LA FRANCE À L’HEURE ALGÉRIENNE

Le titre de l’article du jour n’est pas de mon cru. C’est celui d’un livre de Maître Jean Meningaud, avocat au barreau de Philippeville, en Algérie (aujourd’hui Skikda).

Qui fut Me Meningaud ? La quatrième de couverture de son livre le présente ainsi : « Militant socialiste pendant de longues années et ancien résistant, Jean Meningaud ne peut être accusé de “fascisme”. Ne possédant à Philippeville qu’un cabinet d’avocat depuis 1945, il ne peut être taxé non plus de “colonialiste”. Officier de justice militaire en Algérie au lendemain des troubles de 1945, il avait reçu les félicitations les plus élogieuses de ses chefs et s’était acquis l’estime et la confiance des musulmans. Aussi, n’est-il pas surprenant qu’il soit devenu aujourd’hui le porte-parole de ses amis Algériens – chrétiens et musulmans – qui lui ont demandé d’informer les Français de la métropole. »

La suite de son aventure le portera vers la défense de l’Algérie française.

Son livre date de 1956, soit deux ans après la Toussaint de 1954. Il fut prémonitoire, ce qui signifie « qui avertit par avance ». Mais la surdité, l’aveuglement et le mépris de la politique gaulliste nous ont conduits à aujourd’hui : La France à l’heure algérienne.

Voici le troisième chapitre intitulé :LA TOUSSAINT ROUGE 

LA MONTÉE DES PÉRILS

          UN CALME ÉTONNANT[1]

Aussi invraisemblable que la chose puisse sembler, les Européens d’Algérie, dans leur immense majorité, n’ont absolument pas prévu les événements du 1er novembre 1954, ni surtout l’importance qu’ils allaient prendre dans les six mois qui suivirent.

Sans doute, quelques-uns d’entre eux envisageaient-ils la possibilité que les troubles d’Indochine, puis ceux de Tunisie puissent avoir une répercussion sur la situation en Algérie, mais c’était chez eux. beaucoup plus une vue de l’esprit que  la prise de conscience d’un danger réel.

C’est qu’en vérité les Français d’Algérie, dans leur quasi-totalité n’avaient pas mauvaise conscience et avaient perdu l’habitude de se méfier de l’Islam au cours de nombreuses années vécues fraternellement à côté des musulmans. Ceux-ci d’ailleurs ne concevaient pas davantage, pour le plus grand nombre, qu’un combat puisse s’instaurer entre eux-mêmes et la France. Ils se sentaient vraiment devenus partie intégrante de la France et, s’ils parlaient des partis nationalistes algériens, c’était pour en plaisanter et rassurer leurs amis d’origine française sur le peu de crédit que leurs tenants possédaient dans la masse musulmane sérieuse. À n’en pas douter, ils étaient sincères et l’influence nationaliste était apparemment négligeable.

Une communauté réelle et profonde existait, basée sur une estime et une confiance réciproque et, s’il fallait bien constater quelques exceptions de part et d’autre, disons qu’on ne leur accordait pas davantage d’importance qu’on n’en donnait au péril communiste en France il y a vingt-cinq ans.

          RETOUR À SÉTIF EN 1945

Sans doute 1945 et les événements de Sétif et de Guelma avaient constitué un avertissement brutal, mais on les tenait généralement comme la tentative aventureuse de quelques antifrançais, de l’espèce de Ferhat Abbas qui avaient profité de l’éloignement de l’armée pour fanatiser par leurs mensonges des masses montagnardes incultes et crédules. L’affaire n’avait pas poussé de racines profondes dans l’âme musulmane.

Sans doute, l’attaque avait-elle été d’une odieuse sauvagerie puisque, en deux jours, plus de cent Français – hommes, femmes, enfants, prêtres – avaient été mutilés et assassinés dans des conditions d’une indicible horreur.

Sans doute aussi la riposte du général Duval, qui n’ayant à sa disposition que quelques avions et pratiquement pas de troupes, avait dû les employer à fond, n’avait pas été tendre.

Duval était de ceux qui pensent que lorsque MM. les assassins commencent, il n’y a pas de raison péremptoire d’avoir à leur égard une indulgence particulière, et cela dans l’intérêt bien compris de la paix publique.

