UN ÉDITORIAL MÉDICAL, VRAIMENT MÉDICAL

L’article du jour consistera à commenter un éditorial médical. Rassurez-vous, aucune connaissance spécifiquement médicale ni scientifique n’est requise. Et après cette lecture, je vous en expliquerai quelques faits importants pour les enjeux en cours. Bonne lecture !

ÉDITORIAL DU Dr MARTY

« Pour rejoindre le troupeau pas besoin de cerveau, les jambes suffisent »

Pr Didier Raoult

Les controverses médicales ont toujours existé mais elles ne quittaient que rarement la sphère des spécialistes concernés. Elles ont été souvent nécessaires aux progrès de la médecine mais sans ébranler ses fondements.

Depuis la Covid, tout a pris une nouvelle tournure. Les politiciens qui se languissaient de revêtir une blouse blanche ont essayé de nous dicter notre conduite. Des experts, parfois étrangers à la médecine, se sont pris pour des divas de la science et ont cherché à bouleverser la nature de nos relations avec les patients. Certains d’entre nous ont été harcelés par de vulgaires saltimbanques ou ont été sommés de se justifier face à des journalistes plus prompts à désinformer qu’à diffuser des données scientifiques.

Certaines prédictions, plus proches des arts divinatoires que de la science, ainsi que des mesures contradictoires prises parfois à contretemps, n’ont fait que propager la peur parmi la population, la défiance envers la médecine et la suspicion envers notre corporation.

Certaines démarches de soins fondées sur l’expérience et le suivi des patients ont été discréditées. Mais l’épistémologie nous apprend que le processus d’innovation scientifique est le plus souvent incompatible avec la règle. Il ne suffit pas d’invoquer la loi de Brandolini pour le démentir.

Les modélisations mathématiques ont pris le pas sur les observations scientifiques tirées de la réalité tangible. Certains principes de précaution nous ont poussé à tenir les patients à distance alors que la déontologie nous grandit en nous demandant de ne pas les abandonner ni de les discriminer.

L’atteinte à la liberté de prescription a constitué une véritable effraction dans le soin alors que seul le législateur a le pouvoir de modifier la déontologie.

Pour la première fois, l’obtention du consentement aux soins était gagée par ses conséquences sociales pour le patient. Le Docteur Benoît BLANC nous démontre que ce consentement n’a une valeur légitime que s’il respecte notre éthique et le serment d’Hippocrate.

En conséquence, nous devons prendre garde que l’art médical, dont l’excellence est le fruit séculaire de l’expérience fondée sur l’écoute, l’observation, l’analyse et la maitrise des techniques, ne soit pas réduit au servage par des algorithmes, des injonctions médiatiques, des obstacles administratifs ou par certaines décisions politiques. Asclépios ne doit rien céder à Hermès. L’exercice de la médecine risquerait de se réduire à un psittacisme consternant qui mènerait à de la stérilité scientifique.

 Il ne faut pas se détacher de nos principes fondamentaux ni renier nos valeurs pour éviter de nouvelles dérives délétères. La relation avec les patients doit privilégier l’écoute et l’observation . Les technologies les plus pointues ou les modélisations les plus fines constituent un appui souvent précieux, parfois décisif, mais seulement complémentaires aux bases de l’art médical. Dans ces conditions, la déontologie peut garantir la qualité des soins s’ ils sont fondés sur une démarche concrète, rationnelle et réaliste. Elle ne peut conforter ou cautionner une prise en charge uniquement virtuelle où le médecin n’a pas pratiqué des soins consciencieux ni respecté les principes de dévouement nécessaires à l’exercice de la médecine. Ceux qui ont été fidèles à ces préceptes ont été retenus par l’histoire, comme Ambroise Paré suturant les vaisseaux au lieu de les cautériser et Philippe Semmelweis qui sauva des vies en imposant… le lavage des mains. Leurs détracteurs sont très justement tombés dans l’oubli ou dans l’opprobre.

Comme la déontologie incite à la prudence, l’épistémologie suscite la modestie. C’est seulement à celui qui se comportera vraiment en médecin qu’il sera donné « de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes. ».

