RÉFLEXION SUR L’INTELLIGENCE ET LA POLITIQUE, PAR MAXIME TANDONNET

Voici un article extrait du blog de Maxime Tandonnet du 27 janvier 2024. Il y est question d’intelligence. Il part de Macron, prétendu intelligent par tant de commentateurs, dont la flagornerie le dispute à l’hypnotisme, ou pire. À quoi obéissent-ils ? À une espèce de devoir de se glisser dans les bonnes places ou à un exemple frappant d’ovis panurgicus se jetant à l’eau sur ordre. Bref, ces tests de QI ambulants ne volent pas bien haut. Par exemple, que dire de l’appréciation de M. Lemaire, célèbre géomètre ignorant la valeur d’un hectare alors qu’il était ministre de l’Agriculture, prédicateur acharné de ses bêtises économiques maintenant qu’il est aux finances ? Maxime Tandonnet ne s’en laisse pas compter, et sait rappeler la distinction bergsonienne entre intelligence et intuition.

Il nous fait connaître sa préférence en illustrant son article par une photo de Bergson.

Plus le temps passe plus il faut revenir à Bergson, surtout en ces temps d’intelligence artificielle, qui pour Macron se réduit à une intelligence d’artifice qui croit illuminer le ciel de ses feux, et ne consiste qu’en quelques trucs appelés « éléments de langage ».

Ce serait un grand hommage indu que M. Tandonnet rendrait à Macron et à ses copies, s’il les prenait pour des sortes de Machiavel, car ce dernier souhaitait que ses leçons de bonne conduite adaptées au prince servent à assurer la paix en son domaine et à le préserver des ingérences étrangères. Macron, c’est tout le contraire par son inféodation à l’Union dite européenne des marchands, du communautarisme déliquescent et des lobbies (trafiquants d’influence) parachutés de Washington. Mais j’accepte volontiers son image de « maquignon de bas de gamme »… à la seule condition de ne pas dévaluer la grande connaissance des bêtes qu’ont ces personnages.

Par ailleurs, M. Tandonnet, qui sait de quoi il parle, compte tenu de sa carrière, a publié une biographie d’André Tardieu, personnage dont la dernière ligne de vie m’a toujours impressionné.

Antoine Solmer

RÉFLEXION SUR L’INTELLIGENCE ET LA POLITIQUE

Emmanuel Macron est intelligent voici un refrain banalisé de la vie politique française contemporaine. Son intelligence est un handicap va jusqu’à dire un scientifique réputé. Son intelligence fait l’objet d’un quasi consensus, presque d’un dogme. La plupart des politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite, et des intellectuels se retrouvent sur ce constat. Discutez de l’actuelle présidence avec n’importe quel politicien, le verdict fini par tomber: Il est intelligent. Non il est bête entend-on aussi parfois mais ce point de vue est extrêmement minoritaire et exprimé comme une provocation.

Tout se passe comme si l’intelligence présidentielle se substituait aux institutions, aux traditions politiques, à l’État de droit, aux équilibres démocratiques. Mais il n’est pas le seul à avoir cette réputation. M. Lemaire a lui-même déclaré un jour que son intelligence était un obstacle. D’autres présidents donnaient aussi une image d’intelligence supérieure, par exemple VGE ou François Mitterrand – le Florentin. On disait couramment d’eux: Il est intelligent. Pourtant, la France n’a jamais été aussi malheureuse, n’a jamais autant qu’aujourd’hui souffert, dans sa chair et dans sa dignité depuis 1944. L’actuel chef de l’État – comme ses prédécesseurs – est profondément impopulaire. Pourquoi, comment, de belles intelligences, réputées et revendiquées comme telles, conduisent la France dans un précipice?

Henri Bergson peut nous aider à comprendre le paradoxe. L’intuition marche dans le sens même de la vie, l’intelligence va en sens inverse et se retrouve tout naturellement réglée sur le mouvement de la matière, écrit-il. L’intelligence au sens où il l’entend [en tout cas ce que je comprends] consiste dans le savoir-faire, l’habileté qui permet d’atteindre un objectif. Elle consiste en la capacité à inventer des outils, des instruments destinés à travailler la matière, à satisfaire ses besoins ou ses désirs. L’intuition est une autre qualité de l’esprit, sensiblement différente. C’est elle qui, sans l’intermédiaire d’une méthode ou d’un mode de calcul, permet d’approcher une vérité. Elle découle de l’instinct, mais infiniment plus puissante, et permet à la conscience humaine de ressentir directement les choses dans toute leur profondeur. [Les philosophes me pardonneront si je me trompe].

L’intelligence politique ou politicienne est du premier ordre. Sa matière est le pouvoir. Elle est la faculté qui permet au politicien d’atteindre son objectif, la conquête et la conservation du pouvoir. Elle lui dicte les soumissions opportunes, les adversaires ou les obstacles à détruire, la séduction à déployer, les postures à adopter, les mensonges et les mauvais coups nécessaires, le choix des slogans, les moyens de briser les résistances. [Je songe, par exemple, à l’habileté avec laquelle le président Macron s’est sorti de la crise du projet de loi immigration, en roulant copieusement dans la farine ses adversaires de gauche, ceux de LR et du RN].

Cette forme d’intelligence, appliquée à la politique, s’appelle aussi le machiavélisme. Elle est synonyme de ruse, de malignité, ou bien, plus péjorativement, de fourberie. Mais elle est bien réelle, permet à un homme de renverser la table, de séduire, de s’imposer aux autres, de les berner et de rayonner. C’est ce qu’on appelle les maquignons. L’expérience montre d’ailleurs qu’en général, les spécimens les plus accomplis de ce genre de profil finissent mal.

En revanche, l’intelligence politicienne ne préjuge en rien de l’intuition (au sens de Bergson) d’un homme ou d’une femme, cette sensibilité des autres et du monde des réalités. L’intuition est en effet d’une toute autre nature. C’est elle qui permet de sentir ce que ressentent les autres, les individus et les groupes sociaux. Elle est la clé de la sensibilité historique, d’une vision de l’État, de ses racines et de l’avenir. Qui sommes-nous et où allons-nous? Quelle est notre place dans l’univers, l’espace et le temps? Quels sont les grands choix à accomplir aujourd’hui pour préparer le lendemain? Elle enseigne la relativité de soi-même et l’humilité – nul n’est indispensable. Elle pousse au service des autres plutôt qu’à l’autosatisfaction et l’exaltation vaniteuse. C’est elle qui donne la clé de l’appréhension de l’univers et de ses mouvements.

Ainsi, on peut être d’une extrême habileté, donc intelligent au sens politicien, machiavélien, tout en étant privé des antennes qui permettent de sentir les mouvements de l’âme collective. Les personnalités qui réunissent les deux qualités de l’esprit, l’intelligence, au sens de l’habileté, et l’intuition – ou la vision historique – sont rarissimes. Il en vient peut-être une ou deux par siècle. Le malheur de la France aujourd’hui, est de n’avoir à sa tête que des machiavel ou maquignons bas de gamme, qualifiés d’intelligents, mais privés du sens de l’intérêt général et de la vision historique, qui jettent aveuglément le pays dans le trouble et le malheur.

MT