RACHID NEKKAZ : UNE VOIE DISCORDANTE ET CONCORDANTE

Je ne crois pas me tromper en affirmant que voici le livre, enfin, qui me fait rêver. Je dis, j’écris et je répète qu’en dépit de tout je n’ai aucune haine pour le peuple algérien. Comment ne pas saluer profondément cet homme ?  Comment ne pas comprendre que ce livre abolit la saga gaullienne et sa politique de mépris et de haine doublée d’une faute géostratégique majeure ? Comment ne pas voir non plus que bien des Algériens illégaux seraient heureux de revenir vivre “au bled” dans un pays pacifié ? Comment ne pas recommencer à rêver ? Sauf si…

Antoine Solmer

COMBAT CONTRE LA DICTATURE EN ALGÉRIE, HARKIS, PIEDS-NOIRS, VOILE ISLAMIQUE, REMIGRATION… RACHID NEKKAZ À CŒUR OUVERT [Entretien]

Les éditions Max Milo viennent de publier l’ouvrage « Mon combat contre la dictature algérienne » signé Rachid Nekkaz.

Un militant qui est loin d’être un inconnu en France, bien au contraire : homme d’affaires et homme politique algérien, il a fait fortune dans le monde des affaires. Avant d’être l’objet de plusieurs polémiques en France comme en Algérie par la suite.

Rachid Nekkaz est né en France où il vivra pendant 40 ans. Diplômé d’histoire à la Sorbonne et militant des droits de l’homme, il était le principal opposant au 5ème mandat de l’ancien président grabataire Abdelaziz Bouteflika en mars 2019. Il a également un des premiers initiateurs du Hirak, manifestations de masse en Algérie, qui a redonné espoir au peuple algérien. Rachid Nekkaz a écrit 4 livres dont un livre-entretien avec les 7 chefs d’État du G7 (Clinton, Chirac, Blair…) en 2000. Il a été nominé au Prix Nobel de la Paix en 2019.

En France d’abord, il s’était fait connaitre pour avoir pris la défense des femmes portant le voile intégral, interdit en France depuis 2010 tout en proposant de payer leurs amendes. Il a par la suite renoncé à sa nationalité française pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle algérienne de 2014, puis en avril 2019, durant laquelle il a été frappé d’inéligibilité.

C’est son combat contre la dictature algérienne qu’il raconte dans son livre. Devenu l’un des principaux opposants au régime algérien. Il a été l’un des initiateurs du Hirak, manifestations de masse qui ont redonné espoir au peuple algérien entre 2019 et 2021. Il est aujourd’hui en résidence surveillée après avoir été emprisonné pendant 443 jours dans une prison à Alger.

Dans ce livre, Rachid Nekkaz raconte son parcours depuis sa cité en banlieue parisienne jusqu’aux portes de la présidentielle algérienne, acclamé par des dizaines de milliers de jeunes qui voyaient en lui l’espoir d’un avenir meilleur. Pourtant, rien ne prédisposait ce pur produit de la culture française, passionné de Voltaire, à devenir l’ambassadeur d’un peuple opprimé et étouffé par un régime autoritaire qui confond opposition et trahison.

Nous l’avons interrogé, sur son parcours, sur ses idées, sur les polémiques en France, sur son combat en Algérie. Une interview passionnante, à découvrir ci-dessous.

 Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Rachid Nekkaz : Je suis un ancien Français de 50 ans qui a renoncé à sa nationalité française en juillet 2013 afin de tenter d’insuffler une culture démocratique dans le pays de mes parents en Algérie. Diplômé d’histoire à la Sorbonne, je vis depuis 25 ans avec Cécile, une Américaine d’origine bretonne. Nous avons un fils de 20 ans Iskander qui étudie à Stanford en Californie. J’ai publié 5 ouvrages dont un livre-entretien avec les chefs d’État du G7 dont les présidents Jacques Chirac et Bill Clinton. Sinon, depuis 2013, je suis le principal opposant politique en Algérie.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qu’être un opposant algérien aujourd’hui en 2022 ? Pouvez-vous nous parler de la situation dans ce pays, mais aussi des divisions, y compris ethniques et politiques, qui y règnent ?

