LE SAVANT ET LE POLITIQUE, D’APRÈS MAX WEBER

MAX WEBER
MAX WEBER

« On ne peut pas être en même temps homme d’action et homme d’études, sans porter atteinte à la dignité de l’un et de l’autre métier, sans manquer à la vocation et de l’un et de l’autre [1]. »

Cette citation est due à Raymond Aron dans la préface qu’il écrivit pour Le Savant et le Politique, de Max Weber. La préface est de 1963, le livre original est de 1919. Aucun moyen d’attribuer à ces deux hommes une quelconque volonté de nuire à un éventuel président de la République.

Mais aucun moyen d’échapper à la réflexion qui s’impose concernant le nôtre, qui se prend autant pour un vrai président que pour un médecin “diafoirant”, dérapant allégrement de décrets absurdes en ordonnances et prescriptions qui ne le sont pas moins, de la mise au rencart de papy et mamy (par “la voix de son maître”) à l’interdiction de manger et boire debout, de l’exclusion  “emmerdante” des citoyens qui ne le supportent plus, à l’obligation dictatoriale d’un pseudo-vaccin, cache-sexe d’un “vax pas sain”.  Bref, passant en même temps de l’exercice aberrant de la présidence à celui illégal de la médecine.

Laissons à Raymond Aron le soin de dégager les premières conséquences de cette introduction :

« L’homme d’action est celui qui, en une conjoncture singulière et unique, choisit en fonction de ses valeurs et introduit dans le réseau du déterminisme un fait nouveau. Les conséquences de la décision prise ne sont pas rigoureusement prévisibles, dans la mesure même où la conjoncture est unique.[…] La décision raisonnable n’en exige pas moins que l’on applique à la conjoncture l’ensemble des connaissances abstraites dont on dispose, non pour éliminer, mais pour réduire et pour isoler l’élément d’imprévisible singularité. »

L’œuvre de Weber est immense, difficilement fréquentable pour un esprit trop français soucieux de s’enfermer dans sa petite hyper spécialité chérie. Elle est donc plus proche de la vie réelle. N’oublions pas qu’il est considéré comme l’un des pères de la sociologie avec Durkheim, qu’il fréquenta l’œuvre de Marx (avec une certaine vivacité) et que bien des penseurs actuels le considèrent comme indispensable à la compréhension du monde moderne, à l’égal de Nietzsche.

RÉFLEXIONS SUR LA CITATION INITIALE

Mais je reviens à la citation initiale.

Il est évident que le savant et le politique sont tous deux des hommes donc portés par les meilleures et les plus noires des forces. La pire bêtise serait d’attribuer à l’un et à l’autre l’étiquette de la supposition : au savant la blouse blanche et au politique les mains sales. Les deux peuvent avoir les mains sales. Et ce ne sont pas les prestations alambiquées de nos « scientifiques » télévisuels ayant sévi sous le drapeau de la croisade covidique qui nous convaincraient du contraire. Maintenant, inverser les figures, blanchir le politique et noircir le savant n’est pas impossible, mais consisterait à confondre l’espèce des poissons volants avec le genre dans son ensemble.

Il est attristant qu’après tant de centaines de siècles au compteur de l’Homo sapiens, on en soit encore au stade de devoir rabâcher de telles évidences. D’un autre côté, c’est rassurant pour ceux qui sont payés à la ligne, mais plus que lassant pour le blogueur qui n’attend pas son bifteck de ce billet. Donc, je continue : le meilleur et le pire à tout niveau, et avec un peu de chance, un peu moins de noirceur qu’attendu ici ou là.

Revenons au fondamental : le politique et le savant veulent des résultats. Or, les résultats s’achètent. La banque prêteuse est la matière grise. Le client peut s’appeler électeur dans un cas, laboratoire ou collègue ou revue internationale dans l’autre. Et oublions les images liées au bonheur du peuple d’un côté, et à la vocation scientifique de l’autre. Le trouble est partout, et à tous niveaux. Les saints, laïcs ou non, sont rares. Et souvent, ils sont fatigués.

Mais Weber vise plutôt la confusion des genres : les ventriloques. Imaginez un politique, pire, un président, se prendre pour un scientifique, ou l’inverse. Les journées n’ayant que 24 heures, et les cerveaux que deux lobes, on imagine les courts-circuits. Et quand un court-circuit fait des étincelles, ce n’est pas bon, surtout pour un cerveau : d’abord des étincelles, puis il s’éteint seul. Et s’il prétend tout faire « en même temps »… Bref, une macronerie !

Ah ! S’il se contentait de faire des étincelles dans son domaine propre, de nous éblouir de lumières douces et bienfaisantes ! Oui, cela existe. Mais pas ici, pas maintenant, pas « en même temps ».

Cependant Max Weber plaide tout de même pour une relation bienfaisante entre les deux types d’actions portées par les deux types humains précités. Laissons Raymond Aron nous en parler : « La science qu’il conçoit est celle qui est susceptible de servir l’homme d’action, de même que l’attitude de celui-ci diffère en sa fin, mais non pas en sa structure, de celle de l’homme de science. »

Je remarque que ce raisonnement fait le pari d’une certaine proximité des moyens cérébraux et des comportements de nos deux modèles. Je crains de trouver un excès d’optimisme dans ce raccourci. Mais l’important, n’est pas là. Il réside surtout dans le pont reliant ces deux hommes : l’action.

