EN MÊME TEMPS : UNE INEPTIE (I)

DALI AU TEMPS DES MONTRES MOLLES
DALI AU TEMPS DES MONTRES MOLLES

L’expression « en même temps », à la mode macronienne, au point d’en devenir un parasite intellectuel, est une ineptie. Mais avant d’en venir à cette conclusion, il faut définir les termes et les idées qu’ils sous-tendent, et d’abord, en bousculant l’ordre apparent, bien s’entendre sur le nom ineptie.

Littré en donne deux acceptions. La première concerne le caractère d’un homme inepte, lequel serait inapte à tout ou partie de ses actions, ses désirs, ses relations. La seconde concerne les actions, idées, paroles absurdes, impertinentes (au sens de non pertinent, mal accordé, mal utilisé).

C’est ce dernier point de vue que cet article explore.

D’ABORD LE TEMPS, ET SURTOUT LE « MÊME TEMPS »

L’expression est biaisée, lorsqu’on ne précise pas si ce fameux « même temps » s’applique au moment, à la durée ou à l’ancienneté. Prenons trois exemples dans l’ordre précité, tirés de la fameuse tirade de Knock, Acte III, scène 6 :

« Et que je ne vous parle pas des cloches. Songez que, dans quelques instants, il va sonner dix-heures, c’est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, deux cent cinquante thermomètres vont pénétrer à la fois… »

LE TEMPS DE LA MONTRE

Ici, la temporalité proposée par le « à la fois » suggère bien le moment remplaçable par un « en même temps ». Encore que des pointilleux nous objecteraient que ces deux cinquante thermomètres ne sauraient être manipulés absolument « en même temps » ni avec la même cadence qu’une troupe bien entraînée exécute le « présentez… armes ». J’autorise les amis freudiens qui me liraient à me faire part de leurs réflexions approfondies.

Bien sûr, après des répétions perfectionnistes, sous condition d’harmoniser toutes les montres et horloges du village, on pourrait perfectionner ce « en même temps ». Mais selon l’habileté de chacun, sa mobilité, son embonpoint, sa liberté articulaire, bien des dérives temporelles ne tarderaient pas à se manifester, et même, soyons scientifiques, à se mesurer. Aujourd’hui, avec une application dédiée, quelques capteurs, et une surveillance par des pairs (evidence based medecine) nous aboutirions à de belles courbes de déviation par rapport au temps idéal, dont nous calculerions les écarts, de façon à redéfinir les limites de crédibilité du « en même temps ».

Que personne ne m’accuse de délire ou de plaisanterie ! Je lis bien des revues médicales dont les articles ne prennent pas en compte ces paramètres fondamentaux.

À LA SECONDE PRÈS

Mais une fois lancée sur cette piste, ne la lâchons pas en si bon chemin. Poussons le raisonnement jusqu’à buter contre la réalité. Imaginons de nous en tenir à la seconde, ce qui est notoirement insuffisant pour certaines observations nucléaires, ou simplement sportives. Qu’est-ce qu’une seconde, à part le déplacement d’une aiguille ad hoc, ou l’indication d’un cadran ? La seconde est définie comme la durée de 9 192 631 770 oscillations de l’atome de césium.

Donc, dans l’intervalle d’une seconde, rien qu’à s’en tenir à ce bout d’atome de presque rien, deux personnes qui disent accomplir un même acte « en même temps » dans la seconde, n’ont qu’une chance sur plus de 9 milliards de valider leur affirmation.

Nous arrêtons-nous ici ? Point ! Soyons précis, scientifiques !

ET LE TEMPS SOLAIRE

Nous avons parlé de 250 thermomètres dans 250 maisons. Mais ces maisons ne se trouvent aucunement à la même longitude. Ce n’est que par commodité que nos montres sont réglées « à la même heure » dans notre fuseau horaire. En réalité, aucune montre n’a jamais arrêté la course de l’astre solaire.

Consultez donc les éphémérides de l’Institut de mécanique céleste, et vous verrez par exemple, que le 20 juin 2008, jour du solstice d’été, pour une heure légale de 23h59 (temps universel) le coucher de soleil a eu lieu à 19h33 à Strasbourg et à 20h21 à Brest.

D’où le petit problème que je me hâte de poser, sans aucunement vouloir le résoudre :

Connaissant les coordonnées géographiques des 250 maisons de Saint-Maurice, et tenant compte du temps solaire réel, précisez la dispersion temporelle des 250 prises de température si chaque habitant s’en tient à l’heure légale. Question numéro 2 : Dans les mêmes conditions, indiquez à chaque habitant l’heure solaire précise à laquelle il doit prendre sa température pour que les expressions « à la fois » et « en même temps » soient exactes.

Il me semble que le « en même temps » a pris du plomb dans l’aile.

                                                                                               (À SUIVRE)