Il savait aussi qu’il n’avait point affaire à un mouvement profond d’opinion car, s’il en avait été ainsi, et si les musulmans eussent été antifrançais, ils auraient profité de l’affaiblissement de la France après la défaite de 1940, pour se soulever.

Ils en avaient eu une occasion exceptionnelle alors que toute l’armée guerroyait en Italie, en France et en Allemagne, et pendant toute cette période, au contraire, ils avaient fait montre d’un loyalisme parfait et s’étaient passionnés pour la victoire de nos armes, qui étaient aussi les leurs.

Duval avait donc répliqué rudement à l’attaque de quelques milliers de fanatiques et l’ensemble de la population l’avait parfaitement compris. L’attachement à la France du plus grand nombre avait aidé à cette compréhension; l’attitude religieuse dont nous avons parlé avait fait le reste.

          DE L’INDOCHINE À L’ALGÉRIE

Et puis les événements d’Indochine étaient venus et les Algériens – il faut le dire – n’en avaient absolument pas mesuré l’importance. Il avait été vain de vouloir les alerter : l’Indochine était trop loin. Elle n’avait pour eux aucune réalité et ils ne voyaient aucune similitude entre les planteurs indochinois et eux. Ils les auraient même considérés assez volontiers comme d’authentiques colonialistes, convaincus qu’ils étaient, de la meilleure foi du monde, qu’il ne pourrait venir à l’esprit d’aucune personne sensée, de les considérer eux-mêmes, un peu plus tard, de la même façon.

Dien-Bien-Phu, pourtant, les frappa et surtout dans la mesure où ils décelèrent une lueur de défi dans les yeux d’une certaine fraction oisive de la jeunesse musulmane des villes.

Mais il était trop tard, et ils en prirent facilement leur parti. Les fellaghas de Tunisie ne les inquiétèrent pas davantage : en Tunisie, disaient-ils, il s’agit d’un protectorat et il n’y a que quelques dizaines de mil1iers de Français. Ici nous sommes dans des départements français, et nous sommes 1.200.000. Et puis, toujours, au fond du cœur, cette idée bien ancrée que le musulman, citoyen français, traité comme un égal, n’avait aucune raison de se soulever. Les amis musulmans étaient d’ailleurs d’opinion absolument identique.

           COMME UNE FUMÉE AVANT LE FEU

À vrai dire, seuls quelques administrateurs et quelques membres de la police décelèrent. dès 1953. les traces d’une agitation qui, pour n’être que sporadique et superficielle, n’en était pas moins réelle: des propagandistes couraient les douars, lançaient des collectes. Souvent mal reçus des populations, ils n’en persévéraient pas moins.

À Jemmapes, quelques jeunes gens furent surpris à s’entraîner clandestinement aux rigueur de la discipline militaire.

Les avertissements parvinrent jusqu’aux hautes sphères administratives qui les méprisèrent et accusèrent leurs auteurs de faire un complexe de persécution et d’être des ”colonialistes” tracassés d’une méfiance maladive.

          LA TOUSSAINT ROUGE DE 1954

Les années passèrent, et c’est dans ce climat de somnolence optimiste que claquèrent les premières salves de la Toussaint 1954. Dans la région de Batna, des hommes tombèrent, choisis comme pour l’illustration d’un symbole : un caïd musulman, ancien officier français, un instituteur progressiste, un soldat du contingent – l’image même de la communauté française.

Dans l’ensemble de la population musulmane et française, la consternation le disputa à la stupeur.

          CEUX QUI SAVAIENT

Et pourtant, depuis des mois, des hommes savaient, dont le métier était de prévoir et de prévenir l’éclatement des troubles.

Des faits s’étaient passés, en effet, ignorés des populations, mais combien significatifs. Nous nous bornerons à les signaler tels qu’ils sont venus à notre connaissance, en laissant le soin au lecteur d’en tirer les enseignements.

En février 1954, huit mois avant la Toussaint sanglante, un garde champêtre kabyle fut blessé d’un coup de feu dans un marché de la région de Maillot. La gendarmerie ouvrit une enquête et la victime déclara ne pas savoir qui pouvait lui en vouloir suffisamment pour attenter à ses jours ; ses seuls soupçons – encore étaient-ils bien vagues – se portaient sur un musulman habitant une montagne voisine qui l’avait récemment injurié à plusieurs reprises, le traitant notamment de “sale Français”. Nantis de ce seul viatique, deux gendarmes enfourchèrent leurs chevaux et grimpèrent dans le Djebel.

