Voici un article très intéressant (*) portant sur l’un des travaux les plus nécessaires à mener de nos jours : le retour au réel, ce qui entraîne la distinction obligatoire entre le vrai et le faux, qui doit être accompagnée des barrières actualisées entre le bon et le mauvais, le bien et le mal, sans oublier le beau et le laid. Le tout, bien entendu, doit être travaillé à l’aune de l’être et des contingences, donc de ce qui forme la substance constitutive de tous ces « gros mots » à différencier de leurs variations selon les modes et les agressions du type de celles encensées par certains médias plus qu’aux ordres, au désordre.
Article très intéressant, je le répète, à lire tranquillement, plusieurs fois, la plume à la main. Pourquoi j’insiste sur cette vieille expression, d’autant plus vieillie que les plumes ont évolué vers les billes, et ces dernières vers l’ordinateur ? La raison de cette insistance est que, si l’ordinateur fait gagner du temps immédiat (sauf bugs, publicités, mises à jour, et autres « phishing parties ») il nous fait perdre le temps du long terme, celui de la mémoire active et pensante, de la réflexion, c’est-à-dire de la vue inversée dans le miroir (ce qui représente déjà un exercice de pensée obligatoire), l’ensemble travaillé par la main, qui, quoi qu’en pensent certains, nous distingue du singe, et si nous devions nous référer à l’intelligence animale, nous rapprocherait de l’éléphant par sa trompe. Celle-ci se compose de 100 à 150 000 muscles, nécessitant des années d’apprentissage pour en maîtriser les subtilités mécaniques.
Article très intéressant à plus d’un titre, donc. Non seulement par les connaissances, mais aussi par les méconnaissances, et finalement, c’est cela qui est le plus important. En effet, nous y retrouvons le leitmotif des « Lumières » opposées au « courant irrationnaliste contemporain ». Et bien sûr, en oubliant la rivière et la source de ce dernier, on cavale sur un pont aux ânes, qui, de Pythagoricien, est devenu bourgeois révolutionnaire, républicain terrorisant, guillotineur patenté. Autant dire qu’on en oublie les fausses prémisses autant que les prémices empoisonnées. On oublie que des « Lumières » peuvent être aveuglantes au point de masquer les précipices. Ainsi, se retrouve le cadre d’une certaine propagande renouvelée depuis l’ancêtre direct et mis au goût du jour des pires distorsions de vérité menant à l’invention française du génocide.
Toute référence à la Vendée ne serait que bonne réminiscence. Et toute référence au wokisme débridé du « truc en bleu » et de ses co-attablés pré-olympiques – santons pervers d’une étable pourrie – ne serait que démonstration par les faits que la Gauche travaille toujours par inversion des valeurs, et agressions perverses. Oublier cela, quels que soient les arguments raisonnables, c’est se perdre dans le non-raisonné. C’est oublier les sens divergents de l’Histoire, selon qu’on s’en tient à un conservatisme progressivement raisonné de Droite ou à un délire passionnel de Gauche, à une tendance à la paix réfléchie, ou à une folle course à la guerre, tant civile qu’extérieure.
Antoine Solmer
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Claudine Tiercelin : Défendre le vrai
Par Sacha Cornuel-Merveille
Claudine Tiercelin est philosophe. Professeure au Collège de France, cette héritière du mouvement des Lumières met un point d’honneur à défendre la probité intellectuelle mise en péril par un puissant courant irrationaliste qui travaille la société contemporaine. Dans son dernier ouvrage, La Post-Vérité ou le dégoût du vrai (2023, Editions Intervalles), la disciple de Jacques Bouveresse procède à un travail de nettoyage verbal dans le but de contrecarrer les effets délétères d’un relativisme devenu fou.
