UNE TRIBUNE DE LAURENT WAUQUIEZ – 9 OCTOBRE 2022

Voici une tribune qui date sans dater (*). Autrement dit, une tribune qui annonçait les catastrophes actuelles. En réalité, Laurent Wauquiez ne lisait pas dans le marc de café, mais il se contentait de reprendre ce que bien des Français auraient dû comprendre pour agir en conséquence, surtout lors de certaines élections de 2024… et lui aussi.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’un diagnostic est le bon, ne crachez pas sur le médecin, sauf s’il vous traite en dehors de tout bon sens.

Antoine Solmer

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Une tribune de Laurent Wauquiez – 9 octobre 2022

Et si, sous le feu de la crise énergétique, couvait la braise de la désindustrialisation ?

Ce dimanche, je voudrais aborder avec vous un aspect très peu traité de la crise énergétique : les conséquences sur notre industrie.

Le danger majeur, en dehors de l’impact sur le pouvoir d’achat, est que, dans l’année à venir, nous subissions l’une des plus grandes désindustrialisations de notre économie, à cause des conséquences de la crise énergétique sur les entreprises. On parle beaucoup, à raison, de l’impact de la facture d’énergie sur les ménages, mais il faut bien voir que, pour les entreprises – et donc pour l’emploi – l’énergie est tout aussi déterminante. Et ça, on en parle beaucoup moins.

Les retours que j’ai sont pourtant de plus en plus alarmants. Nombre d’entreprises françaises sont en train de renégocier leur contrat de fourniture d’énergie et on parle bien souvent de multiplication par trois de la facture, quand ce n’est pas plus. Les conséquences sont catastrophiques, avec une disparition de toutes marges financières, voire l’incapacité de produire pour certaines.

La situation est d’autant plus rageante que la France, normalement, devrait être dans la meilleure situation de tous les pays européens. Seuls à avoir un tel parc nucléaire, nous devrions être en situation de fournir à nos industries la meilleure électricité au prix le moins cher. Las, nous sommes dans la situation exactement inverse.

Comment en est-on arrivé là ? C’est sans doute l’exemple le plus accablant de l’absence de vision du politique des dernières années, à la fois au niveau européen et français.

D’abord, au niveau français, parce que nous sommes responsables de notre malheur. Je ne reviens que très brièvement sur la chronologie de nos erreurs que tout le monde connaît : abandon de la filière nucléaire sous Hollande, non-correction sous Macron avec la fermeture de Fessenheim par Edouard Philippe et le non-lancement du programme de rénovation de nos centrales, et, dans le même temps engloutissement de sommes pharaoniques dans le renouvelable. Il fallait investir dans le renouvelable mais il ne fallait pas le faire au détriment du nucléaire. On se souvient de ce chiffre très parlant de Jean-Marc Jancovici : pour remplacer le nucléaire français, il faudrait une éolienne tous les kilomètres, sans parler de la question de l’intermittence. Résultat : la France, qui était autonome, est devenue importatrice ; notre système électrique n’a plus de marge, ce qui le met à la merci du moindre aléa, et nos centrales ne sont pas opérationnelles dans cet hiver où elles vont faire cruellement défaut. On peut y ajouter les décisions absurdes, qui ont affaibli dramatiquement EDF, notamment quand cette année le gouvernement a imposé à EDF de vendre de l’électricité sur le marché avec des pertes colossales par le biais de l’ARENH. Cette spoliation a mis EDF à terre.

Ensuite, au niveau européen, l’Europe a décidé de faire un marché électrique européen, ce qui avait du sens mais sans aucun plan stratégique, ce qui s’est avéré catastrophique. On a laissé des pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Belgique sortir du nucléaire, sans penser un plan commun. On a, avec le gazoduc russe, créé une dépendance folle à la Russie, dont on paie le prix aujourd’hui. Et, fin du fin, on a construit un marché dans lequel la définition du prix dépend du coût de la dernière unité d’électricité nécessaire pour équilibrer l’offre et la demande, ce qui crée potentiellement un marché extrêmement sensible à la spéculation en cas de choc, comme en ce moment. La France aurait dû réclamer une clause d’opting-out, avec d’autant plus de légitimité que les Allemands ne nous avaient même pas avertis de leur décision. En gros, on aurait indiqué que, comme les centrales nucléaires avaient été construites par un grand effort national depuis des décennies, nous conservions notre indépendance en matière électrique. Au lieu de cela, nous nous sommes connectés au marché européen, en perdant notre grand atout de compétitivité par rapport aux Allemands qui était le coût de notre énergie. Les Allemands, avec beaucoup de cynisme, ont appliqué une stratégie parfaite qui a conduit à nous faire perdre cet avantage précieux qu’était le nucléaire pour notre pays.