Rachid Nekkaz : Être un véritable opposant algérien en 2022 c’est vivre l’enfer au quotidien, entouré de 15 policiers 24/24 autour de son domicile depuis 3 ans. C’est d’être séparé de sa femme et de son fils depuis 830 jours. C’est de se voir refuser depuis 8 ans le renouvellement de son permis de conduire, de sa carte d’électeur, de son passeport. C’est d’être empêché de circuler librement dans le pays après avoir parcouru l’Algérie pendant 3124 km à pied aussi bien à travers les plaines, les montagnes qu’au cœur du désert. C’est de se recueillir devant la tombe de ses parents sous escorte policière. C’est se voir interdire de voyager et d’aller à Alger pour soigner un début de cancer de la prostate C’est de déposer 25 plaintes sans qu’aucune ne soit traitée. C’est passer 443 jours en prison malade, sans médicaments avec l’hôpital le plus proche à 125 km de là. C’est garder ses principes de justice, de résister et d’avoir le courage de publier un livre contre la dictature algérienne en étant placé en résidence surveillée avec de grands risques de retourner en cellule. D’autre révélations beaucoup plus graves sont à découvrir dans mon livre.

L’Algérie est un pays-continent constitué de plusieurs ethnies (Kabyles, Chaouis, Mzabis, Touaregs, Arabes) aux langues et aux traditions plurielles (Berbère, Arabe) mais animées d’un idéal patriotique commun. Au sommet de cet État trône un régime militaire à la façade civile qui s’est accaparé depuis 1962 le monopole exclusif des ressources pétrolière et gazière en partenariat avec les multinationales étrangères dont TOTAL, classée à la 6ème position des entreprises les plus corruptrices au monde selon le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Sur le plan idéologique, deux courants s’affrontent. Les laïcs minoritaires, plutôt francophones, face au rouleau compresseur de tendance islamique modéré essentiellement arabophone. Au milieu, les partis satellites du pouvoir comme le FLN et le RND, discrédités aux yeux de la jeunesse mais champions de la rente mémorielle qui fait les choux gras des presses franco-algériennes.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené en prison en Algérie ? Aujourd’hui, quelle est votre situation ? Parlez-nous de votre livre et du fond auquel sont reversés les bénéfices ?

Rachid Nekkaz : Tout a commencé par la décision illégale du régime d’annuler l’élection présidentielle du 18 avril 2019 où – grâce à une formidable ferveur populaire – j’avais toutes les chances d’être élu président de la République face au moribond chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika.

Lorsque j’étais à Hong-Kong en novembre 2019 pour soutenir les manifestants opposés au régime chinois, j’ai eu des informations selon lesquelles je serai immédiatement incarcéré si je maintenais ma décision de porter plainte au tribunal d’Alger contre le tout puissant chef de l’armée algérienne Ahmed Gaïd Salah pour violation de l’article 55 de la constitution qui garantit la libre circulation des citoyens à l’intérieur du pays. Après mûre réflexion et échanges houleux avec ma femme et mon fils, j’ai décidé de mettre ma menace judiciaire à exécution en prenant un vol pour Alger le 4 décembre 2019. Sitôt arrivé, vingt membres de la sécurité militaire m’ont interpellé à l’aéroport, interrogé dans un lieu secret, conduit devant un juge d’instruction qui a immédiatement délivré un mandat de dépôt dans un centre pénitentiaire.

Deux vidéos sur Facebook m’étaient reprochées. Dans le premier cas, un clan du pouvoir avait réalisé un montage-vidéo portant sur des menaces contre des députés qui voteraient la loi sur les hydrocarbures. J’étais passible de la peine de mort en vertu de l’article 77 du code pénal algérien. Dans le deuxième cas, il s’agissait d’un appel aux boycott de l’élection présidentielle à venir du 12 décembre. Appel que j’assumai totalement car nous vivions à ce moment là une révolution citoyenne opposée à l’organisation par l’armée de tout rendez-vous électoral en dehors de la négociation d’une période de transition démocratique. Grâce au travail extraordinaire de mes 89 avocats bénévoles dont Maîtres Yacine Khelifi et Abdelkader Chohra, le président Abdelmadjid Tebboune m’a d’abord gracié provisoirement le jour de ma première journée de grève de la faim le 19 février 2021. Puis, en date du 27 décembre 2021, le tribunal criminel d’Alger a fini par annuler le chef d’inculpation lié au montage-vidéo. Il m’a condamné à un an de prison ferme en raison de mon appel au boycott de l’élection.

J’ai écrit mon livre « mon combat contre la dictature algérienne » en prison. Aucune maison d’édition n’a eu le courage de le publier dans mon pays, soit par autocensure soit par risque de censure. Je tiens à remercier mon éditeur Max Milo d’avoir permis sa publication en France.