D’emblée, Claudine Tiercelin s’attaque à un certain courant post-moderne sceptique et relativiste : méfiant vis-à-vis des concepts de raison ou encore de connaissance, les zélateurs de cette mouvance auraient fait le lit de ce que nous nommons communément « l’ère de la post-vérité » (post-truth era). En effet, grisés par l’apologie primesautière de la vie, de l’intuition, voire de l’autorité et du pouvoir, un pan des penseurs de la déconstruction (du moins ses défenseurs les moins avisés) ont dynamité les piliers du rationalisme : la vérité objective, pourtant nécessaire à une émancipation authentique, s’en trouva affaiblie.
Cependant, la philosophe tient à ne pas céder au catastrophisme : le peu de considération vis-à-vis de ce qui est démontrable par des arguments solides est aussi ancienne que Mathusalem. Les Sophistes, rhéteurs antiques, manipulaient déjà les foules par le biais d’un verbe trompeur, pour qui le Logos est une arme toute-puissante indifférente à ce qui est vrai. Aristote, philosophe grec pourtant cardinal, n’était pas à l’abri d’un tel défaut : Bertrand Russell le notait, les écrits du Stagirite sont parsemés d’ « absurdités ». Aujourd’hui, c’est largement par le truchement d’Internet et des réseaux sociaux que s’infiltrent les mensonges mettant en péril la démocratie liée à la vérité. En dépit des kyrielles de commissions, des vérifications des faits (fact-checking), des lois diverses et variées, les canaux de communication modernes font le lit de ce que l’on nomme « l’effet Dunning-Kruger » : les personnes les moins qualifiées à évoquer un sujet sont celles qui sont les plus enclines à le faire.
Cependant, la désinformation et la falsification des faits ne sont pas les seules forces visant à subvertir la rigueur analytique nécessaire à la réflexion rationnelle : le moralisme ambiant conjugué à l’idéologisation à outrance mène à ce que le pragmatiste Peirce nommait « le raisonnement de pacotille » (sham reasoning) : dans ce cas de figure, la conclusion de l’argumentation a beaucoup plus d’importance que la démonstration. Ainsi, les cours de justice débordent de procès en « phobies » dénués d’arguments tandis que les complotistes agencent les événements selon leurs desiderata au détriment de la logique afin d’asséner « leur » vérité qui, ironiquement, est tout sauf vraie. En outre, Claudine Tiercelin voit dans cette crise un affaissement du langage : le sens, dans son acception de signification, semble ne pas importer dans les interventions des uns et des autres. Les concepts philosophiques de « vérité », d’ « objectivité » ou encore de « raison » ont la fâcheuse tendance d’être employés sans être définis avec acribie, ce qui fait de l’ère de la post-vérité un cauchemar pour celui qui cherche le vrai avec honnêteté et rigueur intellectuelle.
Enfin, la philosophe pointe le fait que l’ère que nous traversons se caractérise par un mépris des faits objectifs au profit de l’appel à « la croyance et aux émotions » (Oxford Dictionary). Les conditions pour entamer un débat sain ne sont donc pas remplies : en effet, les faits sont triés selon ce qui conforte nos illusions, les savants et experts sont discrédités par un populisme démagogique au mépris de toute scientificité, les preuves sont souvent délaissées, le mensonge règne impunément, il existe une confusion entre l’opinion et le savoir, enfin, la perte de l’exigence intellectuelle contemporaine fait du « tuto » l’équivalent d’études sérieuses.
A présent, penchons-nous sur l’analyse de la philosophe portant sur le règne contemporain de l’imposture intellectuelle.
