UN MIRACLE, OU DES MIRACLES ?

L’avant-dernier article publié sur Geocortex.site s’intitulait « Un frémissement, une lueur peut-être, à l’horizon ». Il était signé HCl, mon merveilleux ami Claude dont les billets, si ludiques, instruiront les historiens des siècles à venir bien mieux qu’un empilement de thèses absconses.

Depuis le temps que nous devisons ensemble ou par articles interposés, nous tenterions en vain de trouver le moindre désaccord dans notre petite musique de salon ou de blog. Et voilà que ce « Frémissement, cette lueur peut-être… » aurait pu en paraître une des prémices. Donc, j’envisageais d’y ajouter mon grain de sel, quand apparut son autre billet intitulé « Regarder sans voir ou sans comprendre ». J’y retrouvais « mon » ou « notre » HCl. La lueur et le frémissement potentiels n’avaient vécu que le temps de ses quelques lignes.

Mon article en réponse, à peine mûrissant, tombait de sa branche. Et, à notre grand regret, me voici tenu par l’actualité, et plus encore par la séquence pourrissante de cette Ve République, de charger la mule, ou plutôt notre coq national dont le dernier cocorico disparaîtra bientôt dans un égorgement – pardon, une attaque au cou – autant symbolique que factuel.

Pessimiste, moi ? Non, au contraire : plein d’optimisme. Première raison. Une minorité de Français sauverons leur honneur pendant que la majorité les enfoncera dans la boue. J’ai écrit « la majorité ». Erreur profonde, c’est « les majorités » qu’il faudrait dire. Une première de Français dit “de souche”, et une seconde parfaitement “administrative” ou “de papier”. Encore, faudra-t-il savoir quelle majorité sera la plus majoritaire, et au train où vont les choses j’aurais tendance à voter pour le papier. Le temps ne peut que me donner raison.

Il y a une deuxième raison à mon optimisme. Tout ce qui arrive était attendu, prévu, et déjà réalisé. La sinistre catastrophe géopolitique que de Gaulle s’était attaché à imposer ne pouvait que nous revenir « in the baba ». L’aveugle qui prétendait voir, le haineux qui se croyait grand, aurait pu et aurait dû organiser une décolonisation géopolitiquement valable. Il aurait pu et dû négocier des alliances, traiter les Africains, y compris les Blancs – dont Claude et moi sommes – comme des personnes à respecter. Car, à la différence de la France, l’Afrique et bien d’autres peuples dans le monde, ont une longue mémoire. De plus le conte, l’imagination leur est un moteur « gonflé » à la fierté ombrageuse, mais si chaude lorsqu’on leur accorde un vrai crédit d’être humain, en tenant compte des différences et en les acceptant. Mais pour cela il ne faut pas se croire le Dieu tonnant dans les nuées. Il ne faut pas se faire passer pour le faiseur de miracles. Il ne faut pas « péter plus haut que son cul » (citation arrangée d’après Montaigne), car l’odeur et la fermentation finissent toujours par produire leurs effets. Nous y sommes, et doublement : non seulement nous avons endurci les inimitiés de ceux qui ne nous supportaient plus, mais aussi nous avons trahi ceux qui nous étaient fidèles. Et ceux-ci aussi ont une longue mémoire. Avez-vous entendu des protestations de groupes des familles de harkis après les récents massacres en Israël ? Non ! Moi non plus. Et ce silence en dit plus long que les diatribes aussi imbéciles que risibles qui émanent de l’Élysée, de ses porte-cotons, et de ses séides. Donc optimisme de la prévision.

Troisième raison d’optimisme : la vie l’emportera sur la mort. C’est la loi sur Terre depuis que la première cellule a acquis son indépendance et ses capacités de régénération. Certes, nous sommes bien loin des tardigrades (quelque 90 millions d’années, mais au regard de l’âge de la Terre et à son futur…). Cependant, aujourd’hui, les forces de vie s’expriment en démographie et volonté de puissance. Autrement dit, les Français “de souche” font pâle figure devant les populations immigrées, francisées ou en attente de l’être. Et comment s’opposer à ce fait, puisque les Français “veulent mourir”. Bien sûr, ce n’est pas dit de façon aussi brutale, mais c’est un fait. Les Français, et surtout les Françaises ne veulent plus « faire d’enfants ». J’ai enregistré cela depuis des dizaines d’années lors de mes interrogatoires professionnels. Certaines évoquaient les difficultés de la vie, les traites pour la voiture, l’appartement, etc. D’autres la difficulté de travailler « par-dessus » leur rôle de « maman ». Et j’ai eu même droit à celles qui ne voulaient pas d’enfants « pour ne pas en faire des chômeurs. » Parlez d’une envie de vivre ! Lisez ou relisez les articles et livres de Michèle Tribalat dont je vous ai récemment parlé. Sachez bien qu’il faut, 2.1 enfant par couple pour simplement maintenir une population stable. Les grandes familles, à quelques exceptions près, sont maintenant des familles « claniques » d’immigrés. L’adjectif « clanique » n’est aucunement méprisant. Bien au contraire. C’est un processus normal de soutien, de défense contre l’adversité. Nous avons abandonné cette pulsion de vie. Alors, la mort domine. C’est la loi de « la Vie ».

