LA NUIT OBSCURE

Claude Henrion, qui signe H-Cl est un habitué de Geocortex.site car je lui emprunte souvent des articles extraits, avec sa permission, de son blog Comprendre demain. Il est pour moi plus qu’un ami, une sorte d’ “haltère ego”… en catégorie lourde. En lisant ses lignes il reconnaîtra nos petites manies sous forme de plaisanteries de comptoir. Mais elles peuvent avoir du sens. Ici par exemple, car Claude s’adonna à l’haltérophilie. Que n’a pas fait ce diable de personnage, avec ce mélange de force et de finesse qui le caractérise ? Je crois qu’il est l’homme le plus extraordinaire que j’aie jamais rencontré. Mais aujourd’hui, sa force lui fait défaut. Voici son message du jour sur Comprendre demain :

Sans titre

  Après soixante-huit ans de connivence, et soixante-trois ans de mariage heureux, ma chère Évelyne s’en est allée ce matin à 4 heures, dans la douceur, et l’amour de ses enfants, munie des sacrements de l’Église, après une terrible lutte à armes inégales avec 3 cancers contre lesquels elle s’est battue avec un courage et une force morale qui ont forcé l’admiration de tous…

Comme je vous l’avais annoncé la semaine dernière, je me trouve dans l’obligation d’interrompre pour quelques jours la parution de ce Blog. Je ne sais pas à quel moment je pourrai reprendre un cours normal, et je suis désolé de ce flou. Mais plus encore d’avoir perdu cette bataille : je n’étais pas de taille.

Pour les abonnés, aucun problème : ils me retrouveront, le temps venu, comme à leur habitude. Pour les autres, je suis obligé de leur demander de visiter le site une ou deux fois par semaine… jusqu’à retrouver “leurs” éditos… si toutefois ils en ont envie…

Tristement vôtre, chers Amis-lecteurs… Et s’il vous plaît, pensez à moi un peu plus fort jeudi à 14 h 30, heure de la messe d’A-Dieu, à Saint Honoré d’Eylau.

Claude Henrion

Je dédie cet article, que je n’aurais jamais voulu avoir à écrire, à Claude, à sa famille, et à Évelyne qui est partie en ce petit matin de solstice. Je l’ai classé dans la rubrique “Repère de beauté”, car la beauté d’Évelyne, lors de notre dernière rencontre, c’était le courage et la tenue, malgré les bouteilles d’oxygène et le long tuyau qui la retenait à la vie, à si peu de vie. Mais il n’existe pas de tuyau assez long, ni assez d’oxygène au monde pour vaincre ces petites cellules folles quand elles ont rompu tous les barrages, et dépossédé la famille de l’être cher.

Repère de beauté aussi car j’ai choisi, pour atténuer cette mauvaise farce du destin, un texte de saint Jean de la Croix, ce religieux espagnol du XVIe siècle au mysticisme aussi puissant que poétique que je garde en mes réserves de re-lectures.

Voici une Glose, extraite de La Nuit Obscure (de l’âme) :  (La Noche Oscura del alma), chantée par Vincent Pradal, qui en est, à mon avis, le meilleur interprète. Écoutez-la de tout votre coeur après avoir cliqué ici

Vous trouverez ci-dessous le texte de la Glose, en espagnol d’abord, puis une traduction en français (qui n’est pas la mienne).

Resquiescat in pace

Antoine Solmer

 

Sin arrimo y con arrimo

Sin arrimo y con arrimo,
sin luz y a oscuras viviendo,
todo me voy consumiendo.

Mi alma está desasida
de toda cosa criada
y sobre sí levantada,
y en una sabrosa vida
sólo en su Dios arrimada.
Por eso ya se dirá
La cosa que mas estimo
que mi alma se ve ya
sin arrimo y con arrimo.

Y, aunque tinieblas padezco
en esta vida mortal,
no es tan crecido mi mal,
porque, si de luz carezco,
tengo vida celestial ;
porque el amor de tal vida,
cuando más ciego va siendo,
que tiene al alma rendida
sin luz y a oscuras viviendo

Hace tal obra el amor
después que le conocí,
que, si hay bien o mal en mí,
todo lo hace de un sabor,
y al alma transforma en sí ;
y así, en su llama sabrosa,
la cual en mí estoy sintiendo,
apriesa, sin quedar cosa,
todo me voy consumiendo.

Sans appui et pourtant appuyé*

Sans appui et pourtant appuyé
vivant sans lumière et à l’obscur
je vais tout me consumant.

Mon âme est dégagée
de toute chose créée
et au-dessus d’elle élevée,
et en une savoureuse vie
seulement à son Dieu attachée.
Par cela déjà se dira
la chose que j’estime le plus,
que mon âme se voit déjà
sans appui et pourtant appuyée.

Et bien que ténèbres j’endure
en cette vie mortelle,
mon mal n’est pas si grand,
car, si je manque de lumière,
je possède une vie céleste ;
car l’amour donne une telle vie,
quand il est plus aveugle,
qu’il tient l’âme soumise,
vivant sans lumière et à l’obscur.

L’amour fait une telle œuvre
depuis que je le connus,
que, s’il y a bien ou mal en moi,
il donne à tout même saveur,
et transforme l’âme en soi ;
et ainsi, en sa flamme savoureuse,
qu’en moi je sens,
vite, sans que rien ne reste,
je vais tout me consumant.

* https://www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/jec.htm