Des lendemains qui pleurent – ( I ) : cyberculture, cyborgs et transhumanisme

 C’est souvent que nous parlons de la science, dans ce blog, pas toujours pour l’admirer. Mais il faut dire que, depuis plusieurs années, pendant que tout s’agite dans plein de mauvais sens et que le monde tombe dans une folie certaine, des laboratoires dits “de recherches”, aux États-Unis et dans d’autres pays, sont occupés à plein temps à soumettre le corps humain aux impératifs de ce qu’ils désignent par le mot Science, devenu par leurs soins pas désintéressés une “iso-religion”, la “cyberculture”, et une mutation caricaturale : le trans-humanisme.

L’idée est simple : puisque le corps humain est un système complexe de neurones et que ceux-ci sont assez comparables, dans leur fonctionnement, à des circuits d’ordinateur, on devrait pouvoir envisager d’en augmenter les capacités (on dit ‘’to upload’’, en anglais, pour mieux noyer le poisson dans le poison), et même de capturer ses composants sur des supports externes, dans un processus qui rappelle le séquençage génomique. Et les progrès immenses de la technologie moderne permettent de dire que “si c’est envisageable, c’est donc réalisable”, et même… à un terme proche, comme l’enseigne la célèbre Loi dite “de Murphy”.

C’est un rêve merveilleux (?) pour savants fous : pouvoir disposer à loisir des aspects non charnels de l’Homme, son esprit, son intelligence, sa mémoire, sa culture, son expérience, que sais-je… sans avoir à plus jamais se soucier de sa fatigue, de son sommeil, de sa nourriture, de son vieillissement, de ses sentiments, de sa fatigabilité, ces limites “de définition” qui  ralentissent sa productivité ! La tête, mais sans les jambes… mais libérée des jambes – et du reste ! Un “Homme/clé-USB”, en quelque sorte ! Et en plus, on pourrait “uploader” ses facultés, bricoler des organes de remplacement, avoir un “kit” de pièces détachées (en stockant celles qui viennent d’Ukraine !) ou lui attribuer des fonctions ou des capacités aujourd’hui absentes de son registre !  Savoir que quelque Docteur Jekyll pourra ajouter à tout un chacun quelques “téra-octets”… quelle bonne nouvelle ! Quelle chance on a !

Ce n’est sans doute pas sans raison que ces pseudo-savants/apprentis sorciers (qui en sont totalement démunis – de raison, bien sûr), se sont donné comme signe de ralliement le sigle “H+” : “un Homme augmenté” ! Comme l’avait redouté Darwin, l’humanité, dont nous ne savons rien ou si peu, ne serait peut-être qu’au début de son long voyage sur Terre… à ceci près que la suite rassemblerait de moins en moins d’Hommes et de plus en plus de “machins-trucs” à l’air humanoïde : des “cyborgs” (NB : de l’anglais “cybernetic organism”), si l’on veut ! Mais si tel est le cas, je ne regrette pas d’avoir la certitude de ne plus être là quand ce temps sera venu, mon âge devenant pour une fois un avantage concurrentiel à nul autre pareil !

 La presse, qui ne veut à aucun prix avoir l’air de ne pas être “dans le coup” de toute idée nouvelle, surtout si elle est très conne, fait ses choux gras de pseudo-informations dans le genre : “Le secret de la vie a été percé” (tu parles !), en faisant foin de toute déontologie oratoire ou épistolaire (cf. Allan & Morange dans Études) : puisque le vivant peut être “défini” (en tout cas : constaté) par des interactions physiques et chimiques, ce que l’on sait depuis longtemps. Le seul fait d’avoir pu “créer”, fut-ce de façon théorique, une iso-paramécie qui “vivrait” autant que celles provenant de sources naturelles, est tout de même un autre sujet que de pouvoir, de manière répétitive, intégrer des phénomènes biologiques fonctionnels et les évolutions ayant contribué à notre définition du mot “vie”. En réalité, il s’agit une fois encore, d’un sale jeu sur le sens des mots en leur faisant dire ce qu’ils n’ont jamais voulu signifier… De là à se passer des gamètes, des ovules… ou de croire vrai leur iso-mariage contre-nature mais qui ne correspond à rien, même en chamboulant le sens des mots… il y a la mer et les petits poissons. Mais… vive le sensationnel !

 Vous rendez-vous compte ? Quel beau joujou ! Quel bonheur ! Quelles belles ouvertures ! Le dieu-Progrès à l’état pur, tel qu’en lui-même et pour lui-même… (et contre nous, mais chut !)… le sens du mot “progrès” devenant ainsi libéré de toute contrainte humaine et orienté vers son seul et exclusif mieux-être à lui et à lui seul, totalement indifférent à ce qui pourrait arriver à l’Homme “de chair et d’os” dans ce processus… La vieille idiotie du changement-comme-programme disparaîtrait ipso facto, puisqu’il n’y aurait plus que des progrès-pour-le-progrès, avatar du concept de “progrès” pour sa propre puissance et donc devenu ‘’un loup pour l’Homme’’.  

 Toutes ces belles perspectives, dont les effets mortifères se confondraient avec tout ce que nous avons déjà mis en œuvre dans d’autres compartiments de la science, avec tout ce qui a été rendu possible par des “progrès” en matière génétique et génique-pas-trans, chirurgicale, procréative, bioéthique, cognitive, voire “sociétale”, sans que jamais personne n’ait voulu voir plus loin que les conséquences immédiates de ces avenues qui s’ouvrent, ou semblent s’ouvrir, sur des avenirs incertains – avec leur dose de menaces potentielles mais inconnues– nous promettent une joyeuse pagaille dans les futurs que nous laissons ouverts, très imprudemment. Des pans entiers d’activités qui étaient jusque là totalement inenvisageables s’ouvrent devant l’humanité ou ce qu’il en restera, étonnée au point d’en perdre le Nord (et aussi le Sud, l’Est et l’Ouest, mais il ne faut pas le dire trop tôt : ça pourrait ralentir ce mouvement merveilleux vers notre néant définitif ! Les mots Cyberculture, Transhumanisme, ou encore Singularité vont nous devenir familiers, demain ou après… Nous leur consacrerons le temps qu’ils méritent…

L’essayiste et journaliste Jean-Claude Guilbaud, avait vu ‘’ça’’ dès 1969 : “Au cœur de la mutation anthropologique, technologique et historique que nous traversons, d’insidieuses logiques sont à l’œuvre : le réel est congédié au profit de l’immatériel, le corps lui-même est présenté comme une vieillerie encombrante, véritable ’‘horreur de chair” (de plus en plus souvent désignée comme “de la viande” – meat), ce qui s’oppose avec puissance à l’incarnation chrétienne et à l’anoblissement du corps qui en résultait’’.(in- “Études”, n°414).

Comme nous voilà loin, déjà, de l’univers, déboussolant puisque déboussolé, de ces drogués au transhumanisme, qui n’ont pas trouvé immodeste que de se désigner eux-mêmes par “techno-prophètes” (sic !), et des errements dignes de cauchemars de ces “géo-engeneers” dont nous parlions il y a peu… (à suivre).

H-Cl.