Un « homme d’action ». Cette expression ne doit pas nous induire dans la pire des erreurs. Il est des cas où l’action la plus efficace consiste à réfréner toute action inadéquate. Le frein, la modération, la conduite prudente fondée sur l’expérience sont  aussi des actions.  Car toute action est la résultante d’une force motrice liée à une autre de sens opposé. Je crains qu’en ce cas, Raymond Aron ne se soit laissé intoxiquer par le mot. On comprend bien qu’il ait dû discuter quelque part les valeurs équilibrées d’une chose et de son contraire apparent, d’une action et d’une non-action ayant valeur d’action. Mais dans ce texte, je n’en vois pas trace, et je crois qu’il faut le souligner.

Il est également question d’une « conjoncture singulière et unique ». Autrement dit, du « jamais vu ». Eh oui, cela existe. Fréquemment ? C’est à vérifier. En pratique politique ou scientifique, nombreux sont les cas où l’histoire de l’une ou l’autre des disciplines, si elle ne se reproduit pas à l’identique, « repasse les plats ». L’image est gastronomique, donc bien française, mais, à mon avis moins heureuse que celle d’Héraclite : « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve ». Sa compréhension serait incomplète si l’on oubliait que d’un bain à l’autre, malgré le flux, le fleuve est resté identique dans son identité et ses caractéristiques fondamentales.

Autrement dit, la « conjoncture singulière et unique », pour être caractérisée ainsi, dépend de l’ancienneté, de la profondeur et de la compréhension des mémoires. Je veux bien admettre qu’une invasion de Martiens représente une « conjoncture singulière et unique ». Je me ferais alors remettre à ma place par certaines sociétés d’Ufologues (comment leur prouver qu’ils ont tort ?), et dans ce cas, comment imaginer que les spécialistes de bunker élyséen n’aient pas en réserve quelque plan à visée d’invasions inopinées ? Enfin, oublions les Martiens.

Restent le choix des « valeurs » et l’introduction «  dans le réseau du déterminisme [d’un] fait nouveau. » Et nous voici replongés au tréfonds de l’âme humaine, si rééduquée soit-elle, pour que l’homme d’action ainsi mis à l’épreuve choisisse la meilleure et la mieux adaptée de ses valeurs. N’oublions pas que derrière ce mot (valeurs) se démasquent un certain nombre de produits des différents étages de notre inconscient, comme des bêtes féroces prêtes à en découdre. Juste pour voir, commencez à réfléchir sur l’association type neige et feu de la liberté et de l’égalité. Et tâchez de rester calmes, mais aussi, attentifs, réfléchis et productifs.

Alors, oui, les conséquences ne sont pas rigoureusement prévisibles. On approche, on approche, pas à pas, et chacun de ces pas introduit une donnée nouvelle qui modifie le système. Et nous serons bien contents si, au terme de ce voyage dans l’histoire d’une nouveauté nécessitant l’action, nous revenons au meilleur équilibre possible, ou si nous changeons de niveau vers un nouvel équilibre aussi proche que réalisable des meilleures qualités de l’ancien.

WEBER ET SA TYPOLOGIE DE L’ACTION

Nous serions en panne de compréhension en nous arrêtant là. Car ayant atteint par des « valeurs » un équilibre aussi proche que possible de l’optimum, nous avons négligé les dites valeurs. Ici Weber insiste d’abord sur des affects liés aux émotions. De là, lorsqu’il interroge l’action sociale, il la détermine par  le concept « d’action affective », émotionnelle, y ajoutant les passions et sentiments actuels. Le conscient et l’inconscient, vous dis-je.

Weber conceptualise quatre types d’actions sociale communes à toutes les époques et civilisations :

  • l’action rationnelle quant aux moyens (les moyens servant d’agents actifs sont organisés selon une raison)
  • l’action rationnelle quant aux valeurs (la fin justifie les moyens)
  • l’action traditionnelle (fondée sur l’autorité ancestrale ou équivalente)
  • l’action affective (fondée sur la prééminence d’une émotion ou d’une communauté d’émotions)

Il les associe à trois formes de pouvoir :

  • charismatique : le grand prêtre vous parle
  • traditionnel : la tradition vous guide
  • rationnel : la raison vous éclaire.

RETOUR À L’ACTUALITÉ

Ayant lu et réfléchi, il me semble que nous sommes bien mieux armés pour comprendre et qualifier les errements de notre actuel président. Rappelons-nous qu’actions et émotions sont toujours potentiellement bipolaires quant à leurs traductions et à leurs résultats,  du meilleur au pire.

Chacun trouvera son miel dans cette esquisse bien indigne du monument que fut Weber.

Gardons cependant en tête quelques points fondamentaux :

  • une épidémie dure spontanément deux à trois ans quoi qu’on fasse
  • l’immunité collective est toujours plus efficace qu’un vaccin et encore plus d’un « vax pas sain »
  • faut-il vraiment appeler action les pirouettes et autres gigues loufoques qui nous ont été servies en « haut lieu, et qui continuent ?
  • à votre avis quels types d’affects et d’émotions (du domaine conscient ou inconscient) ont mené ce bizarre président ?
  • Comment caractériser une régime où un virus disparaît (obligatoirement) et des mesures liberticides s’accumulent ?
  • sur une échelle de 0 à 10, à combien évalueriez-vous le niveau de nuisance de l’actuel président (0 = aucune nuisance ; 10 = nuisance maximum totalement insupportable) ?

Bonnes réflexions, bon choix !

Antoine Solmer

[1] Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris,  Union Générale d’Éditions, 1963.