Tous les droits d’auteur de la vente du livre iront à l’association MJC (Mouvement pour la Justice et contre la Corruption) qui milite activement pour la libération et l’indemnisation de 15 000 citoyens incarcérés illégalement depuis le 24 octobre 2019, date à laquelle l’ancien ministre de la Justice Belkacem Zeghmati – contre lequel mes avocats ont déposé trois plaintes pour tortures à Alger – avait nommé illégalement 2998 juges en violation de l’article 104 de la constitution.

En publiant ce livre, je poursuis trois objectifs. Je veux d’abord envoyer un message fort au régime algérien en lui montrant de l’intérieur du pays, que je n’ai pas peur de son arsenal sécuritaire, judiciaire ou administratif. Je veux aussi redonner du courage aux 45 millions d’Algériens en les invitant à combattre ce pouvoir autoritaire de façon pacifique, légale, démocratique et civilisée. Quatre slogans que je n’ai cessé de répéter lors des 1300 LIVE sur Facebook depuis 2013. Enfin, je veux solder l’héritage du passé avec la France, notamment les dossiers épineux des Pieds-noirs, des Harkis et de l’immigration maghrébine clandestine ou légale.

Breizh-info.com : La France et l’Algérie sont aujourd’hui encore en conflit, mémoriellement parlant. Entendez-vous ces Français qui ne supportent plus la victimisation algérienne permanente ? Et ces Pieds-Noirs, et harkis, qui s’estiment avoir été abandonnés par la France, mais y compris maintenant, par les autorités en terme de mémoire ?

Rachid Nekkaz : Cette guerre mémorielle entre la France et l’Algérie m’est insupportable à plus d’un titre. Je la dénonce et je la condamne fermement car le régime algérien l’instrumentalise pour infantiliser son peuple, asseoir sa dictature et empêcher la constitution d’un État de droit. Le préalable à une nouvelle philosophie win-win des relations entre Paris et Alger est d’une part de mettre fin en douceur à l’hégémonie de cette caste d’octogénaires arc-boutée à la rente pétrolière et d’autre part de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques décomplexée, consciente des enjeux géostratégiques actuels et désireuse de se projeter dans un avenir de co-gouvernance de l’espace méditerranéen.

Au sujet des Pieds-noirs, je tiens à regretter sincèrement que l’Algérie n’ait pas su imaginer en juillet 1962 un compromis historique à l’image de l’œuvre exceptionnelle accomplie par les avocats visionnaires Nelson Mandela et Frederik de Klerk en l’Afrique du Sud entre 1994 et 1996 afin de permettre la coexistence imparfaite de deux communautés opposées, blanche et noire. Dans mon livre, je préconise que l’Algérie demande pardon et indemnise toutes les victimes Pieds-noirs assassinées lâchement après la signature des accords d’Évian le 19 mars 1962.
En ce qui concerne les Harkis, je regrette que mon pays n’ait pas réussi à pardonner comme nous y invite notre foi musulmane et comme a réussi à le faire le gouvernement français à l’endroit des personnes accusées de collaboration avec le régime nazi grâce à trois lois d’amnistie votées en 1947, 1951 et 1953. En 2005, par référendum, l’Algérie a pardonné aux terroristes sanguinaires. En 2022, elle doit avoir la noblesse de pardonner aux Harkis, mais aussi de pardonner et d’indemniser les familles des femmes et des enfants des Harkis qui ont été abattus sur le sol algérien, notamment les 315 paysans du village de Melouza près de M’Sila le 28 mai 1957.
A titre personnel, je n’oublie pas non plus d’honorer la mémoire de Camille blanc, le maire courageux et infatigable qui s’est battu pour accueillir les négociations de paix à Évian et qui en a payé le prix fort en étant froidement assassiné sous le regard de sa famille.

Breizh-info.com : En France, vous êtes connu pour avoir milité contre l’interdiction du port du voile intégral dans la rue. Pour quelles raisons ?

Rachid Nekkaz : Mes études d’histoire et de philosophie à la Sorbonne m’ont appris à défendre la liberté sur tous les continents, aussi bien pour les femmes qui veulent porter le voile en Europe que pour celles qui refusent de se couvrir en Iran ou au Soudan. J’ai défendu les unes et les autres notamment en me rendant à Téhéran le 8 mars 2018 pour faire libérer de prison 29 femmes sorties dans la rue sans voile.

