VICTOR CUPSA : UN GRAND PEINTRE NOUS A QUITTÉS

Dans mon bureau où règne son portrait sous lequel je travaille j’apprends il y a quelques minutes le décès d’un grand artiste, le peintre Victor Cupsa, qui fut l’un de mes grands amis. Je ne l’ai connu que depuis une douzaine d’années. Elles furent intenses. Intenses aussi furent les derniers jours où je l’ai suivi jusque dans les derniers moments où la conscience était encore présente. Je n’oublierai jamais son sourire lors de nos adieux. Sa femme depuis 57 ans, Monique, a recueilli son dernier souffle. Elle fut merveilleuse, de courage, de dignité.

Parler d’un peintre, ce n’est pas seulement lancer quelques lignes sur ses créations, si intéressantes soient-elles, venant d’un critique de belle tenue. Ce n’est pas mon cas. Ce n’est pas non plus reprendre la notice le concernant sur Wikipédia. Par contre, je puis dire que ma rencontre avec son œuvre, par l’intermédiaire d’un de ses plus vieux amis, fut pour moi un choc esthétique et moral de première grandeur. Le drame de la vie était là, devant moi, éclatant, plus fort que des livres entiers de longues explications sur le grand drame du XXe siècle que fut l’extension mortelle du communisme. Le premier tableau qui m’éclaira fut son triptyque Requiem en hommage aux victimes du communisme, éclairant sa salle à manger où nous eûmes des heures de bonheur.

Victor, naquit en 1932 en Roumanie, à Dej, ville d’une quinzaine de milliers d’habitants dans la région historique de Transylvanie. Il y eut la « grande chance historique » de subir l’invasion de l’Allemagne nazie, suivie de celle de la Russie communiste. Au milieu de cela, la mort des chevaux qu’il aimait tant, la disparition de la ferme familiale, les évacuations forcées, du jour au lendemain, la dégradation des hommes de bien, des notables, de ceux qui osaient « ne pas applaudir ». Voilà de quoi vous forger un homme. Mais pour forger un homme, n’oublions pas qu’il faut porter le fer au feu et le battre. Ce sont des souffrances qui ne s’oublient pas. Ce sont aussi des forces profondes qui permettent de sentir toute la valeur de moments que d’autres, plus chanceux – en théorie – ne connaîtront jamais.

Ainsi, je me rappelle son bonheur lorsqu’il évoquait ses promenades en petit bateau, sur le delta du Danube, alors parfaitement sauvage.

Un autre de ses bonheurs fut d’offrir son Requiem (dédié aux victimes de la catastrophe que représente le communisme dans tous les pays où il a exercé le pouvoir) au mémorial de Sighet des victimes du communisme et de la résistance de Roumanie. L’œuvre est située dans la salle d’accueil des visiteurs du Cimetière des Pauvres – Nécropole des sans sépulture1. Cela correspond très bien à l’esprit de Victor. Mais en réalité, les personnages qui se trouvent dans son triptyque, lui, les connaissait, et certains de sa famille.

Victor ne se vantait pas. Il fallait le découvrir peu à peu. Ce fut un « homme de cheval » par tradition familiale et dans la suite de sa vie. Ses chevaux lui offrirent de merveilleux moments de bonheur, mais aussi une peine parmi les plus grandes : la mort sous lui, de son cheval préféré, Hortal, un arabe de grande lignée.

Victor aurait dû être reconnu comme un peintre majeur de France. Cela n’a pas été. Arrivé à Paris, en provenance d’un pays communiste, il avait commencé à être accepté par de « bons camarades ». Jusqu’à ce que ceux-ci découvrent qu’il avait fui le régime dont lui connaissait les crimes. Alors il fut considéré comme un traître, et « excommunié ». Si bien qu’il dut une grande partie de sa subsistance à son accueil dans une galerie suisse. De cela, il me parlait encore il y a peu comme d’une grande douleur.

J’aurais encore tellement de choses à dire sur cet homme d’exception. Maintenant, ses œuvres parlent pour lui.

Ses livres :

Chemin à travers tableaux (éditions Lettropolis) que j’ai réalisé.

Solstice d’hiver, Solde de tout compte (Yveline éditions)

Et son œuvre peint que je résume ainsi : La vie malgré et par le malheur.

Repose en paix, Victor… avec ton vieil Hortal

Et pour nous accompagner, il nous reste ton Arbre de vie.

Antoine Solmer

 

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morial_de_Sighet