expliquait-il pas :“Je mets ensemble les notes qui peuvent s’aimer” ?

Il ne faut pas oublier que pour et dans les anciennes civilisations du rameau indo-européen, la Beauté n’est pas “de droit” mais “de fait” : c’est une donnée qui invite à la reconnaissance et à la célébration. Dans La Parole et la Beauté, Alain Michel écrit : “Comme le croyaient tous les philosophes de la Grèce antique, le sacré est intimement lié à la Beauté”, affirmation que vérifie l’Histoire de l’Humanité : à partir du moment où les premiers hominiens, dans leur évolution, se détachent du règne animal, leur premier “souci” est la réalisation de peintures pariétales d’une beauté éternelle, qui avaient une finalité votive et une connotation sacrée, on ne peut en douter… Je racontais, il y a quelques jours, le souvenir des nymphes et des demi-dieux qui “habitent’’ chaque source chantante, chaque arbre majestueux et chaque sommet escarpé, en Grèce, aujourd’hui encore… Dans d’autres civilisations, ce sont les vagues, les montagnes grandioses (pour Kant, une montagne couronnée de neiges éternelles est une “entité sublime”), les fleuves puissants, les orages dont la grandeur, la puissance et la beauté bruyante ont fait des sujets d’adoration.

Chacun d’entre nous se souvient d’avoir découvert un jour “la Beauté’’, très jeune, dans un rayon de lumière ou un coucher de soleil, devant un torrent de montagne, un chaton de 3 semaines ou une fleur qui s’ouvre dans la lumière. Ces instants d’absolu volés (en quelque sorte) à notre finitude (qui, soit dit en passant, semble être bien partie, ces temps-ci, pour remporter une manche sur la partie la plus intéressante de notre “nous” intime) restent, pour chacun, un moment privilégié dont la plupart se souvient à jamais. Malgré l’intensité de tels souvenirs – dont la gratuité absolue n’était pas la moindre qualité – la Beauté ne saurait se ramener à quelque chose d’inutile, de superflu, à “une cerise sur le gâteau” : dès qu’il en a le loisir, l’homme recherche les Beau dans chacune de ses œuvres, au point que l’histoire de l’humanité peut aussi se lire comme celle de ses arts… et c’est une des nombreuses raisons qui feraient douter de la santé mentale de notre temps !

En prenant de l’âge, je suppose que je partage avec beaucoup le bonheur épisodique des mêmes extases visuelles ou autres, puisque s’y sont rajoutés le sourire d’un enfant (c’est plutôt un arrière-petit-enfant, maintenant, mais l’essence est bien la même), l’émotion d’un souvenir, le sourire à une évocation (avez-vous remarqué que, à partir d’un âge certain, les mauvais souvenirs s’estompent plus vite que les bons ?). En 1959, à la poursuite d’un “Certificat de Littérature anglaise” (un des 5 alors nécessaires à l’obtention d’une licence), j’avais découvert John Keats, et notamment ces hymnes poétiques à la beauté que sont l’Endymion, histoire de ce berger-prince, amant de Séléné –la déesse Lune – et Ode on an Grecian urn, Ode à une urne grecque antique, qui ont été parmi les plus jolis cadeaux que j’aie reçus : une courte strophe et un dyptique… qui font partie de mes bonheurs, petits ou grands et ont changé la manière dont je percevais le monde : 

A thing of beauty is a joy for ever.
It’s loveliness increases, It will never
Pass into nothingness…
(Une chose belle est une joie à jamais

Sa beauté se confirme
Jamais elle ne se perdra dans le néant)

“Beauty is Truth, Truth Beauty – that is all
Ye know on earth, and all ye need to know”.
(La beauté est vérité, la vérité, beauté.

[Si tu sais cela] tu n’as besoin de rien savoir d’autre, sur terre).

Malheureusement, l’âge adulte nous a fait découvrir que la laideur avait la vie plus dure que la beauté et pouvait durer parfois aussi longtemps. Mais ceci est un autre sujet… dont nous reparlerons après la longue séparation de l’été durant laquelle notre absence d’échanges va être ressentie comme un vide, en moi, comme à chaque fois. Nous nous retrouverons, si Dieu le veut, le 15 septembre, “date à reporter sur vos agendas”, selon la formule consacrée… D’ici là, sauf événement remarquable, le rythme sera hebdomadaire, pour que nous restions un peu en contact. Je vous souhaite de bonnes vacances, et un été… tout plein de beauté.

H-Cl.