A titre personnel, Cécile et moi-même sommes farouchement opposés au port du voile intégral car c’est la pire des façons de s’intégrer à la société française et européenne. D’ailleurs, ma femme ne porte ni le voile, ni le niqab, ni le burkini. C’est une parfaite occidentale polyglotte respectueuse de toutes les cultures. Néanmoins, par principe, pendant dix ans, nous avons considéré que ce n’était pas juste de s’attaquer à ces femmes inoffensives et vulnérables sous prétexte que ce voile indisposait une certaine catégorie de la population. Nous avons adopté la même attitude philosophique que Voltaire qui bien que déiste n’a pas hésité à déployer une énergie extraordinaire afin de défendre auprès du Roi Louis XV la mémoire du protestant Jean Calas sacrifié sur l’autel de l’intolérance par le parlement de Toulouse en 1762.

Aujourd’hui, j’ai fait le bilan de notre engagement militant dans huit pays européens. Je dois me rendre à l’évidence. Les tensions communautaires se sont exacerbées. L’intolérance fait rage. L’Islam est perçu de plus en plus comme un virus qu’il faut éradiquer du continent des Lumières. Étant donné l’évolution des comportements, des mentalités et des perceptions, avec le recul, je reconnais que c’était une erreur car les Français et les Européens d’aujourd’hui privilégient davantage la fidélité à leurs traditions judéo-chrétiennes qu’à leurs principes philosophiques rationalistes du 18ème siècle auxquels j’ai été abreuvé pendant quarante ans et que je n’abandonnerai jamais.

Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a fait quitter la France pour l’Algérie, et remigrer d’une certaine façon ? Il semblerait que vous soyez par ailleurs favorable plus globalement à cette idée de remigration, pour quelles raisons ?

Rachid Nekkaz Deux raisons ont concouru à ma décision de quitter la France. La première est liée au climat délétère qui y régnait pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy en termes de violations répétées des droits de l’homme. Aucun président de droite, de De Gaulle à Giscard en passant par Pompidou n’avait bafoué autant les valeurs de la République avec une telle frénésie. La seconde est d’ordre familial. C’était en janvier 2011. Sur son lit de mort, mon papa m’a fait promettre de faire quelque chose pour tenter d’améliorer la situation politique et économique en Algérie. Un pays dont je ne maîtrisais ni les subtilités de la langue, ni les soubresauts de histoire, ni les contours de la géographie. Par amour paternel, j’ai donc été amené non seulement à abandonner ma nationalité française – afin de respecter un article de la constitution algérienne auquel doit se plier tout candidat à la présidentielle -, mais à remigrer de façon volontaire en Algérie dès juin 2013.
Au début, je ne vous cache pas que j’étais loin d’être partisan de cette option radicale. Mais au fur et à mesure de mon implication totale dans la politique algérienne afin d’insuffler une culture démocratique, aujourd’hui mon point de vue a évolué considérablement. J’ai pris conscience de deux réalités concomitantes.

D’un côté, nous observons un phénomène de rejet profond des Européens à l’endroit des citoyens de cultures musulmanes qui devient un marqueur politique et émotionnel de plus en plus criant et visible dans l’inconscient collectif. D’un autre côté, je réalise avec autant d’acuité que la seule façon de lutter efficacement contre les régimes autoritaires et de développer les pays d’Afrique du Nord est de favoriser la remigration des 7 millions de Maghrébins de France et d’Europe habitués non seulement aux pratiques démocratiques mais aussi riches en compétences extraordinaires dans tous les domaines d’activités nécessaires au décollage économique du bassin sud de la Méditerranée.

Loin d’apparaître comme une punition, la remigration telle que je l’envisage peut être une formidable opportunité pour ces millions de citoyens de seconde zone dont la société européenne ne supporte plus ni la religion, ni la viande halal, ni l’habillement, ni la langue, ni la visibilité, ni la présence.

Cependant, pour être une option envisageable et souhaitable, cette remigration doit aller de pair avec l’abandon du soutien aux régimes autoritaires en place et avec la restitution d’une partie des richesses en matières premières afin d’avoir les moyens d’accueillir convenablement ces millions de « remigrants » en termes de logements, d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures routières, etc.

Breizh-info.com : Le mot de la fin pour nos lecteurs ?

Rachid Nekkaz : Je souhaite que mon livre «  Mon combat contre la dictature algérienne » fasse prendre conscience aux lectrices/lecteurs et aux hommes politiques français qu’ils ont tout intérêt à œuvrer pour une Afrique du Nord démocratique et développée afin non seulement de stopper l’immigration clandestine mais surtout de faire de la remigration une opportunité d’avenir à saisir.

Merci à Breizh-info de m’offrir une tribune pour ouvrir le dialogue.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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