Voilà comment on en arrive à cette situation folle où, alors que théoriquement nous ne dépendons qu’à 3% du gaz russe, nos entreprises vont payer le prix fort de ces folies.

Mais, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous risquons bien d’être parmi les seuls à souffrir autant. Les Américains ne sont pas du tout dans la même situation, car ils n’ont pas fait les mêmes erreurs, produisent du pétrole et du gaz, ont gardé leur nucléaire, ont développé les énergies renouvelables mais en continuant les autres énergies. Le prix de l’électricité chez eux sera cet hiver vraisemblablement de deux à trois fois moins cher qu’en France pour les entreprises. Côté chinois, entre les centrales à charbon et les accords passés avec la Russie, là aussi le coût de l’électricité chinoise sera beaucoup moins élevé qu’en Europe. Et, même en Europe, nous venons de subir un coup de Jarnac de l’Allemagne. La France est ruinée par son gaspillage de dépenses publiques. Elle peine déjà à faire un bouclier tarifaire pour les ménages et les mesures annoncées pour protéger les entreprises sont très faibles. Les Allemands, eux, n’ont pas ces problèmes et leur chancelier vient d’annoncer un plan massif de 200 milliards d’euros pour protéger leurs entreprises. Le plan français, avec 40 milliards pour les ménages et les entreprises, fait pale mine en face.

Prenons maintenant un exemple concret. Une voiture fabriquée en France, par exemple Renault ou Peugeot, pour laquelle la dépense d’énergie entre de façon importante dans le coût de production, va automatiquement devenir beaucoup plus chère que la Tesla américaine que la ChangAn chinoise ou que la Volkswagen allemande.

Si nous ne réagissons pas très très vite, et c’est une question de semaines, notre pays va subir un immense choc de désindustrialisation.

Comment peut-on encore réagir ? Il n’y a jamais de fatalité. L’arrogance du politique incapable de faire son bilan est devenue insupportable parce qu’elle consiste à masquer la réalité et donc à ne pas pouvoir corriger. Or, on peut encore corriger les choses.

D’abord, il faut d’urgence négocier au niveau européen un plan commun de bouclier tarifaire pour toutes les entreprises interdisant les cavaliers seuls, pour bloquer l’Allemagne. Tous les pays ont été choqués par le comportement du chancelier allemand. On peut encore réagir.

Ensuite, il faut revoir au plus vite la stratégie de mise à niveau de notre parc nucléaire pour voir comment accélérer notre investissement et retrouver au plus vite un parc opérationnel. C’est un travail d’ingénieurs et notre pays sait encore faire cela. À cette occasion, il faut avoir le courage de se dire que pour les années à venir nous devons reprendre l’investissement nucléaire couplé avec les énergies renouvelables. Notre mix énergétique doit être tourné vers une priorité : mieux protéger contre les chocs de coût à la fois les entreprises et les Français, avec, comme priorité, une électricité à un coût raisonnable et décarbonée.

Enfin, sur la durée, il faut assumer de poser la question de la stratégie européenne de l’électricité et ne pas exclure un opting-out français nous permettant de mieux défendre nos intérêts. Le tout doit être couplé par une stratégie de réarmement d’EDF et, je le dis très clairement, le plan Hercule qui ressemble fort à un plan purement financier et qui consiste à couper EDF en trois doit être arrêté tant qu’il en est encore temps.

Ce sujet est très révélateur de la situation de notre pays et des problèmes du politique depuis des années. Le politique s’est anecdotisé, s’occupe de petits sujets, se prend les pieds dans le tapis médiatique des buzz successifs et perd toute vision stratégique. Le redressement du pays passe par une capacité du politique à voir à nouveau loin et à proposer une stratégie à notre pays au lieu de subir.

Il est bon de relire Georges Pompidou qui lançait en 1971 le grand plan énergétique français, une époque où la politique avait du panache : « Nous avons dans les domaines les plus avancés – nucléaire, aéronautique, espace, informatique, exploration des océans – conquis notre place dans le peloton de tête des nations. Non par un vain désir de prestige mais par la conviction que le monde moderne est dominé par le progrès scientifique et technique et qu’un pays qui ne consent pas l’effort intellectuel et financier nécessaire pour être dans le train est condamné irrémédiablement à la médiocrité et à la dépendance. »

Laurent Wauquiez – Président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes – 6 octobre 2022

C’est ce souffle que l’on peut et que l’on doit retrouver, une France conquérante et positive.

(*) https://grincheux.typepad.com/weblog/2022/10/tribune-de-laurent-wauquiez.html

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