Ils trouvèrent l’insulteur qui coulait des journées d’inoffensif ermite, juché sur sa montagne. Il se prêta de bonne grâce à une perquisition et protesta de son innocence en même temps que de son attachement à la France.

La chose allait de soi. Les recherches furent vaines et les gendarmes repartirent bredouilles. Mais en longeant la haie de cactus qui bordait le jardin de notre homme, l’un des pandores eut l’œil attiré par une douzaine de ruches d’abeilles alignées comme à la parade. Il lui vint une idée – contrairement à une légende stupide, les gendarmes en ont souvent, je le dis comme je le pense. Il héla le citoyen qui détala.

Rattrapé, celui-ci fut mis en demeure de montrer l’intérieur d’une ruche.

L’examen de ce rucher se révéla plein d’enseignements: il recélait des armes diverses, des munitions, et des documents d’une importance insoupçonnable.

Les gendarmes y découvrirent en effet un compte rendu secret des dernières activités du parti populaire algérien de Messali Hadj, leader nationaliste à la barbe fleurie. Messali Hadj eût parcouru avec surprise ces documents : il y apparaissait qu’un de ses lieutenants, El Lahouel, avait pris la tête d’un schisme dressé contre le vieil homme et créé un parti dans le parti. Ce nouveau mouvement s’appelait le C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Union Algérienne) et il n’était point demeuré inactif.

Le noyautage avait été très loin et avait abouti à faire attribuer aux hommes de la nouvelle tendance tous les postes de R.P.l. (représentants à la presse et à l’information) créés par l’ancien mouvement. Sous cette appellation anodine, les R.P.I. étaient d’ailleurs déjà des gens inquiétants car, s’ils ne s’occupaient ni de la presse ni de l’information, ils étaient passés maîtres dans l’art de collecter les fonds pour le parti par des moyens souvent peu aimables. Ils étaient aussi de redoutables agents de propagande.

Mais leurs successeurs étaient bien pis : le document de Maillot établissait en effet, noir sur blanc, que les nouveaux R.P.I. investis par El Lahouel étaient tout simplement les chefs des groupes de combat chargés de mettre en place le dispositif de la révolte. Ils étaient désignés nommément pour toutes les agglomérations de quelque importance d’Algérie. Seul le bourg de Fedjem-Zahla n’en possédait point, à la suite d’on ne sait quelle omission. Il était en outre fait mention que l’organisation étendait ses ramifications jusqu’en métropole et possédait des antennes sur le territoire belge.

La prise était de taille et les documents ne firent qu’un bond jusqu’à Alger, d’où ils auraient été transmis au ministre compétent.

          ET CEUX QUI NE VOULAIENT PAS SAVOIR

Après vérification, on put constater que les noms n’étaient point fantaisistes et que les chefs de groupe de combat existaient bel et bien et remplissaient en fait les fonctions de responsables locaux du P.P.A. Mais – sur instructions de qui ? – on dut s’abstenir de les “provoquer” et se borner à les surveiller, ce qui devait suffire à les rendre inoffensifs !

Ils furent donc surveillés de près, la gendarmerie et les services de police réalisant sans peine la gravité de la situation que la haute administration n’avait pas semblé comprendre. Ce ne fut pas en vain: à la fin de l’été 1954, il s’avéra que les intéressés s’agitaient beaucoup. s’absentaient souvent, recevaient nuitamment… Des rapports furent rédigés, mentionnant que la population musulmane, demeurée saine, risquait d’être au moins partiellement contaminée et qu’en toute hypothèse une action était en cours de préparation. On préconisa l’arrestation préventive des pseudo R.P.I.

Mais l’époque était à l’euphorie : c’était celle où l’on reconnaissait aux fellaghas tunisiens, la qualité d’anciens combattants : on continua donc à ne pas “provoquer” les chefs de groupes de combat – sur ordre de qui ?

