LES TOMATES FARCIES DE LA DÉMOCRATIE : D’ABORD, LES INGRÉDIENTS

PÉRICLÈS ET SON ORAISON FUNÈBRE COMME SI NOUS Y ÉTIONS
PÉRICLÈS ET SON ORAISON FUNÈBRE COMME SI NOUS Y ÉTIONS

Nous connaissons la comparaison astucieuse de l’écologie avec la pastèque : verte (pour l’écologie) au-dehors, et rouge (le vieux drapeau de la gauche) en dedans. À la différence de la pastèque, on connaît d’avance la couleur la tomate, mais l’essentiel dépend de la farce. C’est encore plus clair : la démocratie rouge est toujours une farce. Aujourd’hui en voici un exemple tiré de la perversion de l’oraison funèbre de Périclès rapportée par Thucydide il y a 25 siècles, et expliqué en farce en 1992 par Diane Ravitch et Abigail Thernstom dans The Democracy Reader, 1992, Harper Collins Publisher. Dans la tomate farcie, on attend la farce, et ici non plus, nous ne sommes pas déçus.

JE VOUS PRÉSENTE DIANE ET ABIGAIL

Le livre reprend l’oraison funèbre de Périclès dans le compte-rendu qu’en donne Thucydide au livre II de La Guerre du Péloponnèse. L’extrait y est chapeauté d’une explication des auteurs. Ces dames (précisons pour leur faire plaisir !) s’y enflamment pour « l’une des premières défenses rapportées de la démocratie dans la civilisation occidentale ». Pourquoi pas ?

Elles y retrouvent, « curieusement, l’une des plus modernes [de ces défenses]. » Et elles l’expliquent : « son contexte est celui d’un conflit international et le discours se réfère à la croyance longtemps établie en la faiblesse inhérente aux démocraties en guerre avec les tyrannies. » Pourquoi pas, mais…

Pour Diane et Abigail (soyons copains !) Périclès réfute cette idée. Il justifie le conflit contre Sparte la guerrière par les vertus de la démocratie athénienne. Pour elles c’est « en un sens, le premier document de la “guerre froide” ». Et elles le justifient ainsi : « Une défense retentissante autant du patriotisme athénien que des vertus universelles de la démocratie : la tolérance, la diversité, le libre-échange et l’État de droit. »

Mazette ! La « guerre froide », rien que ça ! Washington la démocrate contre Moscou la guerrière ! Cela demanderait déjà quelques livres de référence pour ajuster les défauts de la balance. Mais ce n’est pas mon sujet du jour. Nos demoiselles (des artistes, que, par convention, nous appelons demoiselles) nous ont joué une belle pièce. En sortant du théâtre, revenons à l’histoire. Revenons à Périclès, à son oraison funèbre et à la démocratie, athénienne ou pas.

PÉRICLÈS EN GRAND ORDONNATEUR DES POMPES FUNÈBRES

Cela se passait en 431 avant notre ère. Périclès et Athènes ont mal commencé cette année de guerre puisque les environs de la ville ont été pillés. Périclès n’est ni un lâche ni un imbécile. Il l’a déjà montré sur les champs de bataille. Il a déjà conçu et poursuivra un fort remodelage de la cité, en s’appuyant sur le peuple. Mais, il faut s’avoir « s’appuyer » sur le peuple, à tous les sens du terme. Il faut appuyer, et faire semblant de ne pas appuyer. Là est l’essence de la démocratie. Par contre il faut appuyer (encore et toujours) sur les ennemis du peuple, donc de la démocratie, et ici, il faut le faire sentir.

C’est en ce sens que l’oraison de 431 doit être mieux comprise.

LE REPORTAGE DE THUCYDIDE

          LE TEMPS DES LARMES

Ce sont des funérailles officielles (aux Invalides, en quelque sorte, en présence des autorités et des citoyens) mais la religion officielle y est représentée. Ce premier élément parle déjà assez haut pour ne pas être retenu par les démocrates professionnels. La vie de la Cité et sa religion officielle sont au moins co-dépendantes, sinon consubstantielles. La cérémonie reconstruit l’ordre social car chaque héros est célébré, non seulement par tous, mais aussi par les offrandes de son groupe civique d’origine.

Thucydide décrit longuement la cérémonie (un ancêtre de notre Léon national – Zitrone, pour les plus jeunes – qui excellait en ces circonstances). Il s’agit, comme nous le dirions aujourd’hui, d’une mise en condition des citoyens. Les sentiments prennent le dessus. Les yeux se mouillent, les pensées et les esprits fusionnent.

           LA REPRISE EN MAIN

Ils fusionnent d’autant plus que le brave Périclès (aucune référence à une quelque boisson gazeuse) en appelle maintenant aux ancêtres qui ont défendu la cité, et établi « leur » démocratie, sans l’imiter de quelque autre nation. Des Athéniens « de souche » en quelque sorte.

La fierté à double titre revigore le groupe et l’inscrit dans « sa » ville où magistrats et citoyens sont attentifs au suivi des lois. Pourtant, il n’est nulle question dont ces lois sont votées. Un oubli ? Commode ?

Enfin, parmi tous ces égaux, certains le sont plus que d’autres. Non, ce n’est pas George Orwell qui parle comme dans une vulgaire « ferme d’animaux », mais toujours Périclès dans cette fantastique ville-symbole de démocratie. Seul problème, expliquer le pourquoi de cette égalité non égale. C’est simple : par le mérite, la seule échelle qui doivent, « démocratiquement » permettre d’accéder aux honneurs, et non par la classe sociale.  Comment ne pas être d’accord ? Sauf qu’on aurait voulu avoir quelque idée des pensées « retenues in petto » ici ou là.

Et puis, embrassons-nous Folleville, il est question de tolérance. Enfin, voici un mot qui enchante nos démocrates professionnels contemporains. Encore que… certains traducteurs préfèrent « facilité des relations », et on les comprend. Car « l’absence de colère d’un citoyen avec les autres » ainsi que de « vexations », me paraît assez difficile à imaginer dans le moindre village, et dans une capitale encore moins. Et si, de plus, elle « jouit » de quelques « quartiers » difficiles… Cela dit, ne jouons pas trop les trouble-fêtes, qu’il s’agisse de courses de chars provocatrices, ou de rodéos.

Mais cela ne suffit pas. Périclès n’oublie pas d’y rajouter la culture. Elle comprend les « nombreux concours et fêtes religieuses », mais aussi celle du beau et du bien. Tous philosophes ! Tel pourrait être le maître mot de nos braves Athéniens. Avec, ajouté à ce programme, un comportement sain, disons indépendant, détaché, de la richesse. Alors, disparaissent les compromissions de toute sorte, y compris dans les tribunaux.

Pourtant, Périclès ose dire – comprenne qui veut – que les bienfaits apportés à chacun par la cité, c’est-à-dire lui-même, créent, nolens volens, une relation d’obligation. Le renard a pointé le bout de l’oreille.

À suivre

Antoine Solmer

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