LA GAUCHE ET LE PROGRESSISME : UNE BELLE UTOPIE MEURTRIÈRE

L'OMELETTE DE CONDORCET ?
L’OMELETTE DE CONDORCET ?

Le Progrès, avec 18 majuscules au moins, fait partie de ces réflexes pavloviens auto-entretenus par la gauche jusqu’à intoxication neuronale profonde. Cela va au stade où il faudrait se demander s’il ne faut pas ajouter ce mot Progrès à la triade républicaine de la devise Liberté, Égalité, Fraternité.

PÊCHER EN EAUX TROUBLES

Le problème, avec la gauche est qu’elle agit en pêcheur qui amorce son hameçon avec des grands mots pour attirer le poisson dans ses urnes, et  qu’elle l’avale du même geste par lequel elle lance sa ligne. Voulant ferrer sa proie, elle s’y enferre du même geste.

Il y a toujours une technique pour retirer un hameçon de sa prise. Soit par l’extraction brutale, quels que soient les dégâts, soit en finesse, en coupant la tige de façon à extraire l’ardillon d’un côté et donc, de libérer la tige en tirant dans un sens ou dans l’autre. La situation la plus délabrante est réalisée quand l’ardillon est inclus dans la chair. On ne peut l’en retirer à moindres dommages qu’en incisant jusqu’à pouvoir lui appliquer la technique précédente.

CONDORCET ET SES PRÉSUPPOSÉS

Et tout ça, parce qu’un nommé Condorcet, idole de la gauche  — mais idole qu’elle ne veut ni lire ni faire lire — a pondu son “presque testament” : Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain...”.  Les points de suspension se réfèrent à la deuxième partie (Réflexion sur l’esclavage des Nègres, que je ne traiterai pas ici).

À partir de là, et sur un terreau fertile, la machine s’emballe, jusqu’au progressisme, mot-valise censé interdire à tout opposant, le droit à l’existence oratoire, et jusqu’à celui de vivre, si nécessaire. Car n’oublions pas qu’un des grands progrès de la Révolution fut mécanique : la guillotine. Un argument radical, et même socialiste, en faveur de l’affûtage de l’acier, de l’étude de la gravité, de la chirurgie expérimentale, et même de la fabrication du boudin.

Je parle, je parle, mais il me fallait bien trouver ma petite place, à l’ombre du grand Condorcet. Une place minuscule, je vous l’accorde, si je considère ses travaux sur le calcul intégral (Hou-là !) sur les statistiques (Hum hum !).  Mais une place à laquelle je tiens lorsque je lis son Esquisse

J’y apprends d’abord que “L’Homme naît avec la faculté de recevoir des sensations, d’apercevoir et de distinguer, dans celles qu’il reçoit les sensations simples dont elles sont composées, de les retenir, de les reconnaître, de les combiner, de conserver ou de rappeler dans sa mémoire, de comparer entre elles ces combinaisons, de saisir ce qu’elles ont de commun et ce qui les distingue, d’attacher des signes à tous ces objets pour les reconnaître mieux et s’en faciliter de nouvelles combinaisons.”

Cela annonce Proust… d’une certaine façon , et détermine selon lui , avec “la faculté de former et de combiner des idées “, le “tableau des progrès de l’esprit humain.”

Pourquoi pas. On peut certes en discuter, avec ou sans les connaissances scientifiques du moment, mais “ça tient la route”, et même “ça” emprunte celle déjà défrichée, entre autres par Condillac. Jusqu’au moment où la question de l’âme l’en sépare.

Bagatelle, inanité diront certains. Et moi, je répondrai : double aveuglement gaucho-pavlovien qui nie en ce que d’aucun appellent âme, une de ses qualités fondamentales : celle d’opposer à la rationalisation des principes (vouloir prouver qu’on a raison quand on a tort) la petite voix qui nous chuchote qu’il est temps de “la fermer”, que le rôle de démiurge ne nous va pas, et que le mieux serait de revenir à la réalité du terrain. Bref, de lire Geocortex.site.

CONDORCET PERSÉVÉRANT

Moi, sévère avec Condorcet ? Pas du tout ! Mais sévère avec ce qu’il ose écrire plus loin : “le but de l’ouvrage que j’ai entrepris, et dont le résultat sera de montrer, par le raisonnement et par les faits, qu’il n’a été marqué aucun terme au perfectionnement des facultés humaines, que la perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie, que les progrès de cette perfectibilité, désormais indépendante de toute puissance qui voudrait les arrêter, n’ont d’autre terme que la durée du globe où la nature nous a jetés. Sans doute ces progrès pourront suivre une marche plus ou moins rapide, mais jamais elle ne sera rétrograde, du moins tant que la terre occupera la même place dans le système de l’univers, et que les lois générales de ce système ne produiront sur ce globe ni un bouleversement général, ni des changements qui ne permettraient  plus à l’espèce humaine d’y conserver, d’y déployer les mêmes facultés, et d’y trouver les mêmes ressources.”