Une conférence à l’échelon ministériel, qui se tint à la préfecture de Constantine à cette époque, livrerait peut-être le secret. Elle fut dramatique, mais malgré les supplications des chefs de services locaux, la position du pouvoir central demeura inébranlable : la consigne demeurait d’éviter toute “provocation”.

Le 1er novembre 1954, les chefs de groupes de combat, las de ne pas être provoqués, passèrent à l’action, et l’on dut convenir, dans toutes les villes touchées par les attentats de cette journée, qu’ils étaient bien les responsables, puisqu’ils disparurent avec un ensemble parfait.

Il s’avéra, par la suite, qu’ils formèrent les cadres de la rébellion.

Les autorités locales prirent alors sur elles d’arrêter ceux qui n’avaient pas encore bougé, et, assurés de l’impunité, étaient demeurés chez eux. Emprisonnés, ils furent pour la plupart relâchés quelque temps plus tard – sur l’ordre de qui ?

Ils commandent actuellement des groupes de rebelles.

Mais cela, la population algérienne l’ignorait et l’ignore toujours. Fort heureusement, il semble que depuis ces jours troubles un souffle nouveau soit passé sur certains des hommes au pouvoir. Mais des “erreurs” de cette nature se paient très cher. L’avenir, hélas ! s’est chargé de le démontrer.

          CALME APRÈS LA TEMPÊTE ET NOUVELLE TEMPÊTE

Il est d’ailleurs aussi invraisemblable de constater que, la première émotion passée, cet avenir ne parut pas si sombre aux Algériens dans les mois qui survirent le 1er novembre 1954. Le goût de la paix est solidement ancré au cœur des Français, et ils n’y renoncent point volontiers. D’aucuns prétendent que ce goût peut être, dans certains cas, dénommé veulerie. Une minorité de gens, généralement sévèrement jugés, l’appelle quelquefois 1âcheté.

Quoi qu’il en soit, dans le courant de novembre 1954, l’existence algérienne reprit un cours sensiblement normal, légèrement pimenté par le fait que, là-bas, dans l’Aurès, “il se passait quelque chose”. Les routes demeurèrent sûres, de jour et de nuit ; les Français ne furent pas agressés. On admit volontiers que l’Aurès avait toujours été une zone un peu troublée, repaire des déserteurs et des bandits.

Une opération de police, affirmait-on, allait mettre tout cela d’aplomb dès les premiers beaux jours. Car l’hiver était là, rendant l’Aurès impraticable.

Ils vinrent, les premiers beaux jours. Et les attentats contre les musulmans se multiplièrent. Les anciens militaires de l’armée française, les gardes champêtres musulmans, les notables amis de la France, tombèrent un à un, et l’on retrouvait au long des pistes leurs corps odieusement mutilés.

La France ne s’alarma pas exagérément, et il me fut donné d’entendre un jour cette phrase abominable : “Tant qu’ils se battent entre eux, laissons-les faire !”

Quel sentiment l’emportait, chez son auteur, qui n’était point seul de son avis dans les sphères responsables : la stupidité, la lâcheté, l’inconscience ? Les mots me manquent pour qualifier une pareille attitude.

Car enfin, c’étaient des hommes qui mourraient dans d’épouvantables tortures. Des hommes qui étaient nos .amis. Des musulmans que toute une vie de patriotisme liait à la France. Qu’il me soit permis d’évoquer ici le calme visage de mon ami, le caïd Bada, abattu à El Arrouch, pendant cette période maudite, et qui, sur son lit de mort, me confiait dans un souffle : “Je ne regrette rien, maître, puisque c’est pour la France”. Comment est-il concevable qu’un pays qui a suscité de telles fidélités ait pu, dans un temps si rapproché, sécréter tant d’inconséquences !

     UNE TACTIQUE AU PRIX FORT

Car les raisons d’humanité élémentaire et l’amitié mises à part, comment ne concevait-on pas que le massacre de nos amis musulmans était le prélude du massacre des Européens ?

Comment ne voyait-on pas que ces massacres avaient un double but, qui fut, hélas ! pleinement atteint :

D’abord, faire la démonstration que la France ne protégeait plus ses amis, et entraîner ainsi la désaffection d’une partie de l’opinion musulmane.

