LA DÉMOCRATIE ET LE PEUPLE

 

NIETZSCHE
NIETZSCHE

Je reviens, pour la dépasser, sur une des phrases assénées par Isabelle Prêtre dans l’émission citée dans mon article précédent. Je la cite : « La démocratie est le pouvoir par le peuple, mais pas n’importe quel peuple ! Uniquement un peuple gouverné par la raison et le bien commun, où chacun a décidé de s’incliner devant la décision de la majorité. »

Eh bien, je dis que cette formulation est une merveilleuse définition du plus simple utilitarisme, sinon de la tyrannie. Et je m’explique.

UN AUTRE DÉFINITION DE LA DÉMOCRATIE ET DU PEUPLE

Trois mots la définissent : démocratie, pouvoir et peuple. Mais lorsqu’on ampute deux conditions sur trois, on est hors de toute vérité (par rapport à la définition basique), hors de toute politique réelle, hors de toute philosophie (qui cherche un peu plus loin), hors de toute liberté. Ça fait beaucoup.

Je reviens donc à la définition plus et mieux adaptée : Le pouvoir (ou le gouvernement) par le peuple, pour le peuple, avec le peuple. Voilà qui change tout.

Par, pour et avec ! Cela affirme les caractéristiques de l’action du pouvoir démocratique : tout représentant ou dirigeant ne tient son autorité que du peuple. Il prend des décisions en faveur du peuple. Il y associe le peuple.

RELATIONS DU DIRIGEANT ET DU PEUPLE

En quelque sorte, ce dirigeant n’est qu’un mandataire, un porte-voix, un responsable.

Poussant le raisonnement, ce dirigeant devrait, en théorie, perdre sa personnalité (au moins en partie) pour s’assimiler à celle du peuple. On se rend bien compte que nous en arrivons à une contradiction profonde : l’assimilation à une personne du groupe le plus important du pays : son peuple.

Il ne peut s’ensuivre qu’une tension permanente, masquée par bien des subterfuges, des stratégies de « communication », des mécanismes de fatigue de part et d’autre (fatigue au sens matériel, comme un métal fatigue s’il est contraint à la limite de sa résistance), d’usure, de refus, de rejet. À moins que ce dirigeant ne soit un manipulateur hors pair (cela existe) ou qu’il bénéficie d’une période de sidération mentale (spontanée ou fabriquée de toutes pièces).

Il faudrait un aveuglement proche de la bêtise la plus crasse, de la manipulation la plus coupable, ou de la sublimation la plus pathologique pour ne pas tenir compte de l’existence et des variations de ces multiples situations.

LES ENTREPRISES NATIONALISÉES SONT UN MODÈLE RÉDUIT D’UNE NATION

Ces entreprises, où les employés (au sens large du terme) sont des fonctionnaires (avec éventuellement des salariés de droit commun) devraient, en théorie, avoir pour guide pratique, celui de la démocratie d’État.

Elles en sont l’émanation dans un domaine particulier. Elles répondent aux « fortes incitations » du président ou de ses délégués, elles sont censées mener à une production d’intérêt national.

Pourtant, quelque chose « cloche » dans ce bel appareil.

En premier, leur coexistence, plus ou moins pacifique, avec des entreprises du secteur privé. Cela s’appelle la concurrence, avec cette particularité qu’elle est asymétrique. Les « aides » de l’État à ce qu’il faut bien appeler ses filiales ne proviennent que d’un seul coffre-fort, celui des citoyens. Car, chaque fois qu’un journaliste claironne que l’État va « donner » une subvention, une aide, une ­ trouvez le mot qui vous plaira – ce ne sera en réalité qu’un acte de pickpocket, dont vous ne vous rendrez même pas compte. Quelque part, une taxe, un pourcentage fiscal, une cotisation, une – ce que vous voulez – fera sentir la douloureuse.

Mais sur le plan humain, il y a pire. C’est le harcèlement moral. Ce n’est pas sans cause que ce fléau a été découvert, étudié, ressenti dans les plus grandes entreprises françaises de type fonctionnariat.

