Les avantages d’avoir une bibliothèque sont multiples. Je ne parle pas des casiers en bois provenant de quelque magasin venu du nord, ni de monuments en chêne passés de génération en génération jusque chez le premier brocanteur du coin. Non ! Je parle des livres, ces objets étranges venus à point pour témoigner du gribouillage des hommes et de leur aptitude à les multiplier. Les livres prouvent chaque jour leur utilité. Ils enrichissent les disputes, ils fournissent de la nourriture aux souris (n’oublions jamais comment Zorba taquine son patron : « souris papivore »), ils servent de cales à un vieux meuble souffrant d’une fracture de pied. Les livres posent et nous posent, si tant est que nous les exhibions, et surtout si nous en faisons notre miel, ce qui me convient parfaitement, je l’avoue.
Mais la récolte n’est pas toujours à la hauteur des espoirs. Parfois les abeilles ont souffert d’une sorte de maladie pernicieuse, d’un covid passé à un vax-pas-sain mal digéré, d’une sorte de miélopathie encrée, ou d’une invasion parasitaire qui impose l’appel au spécialiste.
Je m’interroge sur le dernier cas soumis à ma sagacité. Il s’agit de la quatrième de couverture – « quatre de couv’ » pour faire celui qui sait – d’un livré intitulé L’Élégance du hérisson, dont la génitrice est Muriel Barbery et le parrain, un apparenté de la maison Gallimard. Du beau linge. Mais jusqu’à ce jour, leur rejeton n’avait pas attiré mon attention. Honte à moi, surtout si l’on découvre qu’un film en avait suivi la trace, avec Josiane Balasko en concierge. Je date… je date…
Revenons à notre quatrième de couverture, dont la rédaction revient, comme le titre, à l’éditeur. En pratique, à un de ses sbires. Et voici que je suis piqué. Non par le hérisson, mais par la crainte d’attraper une sale maladie, un truc qui vous cloue les pattes pendant une semaine, qui vous donne envie de dégueuler triples et aloyaux, et de vous gratter jusqu’au sang : une commentestcequite aiguë.
J’ai eu la bonté de prendre une photo. Regardez bien : deuxième paragraphe, cinquième ligne : « Comment est-ce que je le sais ? » Le symptôme est net. La commentestcequite a frappé le malheureux rédacteur – à moins qu’il ne s’agisse d’une rédacteuse. Gallimard ! Une maison réputée ! J’espère qu’il l’ont débarqué avec ou sans e final. Et même, venant d’un dialogue relâché, ce n’était pas l’exemple à choisir.
Soyons sérieux ! Décortiquons pour les non décortiqués ! La commentestcequite n’est qu’un forme spécifique de la multi-estcequite, cette épidémie neuro-labiale qui frappe la France depuis bien trop d’années. Du dernier des bourriquots au grand ponte des ondes de toutes fréquences, combien en sont frappés ! La maladie a ceci de pire, que le porteur en est inconscient, qu’il se croit en mission, en croisade. Comment-est-ce-que… pourquoi-est-ce-que… quand-est-ce-que… et autres estcequismes ravageurs pour locuistreurs et autres apprenants béats. Encore, s’ils se limitaient à l’interrogation directe : « Mon petit, pourquoi est-ce que vous ne suivez pas mon exemple ? » Mais non, ils en rajoutent, dans l’interrogation indirecte : « Dites-moi pourquoi est-ce que vous ne suivez pas mon exemple ! »
Et ça coule, et ça coule… jusqu’au fond de la laideur. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit. De la laideur, au moment où nous attendons désespérément cette fameuse beauté dans Dostoievski affirme… espère… qu’elle sauvera le monde. À hurler ! À mégaphoniquement hurler vous dis-je !
Dostoievski n’est pas seul. Muriel Barbery le suit. La preuve en image, cet hymne à la grammaire qui fait de l’auteur – du moins de son personnage – une fââââchiste qui s’ignore peut-être, mais qui s’affirme (pages 168, 169). Profitons-en. Ce livre, paru en 2006, attirerait probablement le regard et les ciseaux d’Anastasie, par les temps qui gerbent.
Antoine Solmer