Docteur Denis Marty

Président

MES CONSIDÉRATIONS ET EXPLICATIONS

L’éditorial que vous venez de lire est extrait du Bulletin du conseil départemental de la Dordogne de l’Ordre des médecins. Il est signé du Dr Denis Marty, président. Il est précédé d’une citation du Pr Raoult, dont on appréciera le caractère aussi caustique que réaliste : oui, la parfaite utilisation des facultés cérébrales n’est pas nécessaire pour rejoindre le troupeau, s’y perdre intellectuellement et s’y tenir au chaud. Les jambes suffisent. C’est valable en médecine, et partout ailleurs, dès qu’une bribe de pouvoir est laissée aux cuistres et autres « oseurs de tout », comme Audiard le décline en la personne du Lino Ventura des Tontons flingueurs.

L’éditorial est signé du Dr Marty en tant que président du conseil de l’Ordre de la Dordogne, mais il a démissionné depuis. Toute personne qui ne verrait pas de relation de cause à effet entre la mise en exergue de la citation du Pr Raoul et la démission du président éditorialiste manquerait une marche de l’escalier des causes et des conséquences.

Avant la crise du Covid, le Pr Raoult jouissait d’une réputation internationale de chercheur-trouveur, mais aussi de « grande gueule ». Je n’ai pas vu de loi obligeant à pratiquer sans faille la « bisounourserie systématique ». Par contre j’ai lu des centaines d’articles, de jugements et autres tombereaux d’énormités déversés sur le Pr Raoult par des chiens courants dont la pâtée était largement assurée. Première raison de la démission du Dr Marty : il a dû heurter quelques sensibilités. Laissons les médecins de Dordogne et d’ailleurs apprécier les questions personnelles, et revenons au fond de cet éditorial.

J’en repère cinq lignes directrices :

1/ La nécessité de la controverse comme moteur de progrès

Ce paragraphe est court mais puissant.

On peut être dans le vrai, suivre la bonne piste et néanmoins n’en pas mesurer toute la portée et en négliger les méandres. C’est le lot de certains découvreurs mondialement connus, comme le Pr Fleming dans le cas de la pénicilline. Dans cette situation, un « empêcheur de penser tout droit » peut apporter une aide inespérée, même au sein d’une dispute aiguisée.

Un deuxième cas de figure montre l’opposant systématique s’enferrer dans un marais de contre-vérités, écumer en vociférations, faire appel au contingent de ses obligés, et, de par ses excès, stimuler l’ardeur de celui qui sera reconnu par l’histoire comme le héros de l’affaire. Le Dr Marty cite Ph. Ignace Semmelweis à qui tant de femmes en couches durent la vie, et dont l’histoire est contée dans la thèse du Dr Destouches, aussi connu comme Louis-Ferdinand Céline.

Enfin, ne négligeons jamais la controverse obligatoire, celle que tout homme de bonne volonté et d’honnêteté mène en lui-même contre soi, qu’il soit scientifique ou simplement attentif à rester sur le chemin de la « bonne vie ». Cela peut déplaire à beaucoup, et même doit déplaire, dès que l’on s’en tient à l’honnêteté et à la conscience.

2/ Le cirque médiatico-covidien

Le Dr Marty s’en tient à cette mauvaise troupe de mauvais acteurs aussi étriqués d’esprit que soufflés d’orgueil de se trouver sous les feux de la rampe, dans leur pire rôle, celui du donneur de leçon qui, dans la réalité, ne mériterait que des fessées. Cherchez dans vos souvenirs. Il y a le choix, de tous niveaux, de toutes professions, de toutes mines, des plus chafouins aux plus vitupérants qui, si masqués furent-ils n’en arrivaient pas à masquer leur mauvaise foi. Molière nous en eût régalés d’une nouvelle version des « Précieux ridicules ». Mais hélas…

Et le pire resta que ces mauvais acteurs, mauvais disant, mauvais sachant, à force de pérorer, firent le lit, disons les sales draps, de l’univers big pharma et de ses obligeants soutiens. Nous avons vu le résultat.