Je me demande si c’est de l’optimisme délirant (pourquoi pas ?) ou du négationnisme imposant de déboulonner toutes les statues du sieur Condorcet : car, évacuer par avance les petites aventures du communisme et du nazisme, toutes plaisanteries réunissant le meilleur de la gauche en action ! Au point qu’il me semble entendre les camarades moustachus Stalhit et Hitsta se taper sur les cuisses et rire, rire, jusqu’à épuisement.

Ah ! Les idéalistes, me dira-t-on ! Justement, rien de pire qu’un idéaliste actif et déterminé pour sa grande idéologique mortifère. Et même si ça commence petit, ça tourne toujours mal. 

CONDORCET AU DIXIÈME COMMANDEMENT

Mais revenons à Condorcet, plus exactement au chapitre intitulé “Dixième époque. Des progrès futurs de l’esprit humain.”

Il commence ainsi :

“Si l’homme peut prédire, avec une assurance presque entière, les phénomènes dont il connaît les lois; si lors même qu’elles lui sont inconnues, il peut, d’après l’expérience du passé prévoir avec une grande probabilité les événements de l’avenir,  pourquoi regarderait-on comme une entreprise chimérique, celle de tracer avec quelque vraisemblance, le tableau des destinées futures de l’espèce humaine, d’après les résultats de son histoire ? Le seul fondement de croyance dans les sciences naturelles, est cette idée, que les lois générales connues ou ignorées qui règlent les phénomènes de l’Univers sont nécessaires et constantes ; et par quelle raison ce principe serait-il moins vrai pour le développement des facultés intellectuelles et morales de l’homme, que pour les autres opérations de la nature ? Enfin puisque des opinions formées d’après l’expérience du passé, sur des objets du même ordre, sont la seule règle de la conduite des hommes les plus sages, pourquoi interdirait-on au philosophe d’appuyer ses conjectures sur cette même base, pourvu qu’il ne leur attribue pas une certitude supérieure à celle qui peut naître du nombre, de la constance, de l’exactitude des observations ?”

Remarquons au passage, une discrète atténuation des certitudes. Tellement discrète qu’elle disparaît bientôt :

“Nos espérances, sur l’état à venir de l’espèce humaine, peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l’inégalité entre les nations ; les progrès de l’égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l’homme.”

Ayant ajouté un autre mot-valise à double soufflet (égalité-inégalité), il poursuit sans sourciller :

“Nous trouverons, dans l’expérience du passé, dans l’observation des progrès que les sciences, que la civilisation ont faits jusqu’ici, dans l’analyse de la marche de l’esprit humain et du développement de ses facultés, les motifs les plus forts de croire que la nature n’a mis aucun terme à nos espérances.”
Et comme il veut enfoncer le clou, il a préparé l’exemple majeur, celui qui doit clouer le bec à l’opposant rétrograde, conservateur, fâââchiste, etc :

“Toutes les nations doivent-elles se rapprocher un jour de l’état de civilisation où sont parvenus les peuples les plus éclairés, les plus libres, les plus affranchis de préjugés, tels que les Français et les Anglo-Américains ? [ …] Si nous jetons un coup d’oeil sur l’état actuel du globe, nous verrons d’abord que, dans l’Europe, les principes de la constitution française sont déjà ceux de tous les hommes éclairés.”

CONDORCET D’UN RÉDUIT À L’AUTRE

Petite note de lecture qui éclaire quelque peu ce texte :

Lorsque Condorcet écrivait son Esquisse…, il était caché rue Servandoni à Paris, car  décrété d’arrestation pour trahison. Une simple petite dispute entre Girondins et Jacobins, si éclairés furent-ils, si fervents explorateurs des sensations et des idées du progrès.

Condorcet se cacha pendant neuf mois, puis s’enfuit en mars 1794.  Faisant une halte à Clamart pour s’y restaurer, il commanda une omelette de douze oeufs, ce qui mit la puce à l’oreille d’une brave citoyenne, laquelle en référa au comité de surveillance.

Deux jours après, Condorcet était retrouvé mort dans sa cellule.

Une trop grande confiance en l’illumination des esprits, une omelette de douze oeufs. Un trop gros appétit, comme Louis XVI à Varennes. Étonnante revanche du destin.

Quant au lien éternel entre progression technique et progrès moral… foutaise !

Antoine Solmer