QU’EST-CE QUI SE PASSE AUX SANITAIRES DU TROCADÉRO ?

LE TABLEAU DU PROF DE DESSIN
LE TABLEAU DU PROF DE DESSIN

 

Cet après-midi, les foules étaient denses au Trocadéro. Les foules, car il y en avait deux. La première, bobo, cosmopolite et hébétée, déambulait entre les marchands de tours Eiffel, de chapeaux, de lettres en bois, et autres colifichets, tandis que des attrapeurs de nigauds au bonneteau faisaient virevolter leurs petites boîtes en métal censées offrir leurs billets aux crédules. Tout cela, c’était la journée du patrimoine.

La deuxième avait d’autres préoccupations, bien moins sérieuses que celles des adorateurs du patrimoine. Pensez ! Un papelar à la noix, un chiffon de papier même pas bismarckien, pas de quoi déclencher une guerre à un quelconque macrovirus égaré. Un passe aux sanitaires, bref, un bout de PQ, si j’ai bien compris. Paraît qu’on a repéré un maniaque, pas loin de là, dans son palédélisé qui passe son temps (sanitaire) à répéter en boucle : passanitaire, passanitaire ! Des fois, il pique sa crise : « virussatu, vaxinsassov, virussatu… ! ». On dit qu’il a créé une secte, avec quelques autres mabouls. Il est enfermé pour huit mois encore. Après, aux poubelles de l’histoire. Un de plus, un de moins, ça compte pas.

On nous a expliqué que le défilé était annulé, rapport à la bamboche qu’un je-ne-sais-pas-sorti-d’où (un éminent fonctionnaire) avait totorizé à l’arrivée. Des zotetoidla keujmimettes validés, tamponnés et passanitairisés, j’imagine. A dû avoir des billets gratis le zouave tamponneur. Peut-être même une casquette toute neuve. C’est juste une impression. Mais comme je n’ai pas de relations dans la haute…

Nous, la place, on l’avait bariolée de rouge, de bleu et de blanc. Je ne sais plus dans quel ordre. Enfin, ça faisait de l’ombre et un petit courant d’air. C’était bien, rapport au cagnard. J’ai même vu des instit’ (paraît qu’on dit plus comme ça). Mais sûr que c’étaient des instit’ parce qu’ils avaient des petits tableaux qu’on lisait : « Non au terrorisme vaccinal », ça j’ai pas compris. Et puis aussi : « Ne touchez pas à nos enfants ». Là, j’ai compris. Si un de ces salauds d’enviandés de pervers il touche à mes gosses, la colère va me prendre, et il faudra une compagnie de CRS au moins pour éviter que je le trucide. Ça tombait bien, il y en avait une pas loin. Bizarre ! Quand on parle du loup…

D’autres instit’ revenaient des vacances à la mer. La preuve, ils avaient de grandes cartes postales : « 1ère vague applaudissements, 4e vague, licenciements ». Moi, j’ai pas le temps d’aller à la mer. Faut que je fasse des lignes. Tu parles d’une punition. Tous les jours. Ah ! Le cahier de vacances. Si j’aurais su…

Et puis j’ai vu des stagiaires. Sûr, c’étaient pas des instit’. J’ai rien compris. Ils avaient écrit : « Stop génocide gaulois ». Y’a des gens en bleu qui les ont poussés vers d’autres gens en bleus. Mais personne n’a eu de bleu. Ceux-là y z’avaient dû trop jouer à la récré. Moi, j’étais toujours sage.

Après, le prof de dessin a exposé son tableau. Je pense qu’il doit faire des progrès en orthographe, parce qu’on lui a barré en rouge un mot. Mais j’ai trouvé ça joli. Je l’ai pris en photo. Je vous la donne.

Je suis resté, parce que je suis sérieux. Quand le spectacle a commencé, on a entendu une instit’ dire que le livre n’était pas bon. Qu’il écrivait trop de vilaines choses pour les enfants. Un Belin. Si je vois mes gosses revenir avec cette saleté, ça va mal se passer.

Et puis, il y avait aussi des gens en blouse blanche. On les avait mizapiés. On voulait les forcer à aller là où vous savez. Eux, ils voulaient pas. J’ai rien compris. Si qu’on n’a pas besoin de passer aux sanitaires, pourquoi qu’on les force ? S’ils ont pris leurs précautions chez eux, avant de sortir ! Le monde devient bizarre. Ça avait rapport avec l’autre du palédélisé. Les gens ont fait bouh, bouh ! Ça m’a rappelé mon enfance à la ferme, avec les bestiaux, qui étaient bien contents.

Et après, j’ai entendu un grand discours. Le directeur est monté sur l’estrade, qu’était bien haute. C’était pratique. Il s’appelait Fripot, ou plutôt Filopot. Là, j’ai compris l’histoire du passe aux sanitaires. Il était pas copain avec l’enfermé du palédélisé. Mais alors, pas copain du tout. À mon avis, va y avoir du ramdam à la sortie. L’avait pas l’air content. Il va lui passer un savon. C’est normal. Je le sais depuis longtemps. Faut toujours se laver les mains, après les cagoinces. J’ai applaudi. La santé, je suis pour.

Après, je suis parti. J’ai dit bonjour aux amuseurs du bonneteau. Mais j’ai rien mis. Pas bête. Ça perd toujours. Pour ça que c’est interdit. Enfin, il paraît. Parce que ceux-là, j’ai comme l’impression qu’ils se moquaient bien des poulets. C’est ça la liberté. On fait ce qu’est interdit et on dit “bouze aux vaches”. Pas les vraies, bien sûr. Je les aime trop.

La-haut, j’ai vu un gars, qu’avait perdu la boule. Il avançait dans l’air, sur un fil, pas plus gros que celui de ma femme, pour repriser les chaussettes. Ça avait l’air. Les badauds disaient : tombera ? Tombera pas ? Il est pas tombé. Il continuait d’avancer, les bras en croix. Alors j’ai compris : le patri-moine, c’était lui. Si mon vieux curé était pas mort, il se serait signé, sûr. Les nouveaux, en civil, j’sais pas.

Le patri-moine c’est ben bizarre.