CACARICATURES ET KAFKARICATURES

CARICATURE
CARICATURE

Les apprentis

Qu’est-ce qu’une caricature ? On en parle tellement qu’on oublie d’y réfléchir. Et à propos de réflexion, nous pouvons soutenir qu’une caricature est un miroir déformant de la réalité.

Bien que passé de mode, souvenons-nous de cette attraction foraine d’où émergeaient les rires enfantins : les miroirs déformants. L’image renvoyait un géant ou un nain, un obèse ou un squelette, un polichinelle tordu, et même une tête flottante qui mettait vaguement mal à l’aise. Vaguement… en ces temps paisibles.

La caricature est un genre qui ose déformer les apparences pour en faire apparaître les repères fondamentaux : elle déforme pour reformer, espérant pousser à réformer. Cela, s’est son bon côté. Mais quand elle se lance à produire des fantasmes personnels, où toutes les passions sales se propulsent… Quand elle s’abrite sous couvert-découvert d’art ou d’autre tartufferie à la mode, par exemple la fameuse et terrible gorgone qu’est la « liberté d’expression », celle qui est censée nous méduser (au sens étymo-mythologique : nous transformer en statue de pierre).

Il faut oser disséquer, et la caricature, et le caricaturiste. J’ai parlé ailleurs de potaches shootés aux dessins de portes de chiottes, ce qui ne mine en rien leur talent graphique, mais dévoile leur côté nauséabond. Pour une fois que cet adjectif, si marqué à gauche, doit lui revenir en bonne justice dans les naseaux, ne nous en privons pas.

Mais ne condamnons pas sans approfondir.

Il en est de Charlie Hebdo comme de tous les assassins : la question fondamentale est de savoir dans quelles conditions l’idée de meurtre s’est transformée en plan d’assassinat, jusqu’à l’acte. Ce qui est bizarre, ce qui vraiment montre que la dite « justice » se caricature elle-même, c’est son silence alors que la « provocation à la haine » – si fausse soit-elle – devient son fond de commerce.

Faut-il imaginer que les potaches en question ignoraient l’interdit musulman sur la reproduction du corps humain ? Faut-il imaginer qu’ils n’aient jamais su la raison de la profusion des arabesques et autres symboles ? Faut-il imaginer qu’ils n’aient aucune notion de la pudeur méditerranéenne et orientale ? Faut-il imaginer qu’ils soient à ce point ignorants du monde et seulement attachés à saliver sur leurs petites envies ? Sont-ils à ce point aveugles sur la réalité française pour ne pas comprendre qu’en osant ces caricatures ils dépassaient les bornes ? Se moquent-ils d’aiguillonner ceux des musulmans agressifs qui n’en demandaient pas tant pour passer à l’acte ? Méprisent-ils les musulmans paisibles atteints dans leurs âmes de croyants ? N’y a-t-il pas dans la salissure de ces caricatures une part, même faible, de culpabilité dans les assassinats qui s’en inspirent ? Leur reste-t-il seulement une ombre de conscience, de remords ? “Un homme, ça s’empêche.”

Liberté d’expression ! N’est-il pas surréaliste d’user et d’abuser de cette expression alors que l’auto-censure règne, qu’un renvoi (gastrique ?) de loi Avia profite de cette ambiance (nauséabonde, encore) pour envahir la Chambre des députés ? Au point que la masse des gogos veut d’autres caricatures !

Pourtant, les dessinateurs – « dessina-tueurs » ? – de Charlie Hebdo ont une excuse pour leurs cacaricatures : c’est de rester des apprentis.

Les maîtres

Pauvres petits dessinateurs potaches regardés de haut par la cour des Grands. C’est plus haut que la vraie caricature se produit : celle du réel, de l’association inespérée d’un virus et d’une guerre sainte. Pour un peu, certains finiraient par imaginer un complot divin !

Et comme le divin ne fait jamais les choses à moitié, il a prévu les épées en carton-pâte, les boucliers en chewing-gum et les guerriers à jambe de bois. Il a prévu les « plus extrêmes fermetés », les « nous ne céderons rien », les « montées au créneau », les « frappes du poing sur la table » et autres flons-flons du bal des vampires. Ah, les adorateurs du masque, les ouvreurs d’élections, les confineurs jusqu’à Noël, les « dérogateurs spéciaux », les industrieux du couac gouvernemental, du mental mal gouverné. À chaque jour son pesant de ridicule, sa mentonnade exacerbée, sa posture martiale, ses tartarinades de confitures retombant sur le mauvais côté, et ses voyages obligés vers l’Allemagne pour les blessés de la guerre du Covid… car l’intendance ne suit pas ! Mais on va voir ce qu’on va voir. La route du virus est aussi coupée que le fut celle du fer, et nos troupes spéciales sauront remasquer les démasqués.

Allons ! Il y a mieux que des cacaricatures : les kafkaricatures.

Soyons miséricordieux avec les lampistes !

NB. Rendons à César ! La citation est d’Albert Camus, le dessin d’illustration de J. Azam (https://www.1jour1actu.com/info-animee/cest-quoi-caricature)