Il est des morts qui sont nos propres repères de mort, je veux dire de nos morts partielles, ces préparations à la « grande finale ». Celle, toute récente d’Alain Delon en est un. Je n’ai jamais eu la possibilité de le rencontrer sur les plateaux de cinéma. Mais j’ose dire que je l’ai rencontré par procuration, par l’intermédiaire de Romy Schneider sur le tournage de Garde à vue de Claude Miller en 1981. Une étrange impression, telle qu’en laissent parfois des personnages prenants, comme des volutes de vie intemporelles. Bien sûr, le couple Delon-Schneider avait fait rêver, mais il était déjà loin. Chacun avait repris son parcours. Donc, je le répète, juste une ambiance passagère, mais étrange, que je n’ai jamais évoquée sur le plateau. L’ambiance ne s’y prêtait pas.
Je reviens donc à Delon en ses films, donc, à moi spectateur par et à travers ses rôles. Comment établir une hiérarchie de préférence ? Et même, comment faire entrer un tel personnage dans une catégorie dominante ? Je ne saurais ni ne le souhaite. Ce serait le réduire. Alors, je m’en tirerai par un raccourci : Rocco et ses frères, Le Guépard et la série des Melville. Et là, je m’aperçois que je m’en veux de ne pas avoir cité Les Aventuriers, Mélodie en sous-sol, Mort d’un pourri, Scorpio, Deux hommes dans la ville, et Borsalino, et…
J’arrête sur ce dernier film… parce qu’il y en a tant d’autres, et surtout parce que Jean-Paul Belmondo, autre grand acteur l’accompagnait dans ce coup. Et cela me permet d’oser un anti-portrait. Quel dommage que Belmondo se soit laissé aller dans des films comme Le Guignolo. Certes, il en faut, autant pour le portefeuille que pour le public. Mais, pour un acteur de cette trempe, tel que Godard le faisait vivre, comme dans Pierrot le fou, ou À bout de souffle, ou tant d’autres, il y avait mieux à faire, ce qu’il a prouvé par ailleurs, tant devant la caméra que sur scène.
Alors… plutôt que d’énumérer de bonnes raisons cinématographiques ou théâtrales, je préfère conclure en demi-teinte si je compare l’un et l’autre de ces acteurs, mais en pleine lumière si j’en reviens à Delon. Avec lui, c’est la fin des grands monstres sacrés du cinéma français. La place est libre pour les « bien moins grands » et les « tout petits ».
Delon l’acteur, de son apprentissage de charcutier à l’Indochine, en passant par l’affaire Marcovic et ses coups de gueule, a marqué la fin d’une époque. Peut-être même, celle d’une civilisation. Il ne nous reste plus que Brigitte Bardot. Après…
Antoine Solmer