IL EST GRAND TEMPS, SINON…

« Il est grand temps que chaque responsable politique propose assistance et secours effectifs au peuple d’Artsakh avant de porter l’éternelle culpabilité d’un second génocide des Arméniens. Sinon, que leur maison s’écroule comme les leurs sous les bombardements, que la maladie les accable comme elle les a accablés quand ils manquaient de tout, et que leurs enfants se détournent d’eux ! »

Je reprends les dernières lignes de l’article précédent signé Taline Kortian, Arménienne de cœur, de courage et de lucidité. Elles sont dures diront certains. Taline a bien fait d’user de ce ton prophétique. Au moins, elle n’aura rien à se reprocher, mais tout à reprocher à la lâcheté des hommes politiques qui se prennent pour des hommes d’État, sous prétexte qu’une minorité captive les a élus. Le courage est une vertu, peut-être la première, en tout cas loin devant la tragique sinon désopilante devise de la République française. Le bel idéal reste la source de bien des essais de philosophie. Les actes de courage dus par les représentants du peuple, de tout niveau, devraient dicter leur conduite permanente. Le vrai courage n’est pas de chercher à se faire réélire, mais d’assurer la sécurité maximum de ses concitoyens, de leurs amis, autant que possible, de leurs alliés autant que nécessaire.

Mais le courage en France se démonétise de façon bien plus grave que l’inflation. Je suis triste lorsqu’au petit matin, dans un ascenseur, deux bons Français se souhaitent « bon courage » parce qu’ils vont « au boulot ». Si encore ils se souhaitaient « bon cœur à l’ouvrage » ! Mais non, « bon courage », comme s’il fallait du courage pour aller au bureau, allumer la cafetière, ouvrir l’ordinateur, se plonger dans les courriels du jour dont la moitié – optimisme de rigueur – sont inutiles et l’autre moitié pur charabia.

Je comprends que les flics, les gendarmes, et d’autres professions dont les circonstances, les conditions ou autres mettent les vies en péril, se souhaitent « bon courage ». Le font-ils ? Je ne sais. Ce que je sais, pour avoir par deux fois ces jours-ci affirmé mon « soutien… surtout en ces temps troubles » à des groupes de gendarmes, c’est que leur regard s’est éclairé, que leur port s’est raffermi. Je ne leur ai pas souhaité « bon courage ». Comme s’ils avaient besoin de moi pour en montrer !

Pour être franc, je n’aurais même pas l’idée d’avoir les mêmes mots ni les mêmes pensées pour la bande de branquignols qui sont « à la tête, au cou, aux épaules et jusqu’aux orteils de l’État. À lire les phrases dignes du pire n’importe quoi, qui sont censées prévoir une aide, juste avant la saint-Glinglin, on comprend que les pitres sont de sortie. Le destin tragique de l’Arménie n’est qu’un exemplaire de plus de leurs lâcheté. Quant à l’invasion prévue des punaises et à « l’épidémie » attendue car tellement utile de Covid, soyons sûrs de voir leurs mâles poitrines (au sens figuré, bien entendu) et leurs postures guerrières monter au front de ces nouvelles guerres si utiles à leurs assises rémunératrices.

Et l’Arménie, dans cela ? C’est loin, bien loin, dans le Caucase, entre la Mer Noire et la Caspienne, mais coincée entre la Turquie et l’Azerbaïdjan.

C’est vrai, c’est loin, surtout dans le temps. Vingt-cinq siècles ! Ne parlons même pas de leur arrivée dans cet endroit enclavé. Contentons-nous de savoir qu’il ne fait pas toujours bon vivre en tant que civilisation chrétienne parmi les plus anciennes entre deux voisins dont la vision musulmane est assez « dominatrice », pour employer un euphémisme.

Mais derrière cet adjectif, il y a des siècles de courage pour survivre. Un « bon courage », au meilleur sens du terme. Comme nous paraissons petits !

Et le génocide de 1915, c’est loin ? Les femmes éventrées, violées, et autres tortures à imaginer. Les hommes… Taline Kortian nous parle de son ami découpé en morceaux et d’autres tortures « ante mortem ». On peut se boucher les oreilles, les cris seront toujours là. « Disparition d’au moins au million de victimes[1]. » Pas mal pour un petit peuple !

Et puis non, ces amusements entre musulmans exacerbés et victimes sur leur chemin ne sont pas si loin.

Lorsque je suis arrivé à Paris en octobre 1962, j’ai fait la connaissance d’un condisciple d’origine arménienne (aujourd’hui décédé). Quelque chose nous a rapprochés. Les victimes musulmanes (ne les oublions pas) et pieds-noirs de la « même pas guerre d’Algérie » avaient bien des points communs avec les Arméniennes  : des éventrements, des castrations, des organes sexuels masculins dans les gorges tranchées (Samuel Paty n’a eu droit qu’à l’horrible première partie du jeu), des femmes (ben voyons !) et des enfants aux têtes écrasées contre des murs, entre autres joyeusetés des sympathiques associés des « porteurs de valises » de la gauche (toujours elle) si bien pensante. Paradoxalement, c’est la gauche qui s’occupait le plus de l’Algérie. Le reste des Métropolitains ne voulaient rien savoir, et nous le montraient bien. M. Deferre, maire socialiste de Marseille lançait « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs ». Au moins il avait le courage de dire tout haut ce que tant d’autres pensaient tout bas. Ah ! Nous n’étions pas des « migrants isolés », ni des « sans papiers », ni tout ce qu’on imaginera pour se faire submerger. Simplement des Français qui avaient donné bien plus de classes de mobilisations en 39- 45 que jamais la France n’en fut capable. Ça se paye, et cher, la redevance du courage. Surtout quand la haine du premier personnage de l’État dictait sa politique.

Donc, ce camarade m’a raconté l’histoire de sa famille, et les innocentes farces que certains de ses membres avaient eu à subir de la part des Turcs. Ses parents avaient fait partie des chanceux qui avaient pu être récupérés. La musique arménienne, le goût du café – arménien, pas turc – et les gâteaux de la douce hospitalité familiale m’accueillaient après le lycée.  Nous avions des repères communs que les autres ne comprenaient pas.

Mais je reviens au paragraphe introductif de cet article et à la « diction » prophétique de Taline Kortian. Diction, en ce cas, est un terme qui demande un préfixe. Lequel,  « béné- » ou « malé- » ?

Le premier serait de rigueur si l’admonestation était écoutée, entendue, comprise, et suivie de réelles actions tant en Arménie que sur notre sol déjà bien émietté. Le second semble mieux correspondre, malheureusement, au destin bien chancelant de notre malheureux coq gaulois. Couic !

Antoine Solmer

[1] https://www.clio.fr/chronologie/pdf/pdf_chronologie_armenie.pdf