Que l’on se rappelle les suicides dans les entreprises de télé-communication, à la Poste devenue La Banque postale, et autres. C’est que ces entreprises si proches de l’État ont employé jusqu’aux pires moyens pour asservir leurs fonctionnaires.

L’un d’entre eux a été de changer leur contrat de base après des dizaines d’années. Ainsi, des postiers pétris dans l’habitude de traiter avec des « assujettis » ont dû brusquement les considérer comme des « clients ». Des milliers de personnes qui avaient signé leurs contrats avec la garantie du « service public », laquelle excluait toute idée de vente à des « clients » ont été obligés de devenir des vendeurs déguisés forçant à la vente. Vous voulez un timbre. L’employé doit vous proposer une série d’enveloppes pré-timbrées bien plus chères. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Bien des postiers, si on leur avait imposé ces conditions comme préalables à leur carrière, ne l’auraient probablement pas signé. Mais que faire au bout de dizaines d’années, alors qu’une démission vous ferait perdre tous vos avantages ?

Voilà un bel exemple ou la Démocratie a agi comme la plus nette des tyrannies.

Et si ce n’était que le seul !

Et pourquoi le harcèlement moral est-il très peu existant dans le privé, et jamais lorsque le marché du travail est fluide ? C’est parce que, si la situation devient intolérable pour la personne, elle change d’entreprise.

Alors, est-ce un déni de démocratie que de « voter avec ses pieds » ? C’est justement la preuve que l’on est raisonnable, et qu’on a agi pour le bien commun le plus proche, le sien et celui de sa famille.

LA PERSONNE DANS LE PEUPLE

Il est bien connu qu’une personne dans un groupe voit son comportement se modifier. Le groupe présente des avantages et des inconvénients. Avec des nuances à interpréter, on peut poser en première analyse qu’un petit groupe favorise la discussion élaborée, alors qu’un grand groupe crée les conditions d’un effacement de la personnalité. Lorsque ce grand groupe devient une foule, l’effacement risque d’être total. Gustave Le Bon traite cela dans son ouvrage fameux La Psychologie des foules qui mérite d’être lu et relu.

Mettons momentanément cela de côté. Il n’en reste pas moins que l’homme n’est pas seulement un être de raison. Rien que ce mot raison nous entraînerait sur des pentes dangereuses. Pour la simplicité, parons-le de tous les qualificatifs les plus valorisants, comme si la seule raison nous portait immédiatement au paradis terrestre.

Ce serait oublier l’amplitude de trois autres domaines : les sensations, les sentiments et la transcendance.

Et l’on voudrait me faire croire que chacun doive s’amputer de ses sensations, de ses sentiments, de son approche de la transcendance, mais également de son histoire, de ses expériences, de ses états d’âme, même de ses lubies, ou de ses coups de folie pour devenir un « bon démocrate », rangé, mesuré et compté, validé et estampillé par un quelconque « passe de vote démocratiquement sanitaire », sous la surveillance de tyranneaux et de « tyrannelles » vociférants !

Comme toute « valeur » à surveiller, la tyrannie possède ses degrés, ses variantes. Un mot seul ne suffit jamais à une définition complète. Je dis que la pire des tyrannies serait celle qui obligerait chacun des membres de la nation à devenir ce robot et roseau non-pensant, le seul valable pour Isabelle Prêtre, comme il l’a été par Messieurs Lénine, Staline, Trotsky, etc.

D’ailleurs, c’est tellement vrai que les aspirants à la fonction présidentielle soignent leurs mots, leur apparence, leur sourire, leurs costumes. Pourquoi, sinon, M. Mitterrand s’était-il fait limer ses canines ? Pourquoi de Gaulle est-il apparu en uniforme de général à la télévision ? Pourquoi Giscard a-t-il sorti son accordéon ? Pourquoi Sarkozy s’est-il transformé en vendeur de Kärcher ? Pourquoi Macron joue-t-il du « en même temps », du « quoi qu’il en coûte » ? Etc. Et pourquoi les différents partis voudraient-il que leurs bulletins soient placés en première ligne, sinon parce que cette position assure presque 1 % de votes ?