Une ignorance volontaire
L’avènement d’Internet et la démocratisation de l’accès aux informations a eu ses avantages mais aussi ses pollutions : un relativisme de bon ton agrémenté d’une sagesse des foules ont permis de dévaloriser les méthodes nécessaires à l’élaboration d’un raisonnement rigoureux. En effet, l’indignation accompagné d’un effet rebond ont favorisé une disqualification des étapes à suivre dans la pensée en rejetant tout énoncé allant à l’encontre du confort intellectuel de certains. C’est l’avènement de ce que la philosophe nomme le « scepticisme mondain » : au savoir théorique étayé par des preuves, nous lui préférons un savoir pratique, un éloge du bon sens commun, sans forcément que nous soyons capables de lui donner des contours nets et précis. Ainsi, le « journaliste scientifique », le vulgarisateur, « l’influenceur » et le philosophe-écrivain se relaient tour à tour dans leur entreprise de séduction des masses avec souvent peu de scrupule pour la scientificité de leurs propos. Les savants qualifiés, jugés trop académiques, se voient ravalés au même rang que les pratiquants du tutoriel, et cela ne semble pas gêner les spectateurs de ce genre de contenus qui se passent très bien des preuves pourtant nécessaires à l’établissement des faits.
Or, un paradoxe émerge, les menteurs ou falsificateurs, sous couvert d’ « à chacun sa vérité », ont besoin du concept de vérité objective sans quoi il ne pourrait ni truquer le réel, ni mentir. Lorsqu’un homme ment à une foule, il doit avoir en tête la distinction entre le vrai et le faux, puisqu’il doit s’assurer que les auditeurs croient que ce qui est faux est vrai. Durant l’Antiquité grecque, le paradoxe du menteur énonçait « Tous les Crétois sont menteurs » : si cela est vrai, c’est faux ; si cela est faux, cela est vrai. Loin de disparaître, la vérité est donc toujours une propriété du discours ou du jugement à l’inverse de la véracité et de la sincérité qui sont liées à une personne.
Au menteur s’ajoutent les fumistes, les bonimenteurs, mais aussi les théoriciens du complot : s’il a existé des complots d’un point de vue historique, ces derniers attribuent des causes délirantes à un problème dont la source est pourtant vérifiable par des preuves. Loin de se limiter à une critique des pourfendeurs de la vérité du quotidien, Claudine Tiercelin attribue cette défiance envers les savants à deux épistémologues célèbres, du moins au dévoiement de leurs thèses, Thomas Kuhn et Paul Feyerabend. En s’intéressant plus aux changements d’acteurs dans la recherche plutôt qu’au progrès des résultats scientifiques, le premier aurait ouvert la boîte de Pandore du constructivisme le plus dégondé : la science ne serait pas une discipline basée sur des faits objectifs étayés par des preuves mais une construction sociale, qui pour certains, est arbitraire. Quant à Feyerabend, il demeure reconnu pour son anarchisme épistémologique déclarant sans ambages « Tout est bon » (anything goes) : les règles immuables et universelles de la rigueur scientifique seraient des mythes et il faudrait donc faire l’apologie du relativisme le plus radical suggérant que les théories scientifiques sont difficilement à même de cerner le réel mais aussi affirmer qu’elles sont incomparables entre elles.
En outre, la philosophe égrène dans une liste savoureuse les procédés qui maintiennent ce climat d’irrationalisme. Cela commence par l’ignorance volontaire : peu soucieux de la justesse de notre propos, nous affirmons quelque chose avec véhémence sans nous donner la peine de vérifier si cela est vrai ou faux. L’indifférence à la vérité se concrétise aussi dans le mensonge le plus grossier au plus sophistiqué : qui n’a pas déjà menti « par omission » ? En voulant épargner un public de la rugosité de ce qui est, on ne décrit qu’une partie du réel. Ce sont également les « enjoliveurs » qui tiennent le haut du pavé : présenter la réalité comme meilleure que ce qu’elle est reste leur spécialité ; ainsi, la publicité d’un médicament peut annoncer avec clarté les bénéfices de ce dernier tout en annonçant à toute vitesse les effets secondaires délétères que celui-ci peut receler.