Ajoutons à cela que les Français sont vieux. Et les vieux, dans leur majorité, sont refroidis, peureux, passifs, voient leurs activités et leurs forces se restreindre, souhaitent la tranquillité, le calme, la sécurité. Ils ne font plus partie de « la famille ». Ils sont donc soumis au premier beau parleur venu. Ils votent pour le pouvoir en place qui se « fout bien de leur gu… » qu’ils soient « sans dents » ou avec dentier. De toutes façons, ils ne mordent pas la main qui leur distribue quelques miettes et leur débite mécaniquement de quoi les rassurer. Ils ne veulent pas de risques alors qu’ils les accumulent par leur rétraction anti-vitale. Et en plus, ils prétendent s’inquiéter “pour leurs enfants”, alors que ce serait le moment ou jamais de se bouger le…

Et puis, et puis… la République est à gauche. Elle se paye de mots et refuse le réel. Elle vit entre deux « Marseillaise » sans comprendre de qui est le « sang impur ». Elle s’accroche aux fariboles de l’égalitarisme qui tache toute devise d’un pays qui souhaite vivre. Quand tout va mal, elle « condamne avec la plus extrême fermeté » et file doux comme flatulence sur une toile cirée. La République « gouverne mal mais se défend bien ». Elle n’hésite jamais à tirer sur ceux qui veulent vivre. Reprenez votre histoire de France, et arrêtez de vous imbiber de la doxa gauchiste. Une République est promise à l’anarchie comme le dénonçait Platon il y a plus de deux mille ans. Nous y sommes, et l’anarchie c’est la porte ouverte à toutes les aventures, surtout aux plus honteuses. Alors, ne reste qu’un miracle. Pourquoi pas ?

Cela dit, la France a une vertu : celle d’en avoir eu, et de faire croire qu’elle en possède encore. La France était un phare de l’Occident alors que le Grand Timonier était encore à naître, et que l’oncle Sam vagissait dans son berceau. On parlait français, alors que la loi Toubon est devenue un accessoire du magasin des farces et attrapes. Elle avait une philosophie qui n’était pas celle de la déconstruction. Elle avait des héros qu’elle sacralisait, alors que maintenant elle les traite comme des Kleenex. Elle vengeait les victimes, alors que maintenant elle dépose des ours en peluche. Elle savait faire ses guerres, alors qu’elle s’embourbe dans celles que lui impose la bouffonne Europe et le pétulant oncle Sam, même caricaturé par un vieillard cacochyme. Elle avait des coutumes qui corrigeaient les dérives des lois. Elle a maintenant une corporation de juges complices objectifs des voleurs, des violeurs et des assassins, et ils sont organisés en syndicats, irresponsables et payés non seulement par nos impôts, mais par les amendes qu’ils infligent aux gueux qui leur déplaisent. La France avait un corps de grands responsables d’État, sous tous ses régimes. Elle n’a maintenant que les hauts fonctionnaires qui se repassent séné et rhubarbe, qui pantouflent à qui mieux-mieux, qui se vendent et s’achètent pour leurs carnets d’adresses, qui s’accrochent comme des morpions à leurs prébendes, qui sont une nouvelle caste d’intouchables. La France avait des responsables de l’État qui, dans leur majorité, avait pour but la sécurité du pays. Elle vit maintenant selon les délires d’officines œuvrant sans aucune honte à l’Élysée, elle se prostitue à l’Union européenne, elle n’a plus de grande diplomatie, se fait bousculer (trouvez l’étymologie du terme) partout où elle veut pérorer. Elle se croit lumière d’une francophonie qui s’effiloche, non seulement en pratique dans le fameux hexagone, mais aussi dans le reste du monde dont Rwanda et Algérie ne sont que deux exemples.

Je disais : la France, ex-phare de l’Occident. Bien entendu, le reste de ce qui croit s’appeler Europe sous prétexte que la Teutonne Fonder Lahyène sourit de ses beaux crocs, ce reste-là inclut d’autres pays auxquels s’appliquent mutatis mutandis, bien des remarques présentées ci-dessus.

Alors, parlons-en, de cet Occident ! Ou plutôt je laisse parler Christian Delacampagne, un philosophe qui eut son heure de connaissance (je n’ose dire de gloire) et que j’ai pu accompagner pendant quelques heures intéressantes. Voici cet extrait fondamental, artificiellement découpé en paragraphes pour  en faciliter la lecture :

« En même temps qu’il cherche à détruire l’Autre, l’Occident cherche à se détruire lui-même.

Et cela sur deux plans : d’une part, parce qu’il se veut universel, l’Occident se nie en tant que culture particulière ; il se nie donc en tant que culture – bref, il·se nie lui-même – puisque toute culture est forcément particulière. Du fait qu’il refuse le particularisme, il refuse toute particularité ; il se refuse lui-même en tant que particularité.

En se voulant universel il se condamne au non-être – puisque les universaux, on le sait, n’ont d’existence que nominale. D’autre part, même si l’Occident parvenait dans une autre logique ou dans une autre histoire à exister en tant qu’universel, même s’il parvenait, demain à régner réellement sur la planète entière après avoir éteint toute résistance, il serait encore mû par sa dynamique interne à tenter de s’abolir.

Pourquoi ? Parce qu’il est dans son principe même de vouloir se dépasser et qu’il ne peut se dépasser qu’en se détruisant.

Car, qu’il s’agisse du dépassement de soi que vise l’individu dans une perspective héroïque, du dépassement qu’accomplit sans relâche le développement des sciences et des techniques, ou du dépassement historique qui constitue le moteur même du développement occidental – toujours à la recherche de structures politiques, sociales, économiques plus englobantes et plus complexes – il est facile de voir comment la négativité, l’autodestruction et l’auto-reconstruction constituent le nerf même de l’ensemble culturel baptisé Occident, depuis son émergence en Grèce jusqu’à nos jours[1]. »

Alors, un miracle ? Non, une série de miracles. C’est peut-être beaucoup.

Antoine Solmer

[1] Christian Delacampagne, L’Invention du racisme, Arthème Fayard, Paris 1983