Alors, où est la raison dans tout cela ? Quelque part loin derrière tous ces antécédents personnels qui forment le capital vital de chacun.

Et une philosophe posséderait la baguette magique à transformer les hommes en robots bien-votants ! Ce n’est qu’un argument de bateleur d’estrade.

Et sous cette houlette en ferraille, un homme deviendrait raisonnable si, et seulement si, il suivait un troupeau à la dérive ! Revenez, Maître Panurge, revenez vous gausser des bas-bleus et de leurs certitudes !

UN ÉTAT MORAL ?

Alors, dans cette ambiance de fausse raison soumise à tant de ballotements, le surgissement d’un État moral est-il la solution, indépendante du nom que l’on donne au système.

Qui ne souhaiterait vivre sous le pouvoir d’un prince éclairé et bienveillant plutôt que sous celui d’un élu par la force des urnes plus ou moins trafiquées validant un despote sadique ?

La politéia des Grecs (recherche par les citoyens de la vie bonne, de la vertu) a cédé la place au pouvoir temporel déconnecté des ménages, ou plutôt les retenant dans les filets de différentes formes de « contrat social ». Parallèlement, les principes de la moralité personnelle ont cédé la place à ceux de l’État qui tend chaque jour davantage vers l’État gendarme dont la crainte n’est pas le début de la sagesse, mais celui du désengagement.

Dans ce fossé qui se creuse chaque jour entre les citoyens et le numéro 1 « démocratiquement élu » gisent les cadavres des vraies libertés et des beaux espoirs. Le vote ne devient qu’une parodie de démocratie, et même de moralité. C’est à se demander si l’objection de conscience qui consisterait à ne pas voter pour délégitimer le candidat déjà déchu n’est pas le suprême recours d’humanité, bien sûr susceptible de déclencher les foudres des « bien-pensants ».

LE MONSTRE FROID

Nietzsche a caractérisé admirablement l’État, sans référence à aucun système. Relisons son admirable dissection du monstre par Zarathoustra interposé :

« Il y a quelque.part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n’est pas chez nous, mes frères chez nous il y a des États.

État ? Qu’est-ce, cela? Allons! Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.

L’État c’est le plus froid des monstres froids. Il ment aussi froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche “Moi, l’État, je suis le Peuple.”

C’est un mensonge ! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus d’eux une foi et un amour ainsi ils servaient la vie. Ce sont des destructeurs, ceux qui placent des pièges pour le grand nombre et qui appellent cela un État ils suspendent au-dessus. d’eux un glaive et cent appétits. Où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’État et il le déteste comme le mauvais oeil et une dérogation aux coutumes et aux lois.

Je vous donne ce signe : chaque peuple a sa langue du bien et du mal, son voisin ne la comprend pas. Il s’est inventé sa langue pour ses coutumes et ses lois.

Mais l’État ment dans toutes ses langues du bien et du mal ; et dans tout ce qu’il dit, il ment et tout ce qu’il a, il l’a volé.

Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux. Fausses sont même ses entrailles.

Une confusion des langues du bien et du mal je vous donne ce signe, comme le signe de l’État. Vraiment c’est la volonté de la mort qu’indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort !

Beaucoup trop d’hommes sont mis au monde : l’État a été inventé pour ceux qui sont superflus !

Voyez donc comme il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche. “Sur la terre il n’y a rien de plus grand que moi ! Je suis le doigt ordonnateur de Dieu” ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et des yeux courts qui tombent à genoux ! Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se répandre !

Oui, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien! Le combat vous a fatigué et maintenant votre fatigue sert encore la nouvelle idole !

ALORS PEUT-ÊTRE ?

Peut-être, de temps à autre, un homme capable d’être un vrai chef, humain pour ses hommes et fort pour son peuple, sachant la mesure des choses, des êtres et des situations…