Il est des nouvelles qui déchirent celui qui les reçoit. Hier, c’était celle du décès de mon ami Pascal, auteur de Geocortex.site sous le nom de Noël Pomin. Une amitié d’hommes, une amitié littéraire aussi car Pascal était — aurait dû être — un écrivain reconnu pour son talent. Mais il n’y a pas que cela.
J’écris sous le coup de la tristesse et de la colère.
La tristesse, bien évidemment. Depuis plus d’une dizaine d’années nous avions partagé nombre de discussions politiques, littéraires, artistiques. Pascal faisait partie de ces êtres dont on dit qu’ils ont la sensibilité à fleur de peau. Cela paraît romantique, mais lorsque la volonté de perfection s’ajoute à une sorte de faiblesse devant la dureté du monde, la machine humaine reçoit sans cesse les coups de boutoir qui la blessent. Tel était Pascal, tenté d’agir pour le bien de la vie, mais n’ayant pas le cuir assez dur pour « encaisser ». Un cœur » gros comme ça », dit la sagesse populaire. Ce qui veut dire, un cœur soumis à de trop fortes charges.
La sensibilité de Pascal s’exprimait dans la musique, et je me rappelle avoir été plus qu’agréablement surpris par la délicatesse et la profondeur avec lesquelles il nous joua du Schubert. Par ailleurs, Pascal tenait l’harmonium à l’église du village, surtout pour les cérémonies funèbres. Que pensait-il à ces moments ? Nous ne le saurons jamais.
Tant de questions que j’aurais aimé lui poser ! Tant de réponses perdues ! Tant de rendez-vous impossibles à cause de cette folie covidienne ! Nous devions nous rencontrer autour d’un petit verre de ce whisky breton qu’il m’avait fait découvrir, et que je continue à savourer de temps à autre. Trop tard. Il arrive toujours un temps pour dire « trop tard ».
Après la tristesse, la colère. Pascal n’aurait jamais dû mourir, en tout cas, pas comme cela, pas si vite ! Il m’avait téléphoné il y a bientôt deux mois me faisant part de symptômes qui l’avaient inquiété. En tant qu’ancien cardiologue j’avais immédiatement posé mon diagnostic et recommandé une consultation cardiologique rapide. Mais tel est l’état du « système de santé que le monde entier nous envie » comme osent le clamer les chapons qui se prennent pour des coqs, que la fameuse consultation « urgente » n’avait pu être obtenue qu’en décembre. Elle n’aura jamais lieu.
Aurait-il fallu remuer ciel et terre ? Certainement, mais cela n’était pas du domaine du possible pour un homme si sensible. Et la chaîne de la médecine française tellement fantasmée en haut lieu a, une fois de plus, montré ses défauts structurels. J’aurais tant à écrire à ce sujet, depuis les hauts conseils « à la noix » jusqu’aux délires de l’enseignement médical, en passant par Big Pharma et la « grande peste » politico-virale !
Oublions momentanément, ces baudruches. Je reviens à Pascal, à l’écrivain qu’il aurait dû être. J’ai lu quelques-uns de ses textes. Ils étaient très bons, attirants, jouant des sonorités et des images, osant des inventions qui ouvraient des éclairages sur son univers secret. Nous en avions discuté.
Pascal a perdu du temps d’écrivain à écrire des biographies pour des hommes du commun, eux aussi négligés par les feux foireux de l’actualité. Il y trouvait du réconfort partagé, était heureux d’offrir ses capacités à ceux qui avaient su vivre, mais sans savoir écrire leurs vies. Il en est plus qu’on ne le croit, de ces richesses populaires négligées.
C’était donc un bien. Mais à quel prix ! À quelle perte de vie d’écrivain ! De cela aussi, nous discutions. Il avait commencé à mettre de l’ordre dans les milliers de pages de son autobiographie. Or, les années passant, je lui avais suggéré de reprendre ses poèmes. En effet, un seul poème peut nous faire franchir les portes du sublime, que mille pages de roman peuvent manquer.
En voici un, parmi ceux qu’il m’avait envoyés. Il me paraît fulgurant dans son apparent écrasement.
DÉNÛMENT D’UN RÊVE D’IDÉE
Dans la montagne verte, au bleu d’un lac d’antan
J’ai songé tout l’été, enveloppé de moire…
Sous la feuillée des cieux je me suis mis à croire
En cette lente idée qui paissait sous l’étang
J’espérais de mon souffle à caresser le temps ;
Des bruissements glissants frémissaient le miroir.
Au lever de la glace, un jour fraîchit le soir
Inlassé j’attendis sans voir, longtemps, longtemps…
Des brebis aux prairies s’éteignaient en bougies
Des nuages têtards, noirs comme des oscars
Gravissaient la triste, la tendre nue sagie…
Un crépuscule à l’horizon comme une bulle
Referma le moisi de tout ce vestibule ;
Depuis je dors, calme en ma lenteur et cafard.
À Dieu, toi qui, par tes prénoms, l’un donné (Pascal) l’autre choisi (Noël) montrait une flamme de vie et un cœur d’enfant.
Antoine Solmer