3/ La charrue scientifique avant les bœufs de l’expérience

C’est ici que le regard du Dr Marty nous éclaire le mieux sur l’une des tentations les plus attirantes de la médecine d’aujourd’hui : celle des techniques envahissantes. Certaines se parent d’imageries de plus en plus précises, agrandissant le détail au point d’en faire un nouvel objet dont on ne sait plus intégrer dans l’histoire de la maladie : cause ? Conséquence ? Ou simple trouvaille à négliger pour laquelle on a créé le vocable incidentalome. Qu’en faire ? Que ces images soient éclairantes ou simplement aveuglantes, elles déplacent la réalité au point de la remplacer. Les jeunes générations de médecins qui manquent de distance par rapport à cette progression technique se perdent dans les autopsies virtuelles que sont devenus les scanners, IRM et autres technique de métavers. Cela ne serait pas trop grave s’ils savaient en questionner les limites, revenir vers le patient, malade ou non, par le fameux « dialogue singulier » qui doit les réunir.

Ici, un brin de philosophie. Le terme singulier ne doit pas être pris dans une acception dérivée (différent, étonnant, bizarre, etc.) Il n’a rien à voir non plus avec le combat singulier, entre deux seuls adversaires, comme les films de cape et d’épée nous en ont tant offerts. Il s’agit ici du singulier opposé à l’universel, de la réalité tangible de ce patient unique, dont la vie est elle-même unique, irremplaçable, irréductible à aucune autre passée ou à venir, et non pas d’une pseudo-vie scientifique qui serait la seule ayant valeur universelle, en tout temps, en tout lieu, un peu comme une équation fondamentale, une loi physique inébranlable.

Cette tentation est épaulée par d’autres de raisonnements à priori mélangeant mélodrames orchestrés et manipulations statistiques. Nous connaissons bien la puissance des calculs statistiques qui nous donnent les résultats d’élections alors que les dernières centaines de milliers de bulletins ne sont pas encore décomptés. Mais c’est justement à cause de cette puissance que nous ne devons la saisir qu’avec les meilleures pincettes de la réalité. Car ces calculs prouveront toute situation fondée sur un modèle dont on aura bien – trop bien – paramétré les données. C’est ainsi que l’on voit des études affirmer sans rire ni rougir que des milliers de morts ont été évités… alors qu’il ne s’agit que d’une projection fantasmatique.

La puissance des outils scientifiques est une menace toujours pesante, toujours pressante. Il est étonnant que la mise en service de la bombe atomique ait fait naître tant d’avertissements et de controverses alors que le déchaînement des statistiques à l’encontre de l’homme singulier ne rencontre que silence, ou presque.

Nous sommes tous, chacun de nous, uniques, irremplaçables, irrémédiablement différents de l’humanité dont nous nous sentons proches, mais dont tant de singularités nous isolent. C’est ici que la vraie médecine entre en jeu. L’apprenti médecin, s’il devient l’apprenti sorcier, se perdra autant qu’il nous perdra.

4/ L’atteinte à la profession médicale dans son ensemble

Comme le souligne le Dr Marty, il y a eu « effraction dans le soin ». C’est-à-dire que des illégaux ont pu interdire des prescriptions singulières (au sens décrit ci-dessus) en développant une technique éprouvée du type « terreur-sauveur ». Nous avons observé et subi la viciation profonde de la relation médecin-malade, laquelle est et doit rester l’équivalent technique de la relation religieux-fidèle quelle que soit la religion.

Le principe de la liberté de prescription a été violé avec la bénédiction des autorités qui auraient dû s’en ériger les protectrices.

Il y a eu manipulation psychologique du corps médical le poussant à mettre aux orties le serment d’Hippocrate.

Il paraît que cela s’appelle une démocratie. Ce n’est pas beau.

5/ Le retour aux fondamentaux

Et malgré tout cela, on peut espérer en un espoir. Des médecins se sont élevés, et continuent à s’élever, chacun à leur façon contre cette invasion de big pharma dans le secret des cabinets médicaux.

Évidemment, cela ne plaît pas. Cela mobilise les « bonnes consciences » de ceux qui en manquent tant. Il n’est pire esclave que celui qui refuse sa liberté. Et il aggrave son cas, quand il adule le maître au point de s’en faire le bras armé en pleine acceptation.

Il nous reste le serment d’Hippocrate, non dans ses versions édulcorées, mais dans son essence, tel qu’il nous est parvenu depuis des siècles. Le Dr Marty en reprend le dernier article : « Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire. »

Antoine Solmer