Ces mécanismes de destruction de la vérité objective décrits par la philosophe s’originent dans une perversion du processus démocratique. Dans 1984, Orwell décrit la mise en péril du monde objectif par un Etat totalitaire dont le pouvoir est maintenu par un parti unique : à l’inverse, notre contemporanéité se définit par une dissolution de la vérité, ce qui permet l’avènement d’un relativisme absolu et généralisé. En effet, la vérité est détruite de l’intérieur mais non par un pouvoir despotique et vertical : le lien entre langage et réalité est aboli, et l’objectivité perd de sa force argumentaire. Loin d’être un progrès dans l’expression de chacun, la post-vérité met en danger la liberté démocratique qui se doit toujours d’être sous-tendue par une rigueur intellectuelle.
Cependant, Claudine Tiercelin ne se cantonne pas à une attaque à l’encontre du sentiment qui pourrait outrepasser ses prérogatives au détriment de la raison. Nous allons voir que nous devons penser une voie intellectuelle pour laquelle la passion doit être prise en charge par la rationalité.
Des pièges à éviter
S’il est pertinent de s’attaquer au culte de l’émotion qui prospère au détriment des discours rationnels, Claudine Tiercelin nous rappelle qu’il existe aussi de bonnes « émotions intellectuelles » (Descartes). Ainsi, la curiosité et le doute sont un préalable nécessaire au raisonnement : certaines réactions habituellement qualifiées d’irrationnelles sont parfois les alliées de la rigueur philosophique. La « colère » à l’encontre du charlatanisme généralisé, le « dégoût » face à la mauvaise foi des bonimenteurs qui inondent les places publiques sont susceptibles d’avoir une valeur cognitive et politique, voire épistémique : contrairement aux sentiments non localisables et anarchiques, les émotions nécessitent le recours au raisonnement, à l’anticipation ou encore aux croyances. Or, ces ressorts affectifs sains ont leur part d’ambiguïté : durant les mouvements émancipateurs récents, notamment en faveur de l’égalité hommes-femmes, les sentiments ont été brandis comme des boussoles pour les actions à mener dans le but de contrecarrer le sexisme de certains milieux. Lorsque ces derniers n’étaient pas corrélés à un projet rationnel, ils étaient les alliés des pires procédés dont la diffamation. Cependant, loin de toute naïveté, la philosophe concède que la distinction entre faits et valeurs reste difficile à maintenir : le raisonnement demeure parfois entaché de préjugés qui ne sont pas tirés de la réflexion.
Un autre écueil dans lequel s’engouffrent nombre de personnes a pour nom le scientisme : par leur goût immodéré des faits pour eux-mêmes, les thuriféraires de ce mouvement oublient que les jugements de valeurs sont présupposés dans toute connaissance, y compris la plus étayée scientifiquement. En effet, il est idiot de penser la science exempte de tout cadre métaphysique. Peirce, philosophe pragmatiste, écrivait à ce sujet : « Trouvez donc un homme de science qui se propose de se passer de la moindre métaphysique et vous aurez trouvé quelqu’un dont les doctrines sont entièrement viciées par la métaphysique grossière et non critiquée dans laquelle elles sont empaquetées ». Dans son sillage, Claudine Tiercelin énonce que les choix scientifiques reposent en permanence sur des normes et des valeurs à la fois cognitives et éthiques : affirmer le contraire relève de la supercherie intellectuelle. Ainsi, il s’agit de récuser tout à la fois l’opposition entre les faits et les jugements de valeur, le relativisme éthique pouvant mener au pire, mais aussi la réduction de la rationalité à un instrument purement intéressé par l’optimalité du progrès.
Ouvrage remarquable et fouillé, La Post-Vérité ou le dégoût du vrai cherche à défendre « le vrai et le bêta » dont parle George Orwell. Contre les sceptiques mondains, les relativistes zélés et les scientistes positivistes, la philosophe se fait le défenseur du rationalisme le plus rigoureux. Au moment où les acquis des Lumières régressent face à de nouveaux obscurantismes, (re)lire cet ouvrage est un travail d’hygiène intellectuel.
(*) https://www.mauvaisenouvelle.fr/?article=livres-claudine-tiercelin-defendre-le-vrai–2251