Ensuite, nous priver de tous ceux qui pouvaient nous aider de leur influence et de leurs informations. Et ce dernier aspect ne devait pas être le moins sensible, car tous ceux qui ont servi par la suite en Algérie savent quelle difficulté rencontre l’armée à obtenir le moindre renseignement. Comment s’en étonner, alors que nos plus sûrs amis sont morts et que la terreur et le doute ont verrouillé les lèvres de ceux qui restent ?

C’est donc dans cette atmosphère de demi-sécurité, de demi-mesures, d’avilissement, que se traina le printemps de 1955. On avait bien le sentiment que le danger était partout, mais on ne le voyait nulle part. Alors, vogue la galère ! Le “pourrissement” s’installait. Les renforts, chaque jour promis, n’arrivaient jamais. L’armement des civils isolés se heurtait à des difficultés inouïes. On partait en vacances, espérant qu’au retour tout serait “arrangé”. Des hommes, pourtant, de plus en plus nombreux, criaient casse-cou. Des militaires, des hommes du peuple, des policiers, des maires de communes rurales, des administrateurs, bien sûr. Mais, qui s’en souciait ? M. Mendès-France s’était assoupi dans l’euphorie de son double tour de force de Genève et de Tunis, et M. Edgar Faure, en disciple appliqué, nous préparait avec amour le feu d’artifice d’Aix-les-Bains.

Le sort de l’Algérie ne troublait guère leurs nuits: la conscience du devoir accompli (mais au bénéfice de qui ?) berçait leur sommeil.

          LA BOUCHERIE DE PHILIPPEVILLE

Et puis ce fut la boucherie du 20 août 1955, la ruée des hordes fanatisées sur Philippeville, la bataille de rues, les 64 cadavres de la cité et de ses environs.

Dans toute l’Algérie, l’horreur, d’un coup, s’imposa et, le regard agrandi de terreur et d’incompréhension, les hommes de Philippeville se penchèrent sur les restes atroces de leurs amis, les ouvriers français d’El-Halia. Le spectacle n’était pas beau: des enfants de quelques mois avaient été ·littéralement taillés en pièces, et, dans l’âcre odeur du sang chaud et des incendies, on rassemblait leurs membres épars. Des fillettes de cinq ou six ans, des garçonnets du même âge, avaient subi des traitements que la décence interdit de conter. Leur visage supplicié, leurs yeux fous, en disaient plus que tous les récits.

Des cadavres de jeunes filles et de femmes, lardés de coups de serpes, gisaient, le ventre ouvert, empalés sur des manches de pioches. Les hommes avaient été brûlés vifs, après avoir assisté au supplice de leurs épouses et de leurs gosses. D’autres avaient été égorgés comme des bestiaux, pour leur laisser le temps d’une abominable agonie. D’autres encore avaient été abattus dans le dos, de terribles coups de pioches ou de hache, alors qu’ils tentaient de fuir. Çà et là une oreille ou des testicules traînaient.

Les progressistes français allaient pouvoir pavoiser : l’Armée de la Libération avait remporté une grande victoire sur le “colonialisme”, toute une cité ouvrière venait d’être rayée, à traits de sang, de la carte du monde.

Mais qui donc étaient les agresseurs ? Quels étaient ces monstres, sortis de la nuit des siècles ? De quels pays reculés avaient-ils surgi ? Ils étaient les ouvriers musulmans d’El-Halia qui, depuis des années, partageaient la vie de leurs victimes.

Alors la vérité frappa chacun, comme un coup en plein visage :

la guerre sainte commençait. Elle n’a plus cessé depuis.

Jean Meningaud

Je rappelle que ce texte est de 1956. Il a été écrit par Me Meningaud, un notable sur place, témoin direct de bien des faits.

Et voilà où nous en sommes, sept décennies plus tard ?

Audiard avait écrit : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ».

Permettez-moi une autre approche :

Avant l’évènement prédit, leur phrase-type est : « Vous n’y pensez pas ! »

Après l’évènement réalisé, ils osent lever les bras au ciel et ajoutent : « Qui aurait pu prévoir ? »

Ensuite, ils s’en lavent les mains. Cela ne vous rappelle personne, ces temps-ci ?

Antoine Solmer

[1] Les intertitres sont de la rédaction (NDLR).